Transitions & Energies

Relance du programme nucléaire: les contours se précisent


Le virage à 180 degrés fait par le Président de la République en matière d’énergie nucléaire, il y a maintenant un an et demi, et la relance de la filière et d’un programme de construction de nouveaux réacteurs devient enfin concret. Il passera par la fusion des organismes de sûreté (Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)) et par le choix du site de la centrale du Bugey pour la construction des deux derniers nouveaux EPR2 de la première tranche de six après Penly et Gravelines. Mais le plus significatif sans doute est le renforcement des moyens du commissariat à l’énergie atomique (CEA). On peut même parler de résurrection pour une institution dont les moyens n’ont cessé de fondre depuis des décennies et qui a porté si haut la recherche nucléaire française avant d’être laminée pour des raisons politiciennes y compris pendant des années par Emmanuel Macron.

Après plusieurs années de sommeil, un deuxième conseil de politique nucléaire (CPN) en moins de six mois s’est tenu le 19 juillet à l’Elysée. Une frénésie soudaine qui est le signe que la relance de la filière nucléaire française devient enfin concrète. Il en est sorti plusieurs annonces attendues.

Commençons par la plus controversée : la réforme de la sûreté nucléaire. Le pouvoir politique a décidé il y a quelques mois -contre toute attente- d’ouvrir ce dossier chaud afin officiellement de gagner en efficacité et de doter les instances françaises de contrôle des moyens nécessaires afin de faire face à l’augmentation rapide de leur activité. Il est vrai qu’entre le programme de nouveaux EPR2, la prolongation du parc existant, l’objectif de la fabrication d’un SMR (petit réacteur modulable) dès 2030, les travaux sur les réacteurs de 4ème génération… Après des années de calme relatif, les 12 travaux d’Hercule s’annoncent pour les spécialistes de la sécurité nucléaire.

Le retour de la fusion ASN-IRSN

La solution trouvée par le gouvernement consiste à fusionner l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), autorité indépendante, et l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), établissement public. En fait, l’ASN absorbe l’IRSN, ce qui évidemment n’est pas vraiment du goût du personnel de l’établissement public. Ce projet avait donc suscité la fureur des syndicats de l’IRSN lorsqu’il avait été annoncé en février dernier. Prudemment, et en plein réforme des retraites, le gouvernement avait alors renoncé à inclure celle-ci dans le projet de loi d’accélération du nucléaire votée au printemps. Mais après que l’OPECST (Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques) ait rendu récemment un rapport favorable à cette fusion, le choix du Président de la République à l’issue du CPN est de mener le rapprochement et la simplification à leur terme. Les arguments du gouvernement sont que cela mettra fin à l’existence d’un duo d’institutions indépendantes vis-à-vis de l’état et de l’exploitant (EDF) mais aussi l’une de l’autre qui a contribué à augmenter la complexité de la gestion des équipements nucléaires, de leur entretien et de leur construction, sans gain réel en termes de sûreté.

Les deux derniers réacteurs EPR2 de la première tranche seront construits au Bugey

La deuxième annonce est le choix du site de Bugey (voir la photographie ci-dessus) pour la construction des deux derniers nouveaux EPR2 de la première tranche de six. Petit retour en arrière. À Belfort  en février 2022, le Président de la République, alors candidat à sa réélection, avait surpris tout le monde, et renoncé soudain à des années d’opposition à l’énergie nucléaire, en annonçant la construction de 14 nouveaux EPR2 en deux tranches, une première de 6 réacteurs (3 paires) et une seconde, éventuelle, de 4 autres paires.

Le choix des sites des deux premières paires est allé très vite  Penly qui avait déjà vu un projet avorté il y a une dizaine d’années, et Gravelines. D’autres sites avaient alors fait acte de candidature pour accueillir eux aussi des réacteurs de cette génération, mais il a vite été clair que deux sites pouvaient accueillir cette troisième paire : Tricastin et Bugey, tous les deux en Rhône-Alpes.

C’est donc le second qui a été choisi pour compléter la première commande de six EPR2. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix, et notamment le fait que Tricastin accueille aussi l’usine Georges-Besse 2 qui va voir des travaux majeurs d’agrandissement pour augmenter sa capacité d’enrichissement de l’uranium.

Tricastin devrait cependant être retenue dans le cadre des 8 réacteurs suivants, pour lesquels d’autres sites sont envisagés (comme Chooz, Cattenom, Blayais ou Chinon).

La résurrection du Commissariat à l’énergie atomique

Moins médiatique mais tout aussi intéressant est la décision annoncée d’un renforcement «significatif» (en attendant nous l’espérons des chiffres plus précis) des moyens du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Moyens qui ont eu tendance à fondre depuis des décennies pour des raisons purement politiciennes, y compris par Emmanuel Macron, avec la fermeture progressive d’un certain nombre de réacteurs de recherche dont il n’en reste qu’un en activité.

Ce soutien accru passe par la réaffirmation de la volonté d’achever la construction du réacteur Jules Horowitz, qui s’il est inconnu du grand public, devrait permettre à partir du début de la prochaine décennie de mener un grand nombre d’expérimentations dans le cadre du développement des très prometteurs réacteurs à neutrons rapides dits de 4ème génération. Ils permettent d’utiliser les déchets existants comme combustibles et de passer à la surgénération (fabriquer plus de plutonium que celui consommé par le réacteur). Le réacteur Jules Horowitz permettra de redonner au CEA les moyens de ses nouvelles ambitions et de celles de la France en matière de recherche nucléaire civile.

L’ensemble de ces annonces marquent des étapes enfin concrètes dans la relance de la politique nucléaire de la France. Malgré tout, il convient, avec l’expérience acquise, d’attendre de voir que les faits suivent les paroles…

Philippe Thomazo

La rédaction