Transitions & Energies
Pont tanker wikimedia commons

Et pendant ce temps-là, les cours du pétrole s’envolent


Tout se conjugue aujourd’hui pour que les prix du pétrole continuent à grimper et atteignent même le seuil des 100 dollars le baril. La reprise de l’économie mondiale, l’efficacité du système de limitation volontaire de la production mis en place par le cartel Opep+, les difficultés de l’industrie américaine du pétrole de schiste, la faiblesse des investissements depuis de nombreuses années dans l’exploration et la production et la volonté d’un certain nombre de décideurs de faire monter les prix du pétrole pour accélérer et faciliter la transition. Une crise pétrolière pourrait bien se profiler à l’horizon… quelques mois seulement après la fin, espérée, de la pandémie.

Les prix du pétrole ont atteint cette semaine leur niveau le plus élevé depuis octobre 2018. Le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en août a approché les 76 dollars. À New York, le baril de WTI pour le mois d’août était proche de 74 dollars. La hausse régulière du pétrole depuis son effondrement au début de l’année 2020, au plus fort de la pandémie, est liée à plusieurs facteurs. D’abord, la reprise de l’économie mondiale et de la consommation de pétrole. Cette dernière devrait même atteindre, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), un nouveau sommet historique au quatrième trimestre de 2022.

Le déclin inéluctable du pétrole attendra

«La demande de pétrole mondiale va continuer de se reprendre» et «d’ici la fin de 2022, la demande devrait surpasser les niveaux d’avant-Covid», écrit l’Agence dans un rapport publié il y a quelques jours. Après un déclin historique de 8,6 millions de barils (mb/j) en 2020, la demande mondiale devrait rebondir de 5,4 mb/j cette année puis de 3,1 mb/j l’an prochain, pour s’établir à 99,5 mb/j en moyenne. Elle devrait atteindre 100,6 mb/j au quatrième trimestre de 2022. La demande mondiale avait atteint un maximum historique au quatrième trimestre de 2019 à 100,5 mb/j.

On est ainsi très loin des prévisions qui s’étaient multipliées l’an dernier annonçant le déclin inéluctable du pétrole. Plusieurs experts estimaient que le niveau record de consommation de pétrole dans le monde atteint en 2019 ne serait jamais battu et que la pandémie allait changer radicalement les habitudes de consommation et les priorités politiques… Il n’est plus question aujourd’hui d’un autre monde.

En outre, le dispositif de réduction volontaire de la production mis en place l’an dernier par le cartel élargi des producteurs l’Opep +, à savoir les 13 pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole menée par l’Arabie Saoudite et leurs 10 pays alliés menés par la Russie, est toujours en vigueur. Par construction, il raréfie l’offre de 5,8 millions de barils par jour pour soutenir les cours. Et cette fois, une première, il a été respecté scrupuleusement par l’ensemble des pays producteurs. Abdulaziz ben Salmane, le ministre du pétrole saoudien, a d’ailleurs remarquablement joué en donnant l’exemple et en décidant unilatéralement de baisser d’un million de baril par jour sa production par rapport à ce que prévoyaient les accords. Et au début du mois lors d’un forum en Russie, le même Abdulaziz ben Salmane a été très clair. «Il y aura toujours une bonne quantité d’offre pour répondre à la demande. Mais nous aurons besoin de voir la demande avant que vous voyez l’offre».

Les pays exportateurs de pétrole de l’Opep+ ont bien l’intention de récupérer d’une façon ou d’une autre les 335 milliards de dollars perdus l’an dernier quand le marché s’est effondré. Et pour retrouver leurs niveaux de revenus de 2019 avec des volumes plus faibles, les mêmes pays ont besoin que les cours du baril soient supérieurs à 69,30 dollars selon les calculs du spécialiste de l’énergie Wood Mackenzie. Nous y sommes.

L’Agence internationale de l’énergie ne sait plus ce qu’elle veut

L’offre est donc tenue et pour un certain temps. A tel point d’ailleurs que l’AIE ne sait plus où elle habite. Elle demandait au début de l’année l’arrêt de toute nouvelle recherche pétrolière et gazière dans le monde et réclamait il y a quelques jours aux membres du cartel Opep+ d’augmenter leur production

Tout semble se conjuguer aujourd’hui pour assister à un renchérissement du prix du pétrole et certains experts anticipent un retour au niveau de 100 dollars le baril qui n’a plus été atteint depuis 2014, avant la production massive de pétrole de schiste aux Etats-Unis. C’est évidemment l’intérêt des exportateurs de voir les prix continuer à monter et leur technique de restriction coordonnée de la production semble maintenant bien rôdée. C’est aussi l’intérêt de l’industrie pétrolière américaine dont la production de pétrole de schiste est nettement plus coûteuse que celle des pétroles dits conventionnels. Elle est estimée autour de 50 dollars le baril. Cette industrie a été touchée de plein fouet par l’effondrement des cours l’an dernier et les faillites se sont succédés. Elle est loin aujourd’hui de s’en être remise. Il lui faudra du temps et des cours élevés pour retrouver son équilibre financier et relancer la production.

Par ailleurs, les investissements dans la recherche et la production pétrolière ont fortement baissé depuis plusieurs années. Non seulement parce que les cours étaient faibles mais aussi parce que la pression a été forte sur les compagnies pétrolières occidentales pour qu’elles se détournent progressivement des énergies qui émettent des gaz à effet de serre. Pour Patrick Pouyanné, le PDG de Total, il pourrait manquer pas moins de 10 millions de barils par jour en 2025.

Accélérer la transition mais un appauvrissement

La hausse des prix du pétrole est aussi considérée par plusieurs gouvernements et une bonne partie des mouvements écologistes comme une bonne chose et le moyen d’accélérer la transition en rendant plus compétitifs les énergies et les technologies de substitution au pétrole.

Mais il y a un sérieux revers à cette médaille, l’appauvrissement de fait des populations. Elles paieront plus cher l’énergie, c’est-à-dire in fine la quasi-totalité des biens et des services qu’elles consomment. Cela fera une nouvelle épreuve à surmonter juste après celle de la pandémie.

La rédaction