Transitions & Energies

Le retour en grâce de l’hydroélectrique


Toutes proportions gardées, l’hydroélectrique est en train de connaître le même destin que le nucléaire. Source d’énergie bas carbone, mais longtemps impopulaire, négligée et considérée comme appartenant au passé, elle retrouve soudain de l’intérêt depuis quelques mois avec la crise énergétique née de l’invasion de l’Ukraine. Reste à savoir si le regain d’intérêt pour cette énergie renouvelable et pilotable sera durable et se traduira par des investissements et de nouveaux équipements.

Dès le début du XXème siècle, la France a su utiliser ses atouts géographiques afin d’exploiter ses ressources hydrauliques pour produire de l’électricité. La maîtrise de l’eau pour la convertir en énergie n’a évidemment rien de nouveau et existe depuis des millénaires. Des milliers de moulins existaient sur les cours d’eau français afin de servir aux minoteries et autres papeteries. Ce qui a changé au XXème siècle, c’est la volonté de canaliser et massifier cet usage afin d’accompagner l’électrification alors naissante.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la reconstruction du pays passant par un développement massif des ressources énergiques, les constructions d’équipements hydroélectriques se sont accélérées avec la construction de grands barrages. Géants de béton, ils ont, au prix de multiples expropriations, changé durablement le visage de nombreuses vallées françaises tout en offrant un potentiel de production électrique décuplé.

Les Trente Glorieuses de l’hydroélectricité

Ce développement va ensuite ralentir dans les années 1980, le plan Messmer et la construction à marche forcée de réacteurs nucléaires rendent alors l’énergie hydroélectrique moins compétitive et surtout beaucoup plus sujette aux controverses et aux oppositions. Et depuis plus rien ou presque n’a changé.

Si EDF a encore inauguré un nouveau barrage il y a 5 ans, il s’agissait du premier depuis presque deux décennies. L’acceptabilité sociale inexistante de nouvelles constructions hydroélectriques massives et les obligations de «continuité écologique» des cours d’eau semblaient condamner tout nouveau projet. D’autant plus que la France, structurellement excédentaire en production électrique depuis des années avec son parc nucléaire, ne semblait pas en avoir besoin. Certains n’hésitaient alors pas à dire que le potentiel du pays en la matière était épuisé.

Un potentiel de développement toujours existant

Et puis tout a changé. L’année 2022, la crise énergétique et les difficultés du parc nucléaire sont passées par là emportant avec elles toutes les certitudes passées. L’invasion de l’Ukraine n’a pas eu comme seule conséquence de relancer le nucléaire de façon magistrale. Elle a eu le même effet sur l’hydroélectricité.

C’est en tout cas ce que veut croire Raphaël Schellenberger. Le jeune député Les Républicains d’Alsace -qui a la particularité d’être l’élu de la circonscription de Fessenheim– s’est déjà fait un nom dans le domaine de l’énergie en présidant la commission d’enquête parlementaire sur la perte d’indépendance énergétique du pays. C’est encore lui qui veut aller plus loin et a déposé cette semaine une proposition de loi visant à augmenter le potentiel hydroélectrique français.

Au moins 3 à 5 GW de puissance supplémentaires en une décennie

Reprenant les propos de Bruno Bensasson (PDG d’EDF-Renouvelables), il estime le potentiel exploitable à horizon d’une décennie de l’ordre de 3 à 5 GW de puissance, soit l’équivalent de 2 à 3 réacteurs EPR2. Ce potentiel serait réparti entre la modernisation des ouvrages existants permettant d’en augmenter la puissance et le développement de nouveaux ouvrages.

L’hydroélectricité représentant une ressource renouvelable, très bas carbone, et surtout le plus souvent pilotable, cette piste ne peut être qu’encouragée. Il faudra cependant pour cela surmonter de considérables obstacles. Administratifs d’abord liés au conflit en cours concernant les concessions, obstacles sociétaux également (un nouveau projet n’évitera pas l’affrontement avec certains militants écologistes), et enfin des obstacles juridiques. Ces projets se heurteront aux dispositions liées à la «continuité écologique» des cours d’eau.

Enfin, il reste que rien n’a été précisé sur le potentiel de stockage d’électricité, notamment la transformation d’installations existantes en STEP (Stations de transfert d‘énergie par pompage). C’est la seule façon aujourd’hui techniquement maîtrisée de stocker de l’électricité à grande échelle. En tout cas, le retour en grâce inattendu de l’hydroélectricité ne peut être que salué tant cette source d’énergie présente d’avantages: renouvelable, pilotable, puissante, souveraine.

Philippe Thomazo

La rédaction