Transitions & Energies
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Le casse-tête de la rénovation énergétique des bâtiments


Difficile d’échapper au leitmotiv : « La meilleure des énergies, c’est celle que l’on ne consomme pas. » Pas un homme politique, Emmanuel Macron le premier, n’omet de répéter cette affligeante banalité, à chaque fois qu’une occasion se présente. C’est-à-dire assez souvent, en ce moment. Du côté du bâtiment, l’isolation occupe donc le rôle central de la stratégie française. Et tant pis si l’intendance a du mal à suivre… et si les promesses de la rénovation sont très exagérées. Par Jean Baptiste Giraud. Article paru dans le numéro 16 du magazine Transitions & Energies

La France comptait 63 000 entreprises agréées « RGE » pour « Reconnu garant de l’environnement » fin 2022… contre plus de 65 000 un an plus tôt. Ennuyeux, quand on sait que les travaux de rénovation énergétique des bâtiments, et en premier lieu, d’isolation, doivent être effectués par des entrepreneurs agréés !

Des entrepreneurs qui, depuis plusieurs années déjà, sélectionnent les demandes de devis, délaissant volontairement les moins rentables. Et tant pis si parfois, ce sont justement ces demandes les plus modestes en apparence dont l’impact sur la consommation d’énergie serait la plus grande.

Chantiers bâclés, inachevés, bidons…

Il faut dire que la labellisation RGE, apparue en 2011, et censée réguler le métier, a surtout institutionnalisé la course aux aides, primes, subventions, au détriment de la recherche des vraies économies d’énergies. Ce sont en effet les artisans labellisés qui remplissent les dossiers pour leurs clients : ils en font même le plus souvent un argument de vente. Pour ne pas dire le seul se battant entre eux sur le moindre « reste à charge », capables, par un coup de baguette magique, d’améliorer leur devis sur présentation d’un devis concurrent, qui en cherchant un certificat CEE supplémentaire, qui en dénichant une aide facultative.

Conséquence, on ne compte plus les chantiers bâclés, inachevés, voire parfois totalement bidons. Et en corollaire, les recours individuels ou collectifs de clients lésés par des artisans « agréés », mais surtout, véreux. Qui ont touché les aides, mais pas, ou mal effectué les travaux. Pendant que leurs clients escroqués remboursent des crédits inutiles.

La fameuse isolation des combles à 1 euro, promue à grand renfort de campagnes publicitaires dans les médias et sur les réseaux sociaux, n’est qu’un des volets les plus visibles de l’affaire. Les récentes réformes des dispositifs d’aide Ma Prime Renov et des certificats CEE ont mis théoriquement fin aux magouilles, en supprimant l’effet d’aubaine de la gratuité.

Le miroir aux alouettes des pompes à chaleur

Heureusement, les pompes à chaleur censées réduire « de 60 % les factures de chauffage » ont largement pris le relais. Des PAC, bien souvent non conformes, qui transforment certains logements en glacière, tout en faisant exploser les factures d’électricité de leurs occupants ! Une pompe à chaleur air/air installée dans un logement est en effet totalement inefficace quand la température ambiante passe sous la barre des 5 °C. Les résistances électriques intégrées prennent alors le relais, engloutissant les kWh. Si, en prime, la PAC a été posée dans un logement pas, ou mal isolé, parfois, parce que les occupants ont différé les travaux pour des raisons financières, sans que l’installateur agréé ne les alerte des risques… la situation tourne au cauchemar. Et les factures d’électricité tombent, en même temps que les mensualités de crédit.

Soyons cependant honnêtes : la baisse du nombre d’entrepreneurs agréés RGE est théoriquement bon signe, celui de la purge initiée par les organismes certificateurs, en premier lieu, Qualibat, qui délivre l’agrément aux trois quarts des professionnels. L’organisme, association loi 1901 créée à l’initiative du gouvernement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui opère une quasi-mission de service public, s’est lancée dans une campagne de chasse aux sorcières. Les clients d’installateurs agréés RGE reçoivent ainsi des courriers leur demandant de qualifier les travaux réalisés chez eux, à charge pour eux de signaler d’éventuels manquements du professionnel. Mais, loin de garantir l’anonymat des clients mécontents, Qualibat s’empresse d’envoyer les questionnaires aux professionnels audités ! Qui ne se privent pas de menacer, parfois physiquement, leurs clients, afin d’obtenir qu’ils révisent leur position… qui pourrait leur coûter l’agrément RGE.

L’isolation doit être totale, sinon son efficacité est faible

Maintenant, il y a aussi les clients pour lesquels tout se passe bien : les travaux de rénovation, complets, produisent les effets attendus, et diminuent effectivement de 30 % (le plus souvent) à 50 % (quand on revient de loin) les dépenses énergétiques. Mais pour cela, il faut que les travaux de rénovation soient effectivement vraiment complets !

Bien des chantiers, souvent pour des raisons budgétaires, ne s’attaquent qu’à une seule cause de déperdition d’énergie. Ainsi, le chantier le plus classique, le remplacement de fenêtres simple vitrage par des doubles vitrages, n’est pas satisfaisant, si les murs et les toits ne sont pas simultanément isolés eux aussi. Conséquence, les économies d’énergie réalisées, et le gain financier espéré à la clef, aides comprises, ne couvre parfois pas le quart de la dépense…

Les choses devraient évoluer positivement avec l’augmentation du coût de l’énergie, permettant d’amortir plus vite les travaux d’isolation, du moins pour ceux qui les ont réalisés ces dernières années. Car pour les autres, c’est la double peine : non seulement le prix de l’énergie augmente, mais celui des travaux aussi, et très vite encore !

Un bénéfice qui s’estompe en cinq ans !

Mais il y a pire : d’après une étude anglaise menée pendant un peu plus de dix ans auprès de 55 000 foyers ayant bénéficié de travaux d’isolation et d’amélioration énergétique, le bénéfice de ces travaux s’estomperait… en moins de cinq ans ! Pourquoi ? Tout simplement parce que les travaux réalisés modifient profondément les habitudes de vie des occupants. Il n’est ainsi pas rare que la pose de doubles vitrages s’accompagne de… l’installation d’une véranda, ou de bow-windows, outre-Manche. De véritables gouffres énergétiques. Autre exemple édifiant : le remplacement d’une vieille chaudière, qui peinait à produire de l’eau chaude sanitaire en quantité, obligeant les occupants du logement à prendre des douches courtes et espacées, par une nouvelle plus performante… provoque soudain une passion généralisée pour les bains chauds ! Plus ubuesque encore : persuadés d’avoir bien agi en isolant leur logis, les bénéficiaires de ces travaux, la conscience tranquille, n’hésitent pas à chauffer un peu plus, pour améliorer leur confort. On chauffe les couloirs qu’on ne chauffait pas avant, on aère plus souvent, les portes de communication restent ouvertes, puisque l’on ne fait plus la chasse aux courants d’air…

Autant dire que présenter la rénovation comme la mère des solutions à la transition énergétique dans le secteur résidentiel reste encore largement à démontrer.

La rédaction