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Quand l’AIE prend ses désirs pour la réalité


L’Agence internationale de l’énergie (AIE) veut croire dans sa dernière étude que l’invasion de l’Ukraine et la crise énergétique qu’elle a provoqué, notamment en Europe, vont accélérer le remplacement des carburants fossiles par des sources d’énergie décarbonées. Un pari incertain. L’appauvrissement de l’Europe, sa perte de compétitivité économique et industrielle, son affaiblissement financier, les pénuries potentielles de gaz et d’électricité et l’inflation des prix des matières premières stratégiques ne créent pas vraiment un contexte favorable à des investissements massifs et soutenus dans les véhicules électriques, les renouvelables, l’hydrogène, la géothermie, le nucléaire…

Au cours des dernières années, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a changé de positionnement et de ton pour se faire entendre et pour peser dans les débats publics et sur les décisions prises par les Etats et les institutions internationales. Ce faisant, elle est devenue à la fois plus directive et plus militante pour le meilleur et parfois pour le pire. Elle a ainsi demandé l’arrêt total de tout investissement dans les énergies fossiles, avant de changer totalement d’avis quelques mois plus tard… Sa dernière étude, le World Energy Outlook 2022, peut se classer dans une autre catégorie, le «wishful thinking» ou prendre ses désirs pour la réalité.

La question majeure de la sécurité d’approvisionnement

L’AIE voit dans la crise d’approvisionnement de l’Europe en gaz et en pétrole russes depuis l’invasion de l’Ukraine, et même avant déjà pour le gaz, une accélération de la transition énergétique et de la substitution de sources d’énergie décarbonées aux carburants fossiles. C’est une hypothèse séduisante, mais fragile. Car l’appauvrissement de l’Europe et de sa population, sa perte de compétitivité économique et industrielle, son affaiblissement financier, les pénuries potentielles de gaz et d’électricité et l’inflation des prix des matières premières dites stratégiques et des composants électroniques ne créent pas vraiment un contexte favorable à des investissements massifs et soutenus dans les véhicules électriques, les renouvelables, l’hydrogène vert, la géothermie, le nucléaire, les carburants synthétiques… Et cela en dépit des annonces, des promesses, des réglementations et des nouvelles contraintes imposées à l’échelle française comme européenne.

L’AIE insiste sur le fait que l’un des moteurs de la transition pourrait être la recherche de la sécurité d’approvisionnement énergétique. Et il est vrai que les renouvelables sont produits localement, mais pas les équipements et les métaux qui permettent de les construire. Ce qui est le cas également pour les véhicules électriques. En outre, les renouvelables sont pour l’éolien et le solaire des sources d’énergie intermittentes et aléatoires, ce qui est tout sauf un gage de sécurité d’approvisionnement. Illustration: 3.800 milliards de dollars ont été investis dans le monde dans les renouvelables au cours des dix dernières années selon Goldman Sachs, et dans le même temps, la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial est revenue de 82 à 81%…

Le pari du déclin du gaz naturel

En fait, l’AIE fait le pari d’un déclin du gaz naturel comme énergie fossile «de transition», notamment pour remplacer le charbon, ce que par exemple l’Allemagne souhaitait faire et ce que les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Espagne ont déjà fait. «La crise énergétique mondiale déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie provoque des changements profonds et durables susceptibles d’accélérer la transition vers un système énergétique plus durable et plus sûr… L’ère de la croissance rapide de la demande de gaz naturel touche à sa fin», écrit l’AIE.

Dans son scénario dit «STEPS» pour «Stated Policies», construit sur les politiques annoncées, l’Agence estime que la consommation mondiale de gaz va «augmenter de moins de 5% entre 2021 et 2030, puis rester stable à environ 4.400 milliards de m3 par an jusqu’en 2050». La dynamique portant le gaz naturel a nettement ralenti, y compris dans les économies en développement, notamment en Asie du Sud et du Sud-Est. Car les prix se sont envolés. Reste qu’entre les politiques énergétiques annoncées et la réalité, il y a souvent un fossé.

D’ailleurs, selon l’AIE «la majeure partie de la révision à la baisse de la demande gazière d’ici à 2030 dans le scénario STEPS présenté cette année est due à un passage plus rapide à l’énergie propre, mais environ un quart est également dû au fait que le gaz perd de l’importance au profit du charbon et du pétrole».

La Chine ne ralentit pas ses projets charbonniers… au contraire

La question est de savoir si les investissements dans les énergies décarbonées seront suffisants et si le recours, plus facile, au charbon et au pétrole ne prendra pas le dessus. La Chine, premier consommateur mondial d’énergie, de loin, et premier émetteur de gaz à effet de serre, de loin, ne ralentit pas ses projets charbonniers… au contraire.

Les travaux de construction de centrales au charbon pour une capacité de production électrique de 165 gigawatts doivent commencer l’année prochaine comme l’a annoncé la National Development and Reform Commission. Le Président de China Energy Engineering a même estimé que le pays pourrait se doter de 270 gigawatts de nouvelles capacités, c’est tout simplement un parc de centrales à charbon plus important que ce qui existe aujourd’hui dans aucun autre pays. La stratégie chinoise est claire. Eviter les erreurs commises par l’Europe et dans une moindre mesure les Etats-Unis qui a consisté à cesser d’investir dans les énergies fossiles avant que les renouvelables soient réellement capables de les remplacer. A l’occasion du dernier Congrès du parti communiste chinois, le Président reconduit pour cinq ans, Xi Jinping, a affirmé «le principe de construire le nouveau avant de jeter l’ancien».

En tout cas, dans son scénario STEPS, l’AIE voit la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial descendre en dessous de 75% d’ici à 2030 et se situer «juste au-dessus de 60% à l’horizon 2050». Les émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie pourraient, selon ce scénario, atteindre un pic en 2025 -à 37 milliards de tonnes- et descendre à 32 milliards de tonnes en 2050. Prendre ses désirs pour la réalité.

La rédaction