Transitions & Energies

La réussite de la transition est entre les mains d’un Sud global… de plus en plus réticent


Les pays en développement et les pays émergents sont de plus en plus réticents à sacrifier leur croissance et l’accès de leurs populations à une énergie plus abondante à une transition rapide vers des sources d’énergie bas carbone. Jusqu’à aujourd’hui, dans ses pays les énergies décarbonées viennent s’ajouter aux combustibles fossiles, pas les remplacer. C’est le cas des deux pays les plus peuplés de la planète, Chine et Inde, comme du continent africain. Ce sont eux, et pas les pays occidentaux et développés, qui détermineront la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Au cours des dernières années et même des dernières semaines, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la guerre entre le Hamas et Israël ont popularisé l’expression Sud global. Même si elle est assez mal définie, elle regroupe des pays en développement, des pays émergents et même des pays développés, à l’image de la Russie et de la Chine, qui s’opposent dans la plupart des domaines aux pays occidentaux et à leurs alliés (Japon, Corée du sud, Israël…). Cette fracture du monde est également une réalité dans le domaine de la transition énergétique. Elle est d’autant plus significative que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines décennies ne dépend pas ou relativement peu des pays occidentaux, mais de ceux du Sud global. Et ils sont clairement de plus en plus réticents à sacrifier leur développement et le pouvoir d’achat de leurs populations même s’ils mesurent l’impact climatique du réchauffement…

Illustration, l’an dernier, les pays du Sud (hors Chine) n’ont représenté que 20% des investissements mondiaux dans les énergies bas carbone et ce n’est pas un problème de ressources éoliennes ou solaires. L’équation est en fait assez simple. La demande mondiale d’énergie dépasse aujourd’hui la croissance de l’offre de capacités énergétiques décarbonées, la différence est donc comblée par la combustion de charbon, de pétrole et de gaz. Tant qu’il en sera ainsi, la transition n’a aucune chance de se réaliser.

La Chine, l’Inde et l’Afrique

Les pays et régions du monde clés sont les deux nations les plus peuplées, la Chine et l’Inde, et le continent qui va connaître et qui connait une croissance démographique sans précédent au XXIème siècle, l’Afrique.

La Chine illustre à merveille les contraintes et paradoxes de la transition. Elle est à la fois l’usine du monde et de loin le premier émetteur de gaz à effet de serre et le numéro un mondial des investissements dans les renouvelables, le nucléaire et… le charbon. Tout cela s’explique par les besoins énergétiques et plus particulièrement électriques en augmentation rapide. Pékin fait feu de tout bois et les sources d’énergie décarbonées viennent s’ajouter aux combustibles fossiles, pas les remplacer.

L’Agence international de l’énergie (AIE), plutôt complaisante en général avec la Chine et le Sud global, estime « qu’en Chine, le plus grand consommateur de charbon au monde, la croissance impressionnante des énergies renouvelables et du nucléaire ainsi que les changements macroéconomiques laissent présager une diminution de l’utilisation du charbon d’ici le milieu des années 2020 ». Mais cela repose sur une hypothèse qui reste à vérifier et ne l’est pas au jour d’aujourd’hui que « la Chine utilisera progressivement ses centrales au charbon davantage pour assurer la flexibilité et moins pour fournir de l’énergie en vrac, bien qu’il y ait inévitablement une certaine incertitude quant à la vitesse et au degré de ce changement ».

Vœu pieu

En fait, personne et surtout pas l’AIE n’a de vision claire de l’ampleur et de la rapidité de l’évolution de l’économie et des besoins énergétiques de la Chine. Le mantra de l’agence internationale selon lequel « l’énergie propre pousse les combustibles fossiles au déclin » est un vœu pieu.

La problématique de l’Inde est tout aussi incertaine. La croissance rapide de la consommation d’énergie fossile du sous-continent (charbon et pétrole) a entraîné une augmentation rapide de ses émissions annuelles de CO2. L’Inde se classe désormais au troisième rang mondial derrière la Chine et les États-Unis. L’annonce par New Delhi de son objectif d’atteindre zéro émission nette d’ici 2070 et surtout de satisfaire près de cinquante pour cent de ses besoins en électricité à partir de sources d’énergie renouvelables d’ici 2030… est difficile à croire. Le charbon assure aujourd’hui 78% de la production d’électricité en Inde.

La taille de l’Inde et son énorme potentiel de croissance signifient que sa demande en énergie devrait augmenter plus que celle de n’importe quel autre pays dans les décennies à venir. « Pour les pays du Nord, la transition énergétique concerne la question du remplacement. Pour l’Inde, les énergies renouvelables ne remplaceront pas les besoins énergétiques, mais les compléteront. Par conséquent, la croissance des énergies renouvelables ne signifie pas la fin du charbon, et cette tendance se poursuivra au cours des 10 à 15 prochaines années », explique Partha Bhattacharya, ancien président de Coal India.

Pénuries permanentes

L’Inde reste, contrairement à la Chine, un pays en développement. De nombreux consommateurs ne bénéficient toujours pas d’un approvisionnement fiable en électricité. La dépendance continue à l’égard des combustibles traditionnels pour la cuisine nuit inutilement à la santé de nombreuses personnes. Les sociétés de distribution d’électricité en difficulté financière empêchent la transformation urgente du secteur.

Le continent africain, en-dehors du Maghreb et de quelques pays ayant des infrastructures suffisantes, est également confronté aux pénuries permanentes. L’Afrique n’a tout simplement pas accès aujourd’hui à une énergie abondante et bon marché indispensable à son développement. Ce n’est pas faute de ressources naturelles. L’Afrique possède de vastes réserves de charbon, de pétrole et de gaz naturel. Mais l’extraction de ces ressources et leur utilisation nécessitent de l’argent, des infrastructures, de l’expertise et des capacités institutionnelles, qui font défaut à bon nombre de pays, notamment sub-sahariens. Il existe bien des partenariats avec des grandes compagnies pétrolières étrangères, mais cela signifie qu’une grande partie du gaz et du pétrole produits est exportée. Et la pression exercée pour réduire ou même arrêter les investissements dans les énergies fossiles n’arrange rien. L’objectif de Net Zéro émissions d’ici 2050 pourrait avoir pour conséquence de maintenir une bonne partie des pays Africains dans le sous-développement.

Les gouvernements et les populations, qui en moyenne consomment très peu d’énergie, ne veulent pas handicaper un développement perçu à juste raison comme un droit par des considérations sur la transition énergétique et les émissions de gaz à effet de serre. L’Europe et l’Amérique du Nord sont les régions les plus riches de la planète et celles qui émettent le plus de CO2 par habitant avec les pays du Golfe producteurs de pétrole. L’Afrique, en revanche, a les niveaux les plus bas de consommation d’énergie par habitant du monde. L’Africain moyen consomme moins d’électricité dans une année qu’un réfrigérateur et environ 600 millions de personnes vivent sans accès à l’électricité.

Financer et rentabiliser les investissements

La question clé est évidemment celle des investissements et des moyens de les financer et les rentabiliser. Selon une étude récente de l’Irena (Agence internationale pour les énergies renouvelables), sur la période 2000-2020, sur les 2.841 milliards de dollars d’investissements cumulés dans le monde dans les énergies renouvelables, l’Afrique n’a perçu que 60 milliards, un peu plus de 2% du total.

Autre ordre de grandeur, il faut tripler la capacité des énergies renouvelables pour atteindre 11.000 GW d’ici à 2030, un objectif fixé par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et soutenu par le Dr Sultan Al Jaber, président de la compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi et président désigné de la COP28. Selon un récent rapport conjoint de la SFI et de l’AIE, le secteur privé devra fournir les deux tiers du financement des projets d’énergie propre dans les économies émergentes et en développement (en dehors de la Chine). Cela semble totalement irréaliste…

La rédaction