Transitions & Energies

Pour devenir plus populaire, l’Agence internationale de l’énergie a choisi de prendre ses désirs pour la réalité


L’AIE (Agence internationale de l’énergie) est depuis 49 ans une autorité dans le monde de l’énergie. Le problème est qu’elle a suivi depuis quelques années la voie de nombreuses institutions internationales et même nationales quand il s’agit de construire des scénarios de transition énergétique. Le militantisme et le volontarisme ont pris le pas sur le réel, ce qui a conduit à l’élaboration de scénarios et d’hypothèses de plus en plus improbables. Comme par exemple le fait, pour parvenir à « net zéro » émissions de gaz à effet de serre en 2050, que la consommation et les prix des énergies fossiles vont baisser rapidement et naturellement dès 2030…

L’Agence internationale de l’énergie (AIE), basée à Paris, est une institution internationale fondée en 1974 au sein de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) avec pour mission de travailler à la sécurité d’approvisionnement en énergie. Dans un discours devenu célèbre de décembre 1973, baptisé Pilgrim Speech, Henry Kissinger, alors Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, se proposait d’apporter une réponse au choc pétrolier qui était « la garantie de l’approvisionnement en énergie nécessaire à un coût raisonnable ».

L’AIE était un outil de cet engagement. L’institution a pendant longtemps été caractérisée par le caractère particulièrement austère de ses rapports, par une réticence  certaine envers la transition énergétique et un attachement à la sécurité des approvisionnements pétroliers. Ce qui lui a été reproché. Mais au cours des dernières années, elle a changé totalement de doctrine au point de devenir un fer de lance de la transition et des objectifs de décarbonation accélérée. Le problème, est qu’en passant d’un extrême à l’autre, l’institution a parfois perdu pied avec le réel. Elle pratique maintenant assez souvent la méthode Coué. Sa feuille de route pour parvenir au fameux « net zéro » émissions en 2050 (Net Zero by 2050: A Roadmap for the Global Energy Sector) publié en 2021 et depuis plusieurs fois actualisé présente de très, trop, nombreuses failles méthodologiques. Comme si les hypothèses avaient été choisies en fonction du résultat à atteindre et pas de la réalité.

«Des hypothèses irréalistes, incohérentes… »

Ces failles sont notamment détaillées dans une étude publiée récemment aux Etats-Unis par la Energy Policy Research Foundation. Une organisation encore plus ancienne que l’Agence internationale de l’énergie qui a été elle fondée en 1944. Son document est sans appel. « Les hypothèses de l’AIE sont irréalistes, incohérentes et soutiennent souvent les arguments en faveur d’une augmentation de la production d’hydrocarbures. En réalité, la feuille de route zéro net de l’AIE est un mirage vert qui augmentera considérablement les coûts de l’énergie, dévastera les économies occidentales et augmentera les souffrances humaines ».

L’hypothèse fondamentale qui sous-tend la feuille de route zéro net de l’AIE est que la supériorité des alternatives aux hydrocarbures, notamment en termes de coûts – principalement l’éolien et le solaire (le nucléaire est à peine pris en compte) – entraînera une diminution de la demande de charbon, de pétrole (peak oil) et de gaz naturel.

Une baisse de la demande et des prix des hydrocarbures qui ne correspond en rien à la réalité

Le problème est que l’hypothèse de l’AIE d’une baisse rapide de la consommation d’énergies fossiles ne correspond pas du tout à la réalité actuelle. La demande d’énergies fossiles, y compris même de charbon, ne cesse de croître. Et pourtant, à partir de cette hypothèse l’AIE échafaude un scénario de baisse des prix des hydrocarbures. Le baril de pétrole descendrait à 35 dollars en 2030 (moins de la moitié de son prix actuel) ; et, pour le gaz naturel, à 2,1 dollars par million de Btu (MMBtu) aux États-Unis et 2,0 dollars dans l’Union Européenne en 2030. Des prévisions d’autant plus problématiques qu’une forte baisse des investissements dans les énergies fossiles ne peut que restreindre l’offre et faire monter les prix. Ce qui n’est pas forcément ce que souhaite ou anticipe l’AIE.

Bannir les investissements dans les hydrocarbures est le meilleur moyen de ne pas parvenir à zéro net émissions en 2050

Une partie du problème vient du fait que selon l’AIE les partisans du scénario « zéro net » auraient mal interprété, à dessin ou pas, sa position selon laquelle il ne faut plus investir dans de nouveaux gisements de pétrole et de gaz. Cela a entraîné de nombreux appels visant tout simplement à bannir tout investissement dans les fossiles pour réduire progressivement l’offre de pétrole et de gaz, faire monter les prix et ainsi restreindre la consommation par la destruction de la demande. Ce qui n’est pas du tout le scénario de l’Agence.

Elle souligne, elle-même tardivement, les conséquences désastreuses que pourrait avoir une réduction trop rapide de l’offre de pétrole et de gaz. « Réduire les investissements dans les combustibles fossiles avant, ou à la place, d’une action politique et d’une demande d’énergie propre n’aboutirait pas aux mêmes résultats que dans le scénario Net Zero Emission » met en garde l’AIE dans son World Energy Outlook 2022. « Si l’offre devait évoluer plus rapidement que la demande, avec une baisse des investissements dans les combustibles fossiles précédant une montée en puissance des technologies propres, cela conduirait à des prix beaucoup plus élevés, peut-être pour une période prolongée ».

Incohérence économique entre des investissements massifs, de l’énergie plus chère et une forte croissance économique

La thèse centrale de l’AIE est que le coût relatif des renouvelables, éolien et solaire, « donnent à l’électrification l’avantage dans la course vers net zéro » car « les technologies d’énergies renouvelables sont toujours moins chères »., Pourtant, les propres chiffres de l’AIE démontrent les problèmes liés à son scénario tout renouvelable, son équilibre économique et son financement. Il nécessite la mobilisation pendant trois décennies de quantités considérables de capital, de main-d’œuvre et de surfaces pour produire moins d’énergie.

Aucune théorie économique ne peut démontrer que l’augmentation des besoins en surfaces terrestres et maritimes, en travail et en capital pour une production moindre peut déboucher sur une croissance économique durable. Au contraire, cela correspond plutôt aux difficultés macroéconomiques actuelles, caractérisées par une inflation élevée et une croissance faible.

La souveraineté énergétique et la sécurité d’approvisionnement n’existent pas

Plus étonnant encore, puisque l’AIE a justement vu le jour pour prendre en compte cette dimension, la question géopolitique de souveraineté énergétique et de sécurité d’approvisionnement est traitée avec désinvolture. Les conséquences de l’invasion de l’Ukraine en février 2022 par la Russie sont pourtant venues rappeler la nécessité d’assurer pour les Etats leur sécurité d’approvisionnement énergétique. Une question qui n’existe presque pas pour l’AIE.

C’est notamment flagrant quand dans la la feuille de route « net zéro » la part du marché mondial du pétrole détenue par l’Opep passerait de 37% à 52% en 2050. Ce qui selon même l’AIE serait un niveau de contrôle du marché « plus élevé qu’à n’importe quel moment de l’histoire des marchés pétroliers ». Ce qui au passage est totalement incohérent avec une baisse tendancielle des prix du pétrole tant l’existence même de l’Opep répond à la volonté des pays producteurs de contrôler les prix du baril et de les maintenir à un niveau élevé. Et encore, il existe un scénario encore plus problématique. Si les producteurs non membres de l’Opep – sous la pression des investisseurs socialement responsables – suivent le profil « net zéro » et réduisent fortement leur production de pétrole tandis que les producteurs de l’Opep maintiennent leurs niveaux d’investissements, la part de l’Opep dans la production mondiale pourrait même atteindre le chiffre stupéfiant de 82% d’ici à 2050, un quasi-monopole détenu par un cartel.

L’objectif de la transition énergétique est simple à définir. Il consiste à substituer des énergies bas carbone aux carburants fossiles. Mais pour y parvenir faut-il encore le faire de façon réaliste et ordonnée. Détruire l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle et appauvrir ainsi les populations et les pays est la meilleure façon de ne pas réussir la transition. Il ne faut pas non plus perdre de vue que pendant encore quelques décennies, qu’on le veuille ou non les énergies bas carbone vont nécessiter un approvisionnement en carburants fossiles à des coûts acceptables pour être développées et pour la fabrication, le transport et l’installation des nouveaux équipements.

Le problème avec la transition énergétique est toujours le même : le volontarisme qui est à la fois populaire et médiatique est compréhensible mais dangereux. Notamment, s’il ne tient pas compte du réel parce qu’il crée des illusions sur la rapidité à laquelle peut être menée la transition et sur son coût économique et social. Ce n’est surtout pas la mission de l’AIE d’alimenter ses illusions…

La rédaction