Transitions & Energies

Le plan de décarbonation du gouvernement, des mots, des promesses et un sérieux problème de crédibilité


La Première ministre Elisabeth Borne, également «chargée de la Planification écologique et énergétique», a présenté lundi 22 mai le plan du gouvernement pour accélérer d’ici 2030 la décarbonation de l’économie. Un catalogue très général de mesures concernant les transports, le logement, l’industrie, l’agriculture, déjà annoncées pour la plupart, et dont l’accélération de la mise en œuvre n’est pas financée et encore moins préparée sur le plan technique comme économique. Ainsi, l’accélération de la décarbonation ne peut se faire sans des investissements massifs évalués par les économistes à plus de 50 milliards d’euros par an. Où les trouver? Cela implique aussi une augmentation rapide de l’électrification des usages dans les transports, l’industrie et le chauffage et la climatisation des bâtiments. Mais d’où viendra la production d’électricité décarbonée supplémentaire indispensable?

On allait voir ce qu’on allait voir. Le gouvernement par la voix de la Première Ministre, ancienne ministre de l’écologie et  «chargée de la Planification écologique et énergétique», présentait lundi 22 mai son plan d’accélération de la réduction par le pays de ses émissions de gaz à effet de serre. Elisabeth Borne s’exprimait devant le Conseil national de la transition écologique, énième comité Théodule, un organe consultatif dont la France a le secret rassemblant ONG, syndicats, patronat, collectivités… La Première ministre a ainsi identifié les leviers considérés comme les plus «crédibles» pour décarboner l’économie notamment l’électrification des transports, la décarbonation des usines et le remplacement de millions de chaudières au fioul et à gaz.

Rien de vraiment nouveau et surtout rien de vraiment «crédible» pour reprendre le terme d’Elisabeth Borne. C’est une chose d’annoncer une accélération et une mobilisation de toutes les filières économiques, cela en est une autre de se donner les moyens financiers, technologiques, économiques et même sociaux de le faire. Car le plan présenté est avant tout un catalogue de mesures en grande partie existantes et de prévisions qui y sont associées, plus ou moins réalistes, de baisses des émissions. Ainsi, les transports devront passer de 129 à 92 millions de tonnes équivalent de CO2 par an, l’industrie de 72 à 45 millions de tonnes, l’énergie de 47 à 27, le bâtiment de 64 à 30 et l’agriculture de 81 à 68. Une telle accélération nécessite des investissements considérables, représentant chaque année 2 à 3% du Pib du pays d’ici 2030, soit entre 50 et 75 milliards d’euros par an.

Les besoins d’investissements publics et privés nécessaires d’ici 2030 oscillent ainsi entre 22 milliards d’euros par an, selon les calculs de l’Institute for Climate Economics et 100 milliards selon une estimation de l’Ademe et du Commissariat général au développement durable. Les évaluations convergent vers «un ordre de grandeur de 2,5 points de Pib», soit plus de 65 milliards, écrivait France Stratégie, dans une analyse de novembre 2022 intitulée «L’action climatique: un enjeu macroéconomique». L’économiste Jean Pisani-Ferry l’a estimé pour sa part, dans un rapport réalisé avec France Stratégie et remis à la Première ministre le 22 mai, à une somme comprise entre 25 à 34 milliards d’euros pour le seul investissement public annuel d’ici 2030. Ce même rapport évalue le coût de la rénovation thermique de son logement et de l’achat d’un véhicule électrique à 2,5 années de revenus pour un ménage moyen et quatre années de revenus pour un ménage modeste…

Pour électrifier et décarboner les usages, il faut produire beaucoup plus d’électricité bas carbone…

Et il n’y a pas que les problèmes de financements. L’accélération de la décarbonation ne peut se faire que par une augmentation rapide de l’électrification des usages à la fois dans les transports, l’industrie et le chauffage et la climatisation des bâtiments. Les projets de production d’hydrogène vert (par électrolyse avec de l’électricité bas carbone) et de décarbonation des aciéries, des verreries, des cimenteries et des transports lourds nécessitent beaucoup d’électricité décarbonée. De quelles nouvelles centrales et nouveaux parcs solaire et éolien proviendra-t-elle? Personne ne le sait.

Transports, bâtiment, agriculture, industrie… tous les secteurs devront donc faire leur part a expliqué la Première ministre si la France veut réduire ses émissions de CO2 d’ici 2030 de 55% par rapport au niveau de 1990, conformément aux nouveaux objectifs qu’a décrété l’Union européenne, sans se préoccuper vraiment d’ailleurs des moyens pour le faire et de l’impact économique, social et politique d’une telle ambition. En fait, Elisabeth Borne a annoncé une réduction de «seulement» 50% des émissions d’ici 2030 ce qui revient tout de même à les ramener dans sept ans à 270 millions de tonnes équivalent de CO2 par an contre 408 millions l’an dernier. Cela implique de les faire baisser à un rythme deux fois plus rapide que jusqu’à aujourd’hui. Sachant que ce qui a été fait en trois décennies, notamment dans la production électrique et avec la désindustrialisation du pays, est le plus facile. Les objectifs annoncés sont tout simplement intenables sauf à renoncer d’ici la fin de la décennie à toute croissance économique.

Car jusque-là, la France visait une baisse de 40% de ses émissions d’ici 2030 et n’était de toute façon pas sur une trajectoire permettant de le faire en affichant -25% en 2022. Cela a d’ailleurs valu au gouvernement deux procédures lancées devant la justice par des ONG qui ont le plus grand mal, comme les juges d’ailleurs, à reconnaître qu’en fait la France est d’ores et déjà l’un des pays développés les plus décarbonés (Voir l’infographie ci-dessous). Elle le doit à sa désindustrialisation, à une production électrique bas carbone à plus de 90% grâce au nucléaire, à l’hydraulique et dans une moindre mesure à l’éolien et au solaire et au fait que son parc automobile est constitué en très forte proportion de petits véhicules et de voitures à moteur diesel qui consommant peu émettent peu de CO2 (mais beaucoup de particules fines).

Cela n’empêche pas le gouvernement de cibler en priorité les transports. Le plan annoncé passe par l’électrification des véhicules et plus nébuleux plus de covoiturage et un effort sur la logistique face au développement rapide des livraisons à domicile. Sachant que le passage à marche forcée à l’électrique des voitures individuelles se heurte aujourd’hui à une résistance grandissante de la France périphérique et de celle des salariés aux revenus modestes (les gilets jaunes et les opposants à la réforme des retraites).

Dans le logement, la rénovation énergétique des bâtiments, dont les performances jusqu’à aujourd’hui ont été catastrophiques en dépit des milliards d’euros dépensées en subventions et aides diverses, et le changement rapide des modes de chauffages sont les priorités annoncés. Et dans l’agriculture, il est question de gains sur l’élevage et sur l’utilisation des engrais azotés, indispensables si on ne veut pas voir les rendements s’effondrer et les prix des produits alimentaires s’envoler.

Un manque flagrant de stratégie et de réalisme

«La moitié de l’effort sera accompli par les entreprises -et notamment les grandes entreprises, un quart par l’État et les collectivités, et le dernier quart par les ménages», a expliqué Elisabeth Borne. Comment? Tout cela manque de méthode et de cohérence. A savoir d’une stratégie précise et réaliste de décarbonation par activités avec des choix technologiques clairs, des moyens donnés aux acteurs pour les mettre en œuvre et un suivi régulier des résultats en ajustant les objectifs aux réalités économiques et techniques. Au lieu de cela… des réunions sont prévues entre ministres et acteurs concernés (industrie, agriculture, transports, bâtiment), pour affiner le plan d’ici fin juin et la tenue d’un «conseil de planification écologique», encore un titre ronflant et un organe dont l’utilité reste à démontrer, autour d’Emmanuel Macron. Au second semestre 2023, des projets de loi de programmation énergie-climat et d’orientation agricole seront soumis au Parlement.

Tout cela donne un sentiment assez navrant de légèreté et d’effet d’annonce. Les mesures présentées existent déjà presque toutes. Que ce soit le soutien à l’achat et la production de voitures électriques et de leurs composants (batteries), l’accélération de la relance d’un programme de construction de réacteurs nucléaire et du développement des renouvelables éolien et solaire pour produire plus d’électricité décarboné, et l’interdiction de nouveaux équipements de chauffage comme les chaudières fioul. Et il reste une multitude de sujets épineux, comme par exemple celui du remplacement progressif des huit millions de chaudières à gaz existantes dans les logements et les bâtiments.

La rédaction