Transitions & Energies
Puit de pétrole Wikimedia

Pétrole et gaz, l’heure du déclin n’a pas encore sonné


L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a un problème grandissant avec la réalité. Elle souligne, à juste titre, que la demande dans le monde d’énergies fossiles reste trop élevée pour correspondre aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais elle annonce dans le même temps leur déclin irréversible dans les toutes prochaines années… avant même la fin de la décennie. Une contradiction difficile à surmonter tandis que la consommation de charbon et de pétrole va atteindre des records cette année et que les investissements, notamment dans le gaz et le pétrole, se multiplient. Une fois encore on peut se demander si l’Agence internationale de l’énergie ne prend pas ses désirs pour la réalité.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient une nouvelle fois de découvrir la lune. A un mois de la COP28, elle souligne dans son traditionnel rapport prospectif, le World Energy Outlook, publié le 24 octobre, qu’en dépit du bond « phénoménal » des énergies bas carbone, la demande de carburants fossiles devrait rester « trop élevée » pour respecter les objectifs les plus ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Comment peut-il en être autrement quand la consommation de charbon et de pétrole va atteindre cette année des records historiques et que le gaz naturel serait dans la même situation si la Russie n’avait pas envahi l’Ukraine en février 2022?

Les modèles de l’AIE prédisent un reflux de la demande de charbon, pétrole et gaz d’ici la fin de la décennie

« La transition vers une énergie propre est en cours dans le monde entier et elle est inévitable. Ce n’est pas une question de « si », c’est juste une question de « quand » – et le plus tôt sera le mieux pour tout le monde », affirme Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, en commentant la sortie du rapport. D’ici 2030, l’AIE estime qu’il devrait y avoir dans le monde 10 fois plus de véhicules électriques sur les routes qu’aujourd’hui et que la part des renouvelables dans le mix électrique mondial devrait approcher de 50% (contre 30% actuellement). Mais des « politiques plus fortes sont nécessaires » pour atteindre l’objectif de réchauffement maximal de 1,5° Celsius.

Selon les modèles de l’AIE (voir ci-dessous), qui ne sont pas toujours d’une grande fiabilité, la demande de gaz, pétrole et charbon devrait atteindre un sommet dans la décennie. Dans son scenario basé sur des politiques actuelles, la part des combustibles fossiles dans l’approvisionnement énergétique mondial, restée depuis des décennies à plus de 80%, diminuera à 73% d’ici 2030… en seulement 6 ans. Une soudaine accélération de l’histoire. Et mieux encore les émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie culmineront même d’ici 2025. Presque trop beau pour y croire et en contradiction avec dans le même temps des mises en garde répétées sur le poids trop important conservé par les carburants fossiles…

Demande de charbon par régions dans le monde. Scénario de politiques actuelles. AIE 2023.

Demande de pétrole par régions dans le monde. Scénario de politiques actuelles. AIE 2023.

Demande de gaz par régions dans le monde. Scénario de politiques actuelles. AIE 2023.

7.000 milliards de dollars d’investissements dans le gaz naturel d’ici 2050 pour remplacer le charbon et équilibrer les réseaux électriques avec les renouvelables intermittents

« Compte tenu des tensions et de la volatilité qui caractérisent aujourd’hui les marchés énergétiques traditionnels, les affirmations selon lesquelles le pétrole et le gaz représentent des choix sûrs ou sécurisants pour le monde entier ne sont pas fondées », a encore averti Fatih Birol qui demandait dès 2020 l’arrêt de tout nouvel investissement dans le pétrole et le gaz.

Le problème est que dans le domaine de l’énergie, la méthode Coué n’est pas vraiment efficace. D’un côté, il y a les discours, les prévisions et les modèles sur la fin prochaine et inéluctable des énergies fossiles et de l’autre une réalité encore bien différente. Le contraste est même saisissant. Pour preuve dans le domaine du gaz naturel et plus particulièrement du gaz naturel liquéfié (GNL), coup sur coup, le Français TotalEnergies et l’Italien ENI viennent de signer avec le Qatar des contrats d’approvisionnements… de 27 ans.

Et l’Institut des études économiques du Japon vient de sortir une étude montrant que la transition énergétique va nécessiter d’ici 2050 des investissements considérables dans le gaz naturel pour remplacer le charbon et équilibrer les réseaux électriques alimentés massivement par des renouvelables intermittents (éolien, solaire). Ils sont estimés à 7.000 milliards de dollars d’ici 2050…

Multiplication d’acquisitions et d’investissements dans l’industrie pétrolière

Dans le même temps, le paysage pétrolier mondial est en train de changer rapidement. De nouveaux pays producteurs émergent, notamment le Guyana, le Brésil et plus récemment encore la Namibie. En à peine quatre ans, le Guyana est passé de l’annonce de la découverte de pétrole à être le pays dont la croissance économique a été l’an dernier la plus forte au monde (+62%). Et la Namibie compte bien faire de même. Quant au Brésil, il ambitionne tout simplement de devenir le quatrième producteur mondial de pétrole derrière les Etats-Unis, la Russie et l’Arabie Saoudite.

Et puis les grandes manœuvres se multiplient depuis quelques semaines dans l’industrie pétrolière américaine. Après l’acquisition pour 64,5 milliards de dollars (y compris les dettes) de Pioneer Natural Resources par ExxonMobil, c’est maintenant au tour de Chevron de mettre la main sur Hess pour 60 milliards de dollars (y compris les dettes). A chaque fois la logique est la même, permettre aux majors de mettre la main sur des ressources supplémentaires rapidement exploitables.

Chevron récupère les positions de Hess dans le bloc pétrolier offshore de «Stabroek» au large du Guyana. Il est estimé que ce bloc contient pas moins de 11 milliards de barils d’équivalent pétrole, dont 30% seront donc acquises par Chevron à l’issue de la transaction. Le groupe gagne aussi une présence dans le bassin Bakken (Dakota du Nord), riche en pétrole de schiste, et dans les eaux profondes du golfe du Mexique et du golfe de Thaïlande.

Profits records en 2022

Quant à ExxonMobil qui réalise sa plus importante acquisition depuis la méga-fusion avec Mobil en 1999, Pioneer Natural Resources lui permet de se renforcer très significativement dans le bassin permien, la région pétrolifère qui s’étend de l’ouest du Texas au sud-est du Nouveau-Mexique. Elle représente 5,8 millions de barils de pétrole par jour, soit environ 45% de la production américaine. ExxonMobil va plus que doubler le volume de sa production de barils dans le bassin permien pour atteindre 1,3 million par jour à la finalisation de l’acquisition puis environ 2 millions en 2027.

ExxonMobil a dégagé l’an dernier un bénéfice net record de près de 56 milliards de dollars et Pioneer Natural Resources a réalisé dans le même temps un bénéfice net de 7,8 milliards de dollars. Toujours en 2022 Chevron a affiché un profit record de 35,5 milliards de dollars et Hess un bénéfice net de 2,2 milliards.

La rédaction