Transitions & Energies

Sur la relance du nucléaire, le gouvernement fait feu de tout bois


Avec le zèle des nouveaux convertis, Emmanuel Macron et Elisabeth Borne multiplient les initiatives pour accélérer le programme de construction de nouveaux réacteurs nucléaires et redonner à cette industrie de l’élan et de l’ambition. La question du nombre maximum de nouveaux réacteurs, que la filière française est capable de construire d’ici 2050, n’est plus tabou et plus limité à 14 et la possibilité d’augmenter la puissance des réacteurs existants, en touchant uniquement aux performances des générateurs de vapeur, va être étudiée de près.

La relance de l’industrie nucléaire commence à prendre forme en France. En février 2021, un an avant l’invasion de l’Ukraine, le président de la République Emmanuel Macron avait annoncé à la surprise générale la commande de 6 nouveaux réacteurs de type EPR2 ainsi que 8 autres en option. Puis la guerre en Ukraine et la crise énergétique étant passées par là, l’urgence s’est faite plus pressante, et les initiatives se sont multipliées dans un pays où traduire les initiatives dans les faits est devenu d’une infinie lenteur et lourdeur.

Ainsi, un projet de loi a été présenté et voté en première lecture au Sénat pour réduire le poids des règlements, des contraintes administratives et des multiples autorités (le véritable cancer de l’industrie française) dans les nouveaux projets nucléaires. Le texte arrive désormais devant l’Assemblée nationale.

Six, quatorze ou vingt nouveaux réacteurs?

En parallèle, le gouvernement a lancé une réforme -encore floue- de la sûreté nucléaire afin de la doter des moyens humains et financiers pour faire face à l’augmentation de la charge de travail à venir.

Le troisième chantier ouvert a été celui de la prolongation de la durée de vie du parc existant. Considérant que le réacteur qui coûte le moins cher est celui qui est déjà construit et est en service depuis des décennies, il était urgent de lever le tabou de la prolongation de leur durée de vie tant que les conditions de sécurité le permettent. C’est désormais chose faite.

Mais cette semaine, le ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, vient d’ouvrir deux nouveaux fronts. Le premier est celui du nombre de nouveaux réacteurs qui pourrait aller jusqu’à 14 selon les annonces faites par Emmanuel Macron à Belfort le 10 février 2022. Ce nombre de 14 ne sortait pas alors de nulle part mais était issu du rapport de RTE  (Réseau de transport d’électricité) «Futurs énergétiques 2050» rendu public quelques mois plus tard. Pour RTE, 14 réacteurs était considéré comme étant la capacité de construction maximale de la filière dans le laps de temps imparti.

Les chiffres de RTE contestés

Mais cette affirmation de RTE a fait couler beaucoup d’encre dans la filière nucléaire française. Beaucoup considèrent qu’en cas de relance d’un plan de construction ambitieux, l’industrialisation de la fabrication des différents éléments composant une centrale pourrait permettre d’aller plus loin. Certains expliquent ainsi que le plus difficile et le plus long est d’usiner la première pièce, mais qu’une fois que celle-ci est achevée, en construire 6, 14 ou 20 autres à partir du même moule est infiniment plus rapide. Et moins cher. C’est le fameux «effet de série» sur lequel le projet EPR2 veut s’appuyer pour réduire ses coûts afin d’arriver à un objectif affiché de 70€/MWh.

Le deuxième facteur de réduction des délais est «l’effet d’apprentissage». L’EPR de Flamanville qui accumulé les retards et les malfaçons était le premier chantier lancé depuis plusieurs décennies. Les différents corps de métiers ont dû repartir d’une page blanche afin d’imaginer -puis faire valider par les autorités de sûreté l’ASN et l’IRSN- tous les processus de montage du réacteur, demandant un temps énorme d’ingénierie avant même de souder le premier tube.

Le gouvernement veut aller plus loin

«L’effet d’apprentissage», c’est la prise en compte du fait que sur les futurs EPR2, les équipes qui auront eu à souder le premier circuit vont y passer du temps, mais que le deuxième circuit identique prendra beaucoup moins de temps, et ainsi de suite. C’est aussi considérer que la visibilité sur un nombre de constructions importantes permet d’engager la formation en conséquence des équipes en amont permettant de disposer de la main d’œuvre nécessaire afin d’avoir à disposition à un horizon 2035 – 2045 un nombre suffisant de techniciens compétents dans chacun des corps de métier.

Face à ces diverses objections, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, a ainsi annoncé qu’elle allait réinterroger l’ensemble de la filière nucléaire sur ce chiffre de 14 réacteurs, et quel serait le potentiel pour éventuellement faire plus.

Augmenter les capacités de production des anciens réacteurs

La deuxième annonce importante est celle de l’augmentation des capacités de production des réacteurs déjà existants. En effet, comme nous l’avons déjà vu, il est possible d’augmenter la puissance des centrales en cours de vie. La plupart des pays utilisant des réacteurs de même technologie (REP, de Westinghouse) l’ont déjà fait par le passé. Et pour se faire, ils ont fait appel à… des entreprises françaises.

Cette possibilité avait déjà été évoquée par EDF dans le passé. Avant d’être enterrée durant les années 2010 avant tou  pour des raisons économiques. La France était alors en importante surproduction électrique et les prix des marchés de l’électricité étaient à des niveaux tellement bas que la production était souvent vendue à perte. Augmenter celle-ci était donc un non-sens financier.

Mais 10 ans plus tard, la situation a bien changé. Et aujourd’hui, augmenter de 10% la puissance des réacteurs existants permettrait de gagner la capacité de 4 nouveaux EPR pour un investissement qui devrait être mineur. En interne à la filière, une source m’indiquait que le plus gros changement sur les autres réacteurs européens ayant subi cette augmentation consistait à l’installation d’un nouveau générateur de vapeur.

Or, une grande partie des générateurs de vapeur ont été changés ou sont en cours de remplacement sur le parc actuel d’EDF dans le cadre de la modernisation des installations existantes à l’occasion de leur visite décennale. Et les nouveaux générateurs installés sont tout à fait en capacité de supporter une augmentation de charge de 10%. Donc, l’augmentation de capacité de production électrique des réacteurs français ne nécessiterait pas, si elle était décidée, de grands changements et de grands investissements.

Cela dit, cela exigera tout de même un travail important d’ingénierie et de contrôle, mais le potentiel est là. On peut en tout cas se féliciter de voir que tous les axes de développement de la production nucléaire sont maintenant envisagés et étudiés sans tabous.

Philippe Thomazo

La rédaction