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Barrage de Monteynard

La Cour des comptes alerte sur la gestion du parc hydroélectrique français


Le 2 décembre dernier, les magistrats de la Cour des comptes ont alerté la Première ministre Elisabeth Borne sur la gestion chaotique du parc hydroélectrique français. Il permet à la France avec le nucléaire et dans une moindre mesure l’éolien et le solaire d’être l’un des très rares pays au monde à produire plus de 90% d’électricité décarbonée. Mais à l’image justement du parc nucléaire, la gestion des concessions hydroélectriques a été négligée depuis des années et pose des problèmes juridiques et financiers comme le souligne le document de la Cour des comptes qui vient d’être rendu public. Les magistrats alertent également sur l’importance des STEP (Stations de transfert d‘énergie par pompage) qui sont la seule façon aujourd’hui techniquement maîtrisée de stocker de l’électricité à grande échelle. Mais les STEP ont absolument besoin d’un mode de rémunération spécifique.

La Cour des comptes a rendu public le 6 février un référé sur le renouvellement des concessions hydroélectriques qu’elle a adressé le 2 décembre 2022 à la Première ministre Elisabeth Borne. Il s’agissait d’une véritable mise en garde «afin d’éviter que la gestion d’ensemble du parc hydroélectrique ne se dégrade et qu’il ne puisse jouer pleinement son rôle dans la transition énergétique».

«Des années d’incertitudes»

Les magistrats de la Cour des comptes soulignent l’existence de deux problèmes majeurs. Le premier est le calendrier d’échéance des concessions hydroélectriques en France métropolitaine, il y en a 340, qui s’étale entre 2003 et 2080. Il ouvre «des années d’incertitudes». Car ce calendrier n’est pas du tout maîtrisé. D’ores et déjà «38 concessions à ce jour sont échues et pas renouvelées» et poursuivent leur exploitation sous le régime dérogatoire des «délais glissants». Les échéances de la plupart des concessions ne sont pas coordonnées et pourtant de nombreuses installations sont «liées du point de vue de la ressource hydraulique» et ont souvent des personnels qui travaillent sur toute une chaîne de concessions.

La Cour des comptes recommande urgemment de «prendre en compte les conséquences industrielles, économiques et financières en sus des considérations juridiques, au moment d’opter soit pour la reprise en régie ou quasi régie des concessions hydroélectriques échues, soit pour leur mise en concurrence, à l’unité ou par regroupements».

Les magistrats recommandent de choisir la quasi-régie une alternative qu’ils jugent bien préférable à la mise en concurrence voulue par Bruxelles. Elle permet «au pouvoir adjudicateur d’attribuer une concession publique […] discrétionnairement à un opérateur public sur lequel il exerce un contrôle analogue à celui sur ses propres services». La renationalisation d’EDF en offre justement l’opportunité.

Les STEP auront un rôle de plus en plus important pour sécuriser le réseau

Il  y a un autre problème à régler encore plus rapidement, celui des STEP (Stations de transfert d‘énergie par pompage). Il existe quatre type d’ouvrages hydroélectriques en fonction de leurs modes d’exploitation: au fil de l’eau, en éclusées, en mode lac et donc les STEP. Elles revêtent une importance considérable car il s’agit en fait de la seule façon aujourd’hui techniquement maîtrisée de stocker de l’électricité à grande échelle. Les STEP sont constituées de deux bassins se trouvant à des altitudes différentes. Elles permettent de stocker de l’électricité en pompant l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur lorsque la demande électrique est faible et le prix de l’électricité peu élevé. Lorsque la demande électrique augmente, elles restituent de l’électricité sur le réseau en faisant passer dans des turbines l’eau du bassin supérieur.

La Cour des comptes appelle à «ne plus considérer les STEP comme des ouvrages ordinaires destinés à commercialiser de l’électricité sur le marché de détail mais comme des équipements destinés à contribuer à la flexibilité du réseau». Et elle considère qu’il faut impérativement «proposer un modèle de rémunération propre» aux STEP «à la hauteur de leur contribution au fonctionnement du système électrique français et permettant d’assurer un développement des investissements en ligne avec les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie». Pour être rentables, les STEP qui nécessitent «des investissements considérables» ne peuvent pas se rémunérer uniquement quand elles produisent de l’électricité en période de pic de consommation.

Surtout qu’elle sont appelées à se développer. En novembre dernier, le groupe d’experts de TerraWater recommandait même comme stratégie de transition énergétique alternative de faire passer en France le parc des 8 STEP en activité pour un total de puissance de 5.000 MW à 47.000 MW, et ce principalement en modernisant des installations déjà existantes!

La France a le plus important parc hydroélectrique de l’Union européenne

Avec 25,4 GW de puissance installée, la France métropolitaine dispose aujourd’hui du plus important parc hydroélectrique de l’Union européenne. L’énergie hydraulique a ainsi compté pour 12% de la production d’électricité dans l’hexagone en 2021 ce qui combiné avec le nucléaire, l’éolien et le solaire permet à la France de produire plus de 90% d’électricité décarbonée. Cela explique pourquoi avec un parc automobile constitué avant tout de petites voitures et une désindustrialisation massive depuis deux décennies, la France est l’un des pays développés consommant le moins de carburants fossiles en proportion de l’énergie utilisée.

Le parc hydroélectrique français est avant tout constitué par près de 340 ouvrages d’une puissance égale ou supérieure à 4,5 MW. Ils représentent 90% de la puissance disponible et sont exploités sous le régime de la concession de service public. Les installations plus petites, celles de moins de 4,5 MW, fonctionnent sous le régime de l’autorisation. Il y a trois principaux concessionnaires: EDF (près de 70% de la production hydroélectrique du pays), la CNR (Compagnie nationale du Rhône, environ 25%) et la SHEM (Société hydro électrique du midi, moins de 3%).

La rédaction