Transitions & Energies
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Le gaz, indispensable à nos économies et encore pour longtemps


L’Europe s’est fait une spécialité de l’hypocrisie énergétique se voulant être un modèle de vertu climatique et courant affolée vers tous les approvisionnements en gaz possibles et imaginables et à n’importe quel prix pour faire face l’an dernier à l’arrêt des importations russes. Comble de cette hypocrisie, la multiplication des éoliennes et du solaire signifie de fait une dépendance accrue au gaz pour produire l’indispensable électricité quand il n’y a pas de vent ni de soleil… C’est-à-dire souvent. Par Loïk le Floch-Prigent. Article paru dans le numéro 17 du magazine Transitions & Energies.

Tandis que tous les jours nous recevons des nouvelles officielles sur la disparition rapide de l’utilisation des énergies fossiles en Europe, les développements de gisements de charbon, de pétrole et de gaz continuent un peu partout ailleurs. Deux mondes vont donc cohabiter, celui de la « vertu » avec la décarbonation accélérée, en se concentrant sur un territoire limité, et celui du « mal » qui va poursuivre l’utilisation des richesses de son sous-sol pour maintenir sa prospérité et soutenir celle de pays défavorisés. L’issue de ce grand écart n’a rien d’évident, oser entrevoir un gouvernement de la planète aux mains des vertueux obligeant tous les autres à leur obéir devient tous les jours un peu plus audacieux.

Comme il avait été dit aux débuts de l’écologie à la conférence de Stockholm en 1972, il faut penser « globalement » mais agir « localement », c’est chaque peuple qui entendra ou non la nécessité de limiter l’utilisation des ressources de son sous-sol et non une autorité suprême. C’est près de 85 % de l’énergie primaire consommée dans le monde qui vient des énergies fossiles. L’Europe peut essayer de changer à marche forcée, elle ne pourra pas entraîner toute la planète tandis qu’elle risque la récession brutale puisque qu’elle a préconisé la mondialisation de l’économie avec un certain succès. L’utopie est belle, les réalités demeurent, et ce qui arrive à l’économie du gaz en est une belle illustration.

La guerre en Ukraine a levé le voile sur le monde réel

Le charbon a été, un temps, le matériau de base de la disponibilité de l’énergie, et on a rapidement souhaité le concentrer pour le brûler en évitant ainsi une pollution domestique trop importante ; les vecteurs électriques et gaziers ont donc, dans nos pays développés, été choisis pour aller vers l’utilisateur final à travers des réseaux. L’Europe a ainsi des réseaux électriques et gaziers très maillés permettant de servir la grande majorité de sa population. Le relais, pour le gaz, a été pris par le gaz naturel issu des gisements, européens d’abord avec des gazoducs à partir des champs pétroliers, puis avec des méthaniers transportant le gaz liquéfié jusqu’aux terminaux de retransformation en gaz. La diminution des quantités disponibles en petite Europe a conduit à construire des gazoducs, en particulier pour le gaz russe ou azéri, et les centres de production de gaz liquéfié se sont multipliés à travers le monde, le plus grand gisement étant localisé au nord du Qatar (North Dome) et donc au sud de l’Iran (South Pars).

La trop grande dépendance gazière à l’égard des pays pétroliers a amené les compagnies pétrolières occidentales à envisager la production de petits gisements, dits « non conventionnels » ou de « schiste » avec un gaz plus cher mais abondant, ce qui a été réalisé ces dernières années en Amérique du Nord. Cela a modifié la carte des potentialités gazières à travers le monde. Nous avons donc aujourd’hui une économie du gaz multiforme avec des prix de production instables et des restrictions pour l’exploration et la production en Europe continentale du gaz non conventionnel.

L’Union européenne s’est fixée comme objectif de décarboner sa production en 2050 et surveille régulièrement la montée en puissance de l’escamotage de tout ce qui lui apparaît comme « fossile » et donc relevant de l’empire du mal. La guerre en Ukraine a, néanmoins, levé le voile sur le monde réel, celui de la nécessité pour tous les pays, mais surtout pour l’Allemagne, de disposer de fourniture abondante de gaz pour tous les usages, en particulier l’industrie, puisque l’installation d’éoliennes annoncées comme la panacée exigeait la disponibilité d’une production électrique complémentaire pilotable pour pallier aux insuffisances d’une énergie intermittente et aléatoire ne fonctionnant qu’à 25 ou 30 % de sa puissance nominable. On avait menti au peuple en lui vantant les mérites d’une énergie 100 % renouvelable, en fait les éoliennes signifiaient une dépendance accrue au gaz.

Acheter du GNL (gaz naturel liquéfié) d’où qu’il vienne et à n’importe quel prix

En conséquence, la plupart des pays européens se sont précipités pour récupérer du gaz naturel liquéfié (GNL) d’où qu’il vienne, et le Qatar en a conclu fort justement qu’il lui fallait accroître rapidement sa production de 60 % et a engagé les programmes d’investissements immédiatement. Nous sommes habitués à ces contradictions entre une politique vertueuse affichée et les réactions planétaires contradictoires. On sait que la voiture électrique ne pollue pas l’Europe mais va dégarnir le sous-sol de bien des pays, que son bilan carbone global n’est pas bon ; on sait que l’on chasse ici les plastiques mais que leur production va doubler dans le monde dans les cinq ans qui viennent ; on sait que la consommation de charbon a progressé dans le monde passant de 23 % il y a quatre ans à 27 % dans le bilan global énergétique planétaire ; nous savons donc que notre démarche est parfaitement hypocrite, mais il est bon de le signaler à chaque fois que cela se présente avec discrétion.

On constate donc que le gaz est indispensable pour notre développement et notre prospérité et que les producteurs se préparent au relèvement et non à la disparition. Nos réseaux, nos stockages, notre ravitaillement doivent être assurés, et tous les professionnels du gaz européen se mobilisent pour trouver des sources « vertes » pour assurer (ou présenter !) à la fois la décarbonation demandée et la souveraineté nationale et européenne.

Si l’idéologie était absente des débats, on pourrait revenir à la recherche de l’indépendance d’abord et donc à l’exploration et la production de gaz de schiste français et européen. En France, en dix-huit mois, il est possible de produire de l’ordre de 15 % de la consommation actuellement autour de 466 TWH, soit 69 TWH. Il n’y a aucune étude publiée en ce sens, c’est tabou.

Le tabou de l’exploitation de notre propre gaz de schiste

Il y a, par contre, une grande littérature sur le gaz « vert » issu de la méthanisation, de la pyrogazéification, de la gazéification hydro-thermale et de la méthanation. Ce qui est le plus avancé en France est la méthanisation qui procure un revenu garanti pour les agriculteurs, qui protège le secteur élevage et qui leur permet d’utiliser un digestat à la place d’engrais devenus rares et chers. Il y a plus de 1 000 projets en discussion à ce jour, une production de 5 à 6 TWH et une possibilité en cinq ans de parvenir à 50 TWH.

Ces chiffres montrent abondamment que les producteurs de gaz naturel ont encore pour de nombreuses années un avenir radieux et qu’ils vont bénir le ciel de disposer de ressources. Reste l’essentiel, le prix auquel le gaz va être livré !

On sait que les énormes quantités de gaz russe permettaient un prix très attractif qui a conduit à construire les gazoducs North Stream 1 et 2 à travers la Baltique, beaucoup plus onéreux que celui qui traverse l’Ukraine (Fraternité). Le gaz américain était plus cher et il en est de même pour tout le gaz naturel liquéfié d’où qu’il vienne. Le prix du gaz, malgré tous les efforts, a donc été multiplié par deux pour notre petite Europe. Cela suffit amplement pour justifier une exploitation de notre gaz non conventionnel, mais on a bien dit que c’était un tabou européen.

Ne pas négliger le biogaz

Qu’en est-il de tous les gaz produits par l’agriculture ou les déchets ? Cela dépend très largement du calcul collectif sur l’importance de conserver une agriculture solide apte à combattre notre balance commerciale lourdement déficitaire de produits agricoles et alimentaires. Le combat de certains militants se réclamant de l’écologie fragilise depuis des années le secteur de la production agricole, le retour à des agriculteurs heureux et prospères est sans doute un objectif majeur pour notre pays. Il passe par un examen approfondi des contraintes exercées quotidiennement sur le monde agricole et le « bashing » dont ils sont victimes, il passe aussi, en particulier pour l’élevage, sur des incitations à la production de méthane, à l’utilisation de ce gaz pour eux-mêmes et à l’apport du surplus sur le réseau. C’est un beau défi à relever même si les coûts, au premier abord, peuvent apparaître trop élevés. C’est un axe important d’indépendance nationale potentielle, nous aurons toujours besoin de gaz. Rappelons-le, il est « pilotable », ce qui en fait un renouvelable prioritaire comme l’hydraulique.

Enfin, peut-on poursuivre cette logorrhée sur ce qui est « vert » ou non « vert » ? Il faut redevenir raisonnables et demander à la science si cette distinction a un sens. Cela conduira à des débats si la parole redevient libre, mais ces discussions permettront de chasser un peu l’hypocrisie permanente du greenwashing institutionnel qui ne fait pas honneur à notre pays.

La rédaction