<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le nucléaire toujours plus populaire

20 janvier 2025

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Le nucléaire toujours plus populaire

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Dans l’opinion, auprès des gouvernements, des grandes entreprises de la technologie et des institutions et organisations internationales impliquées dans la transition, à l’exception notable de la Commission européenne, l’énergie nucléaire a le vent en poupe. L’Agence internationale de l’énergie lui prédit même « une nouvelle ère ». Et les investissements dans le monde dans l'énergie nucléaire ont augmenté de 50% au cours des cinq dernières années. Cela n'en rend que plus préoccupant le constat fait la semaine dernière par la Cour des comptes sur la faiblesse de la filière industrielle nucléaire française qui fut au siècle dernier un modèle.

L’énergie nucléaire a le vent en poupe dans le monde. C’est ce qu’affirme l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Elle explique dans une étude très récente (PDF) intitulée « La voie vers une nouvelle ère pour l’énergie nucléaire » pourquoi elle séduit autant. Parce que sa production est décarbonée et a permis depuis 1971, selon l’AIE, d’éviter d’émettre dans l’atmosphère 72 gigatonnes de dioxyde de carbone (CO2). Parce qu’elle est stable et fiable, totalement indépendante de la météorologie au contraire de l’éolien et du solaire, elle permet d’avoir une production électrique dite de base non fossile. Parce qu’elle permet de produire de grandes quantités d’électricité en occupant une surface limitée et en utilisant relativement peu de matériaux. Parce qu’elle peut répondre aux besoins industriels et à ceux qui augmentent de façon exponentielle de l’intelligence artificielle.

« Il est clair aujourd’hui que le retour en force de l’énergie nucléaire que l’AIE avait prédit il y a plusieurs années est en bonne voie, le nucléaire devant produire un niveau record d’électricité en 2025 », affirme Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE. Pour une fois que les prévisions de l’Agence se confirment, Fatih Birol a raison de s’en féliciter…

Il ajoute que « plus de 70 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires sont en cours de construction dans le monde, soit l’un des niveaux les plus élevés de ces 30 dernières années, et plus de 40 pays dans le monde prévoient d’accroître le rôle du nucléaire dans leurs systèmes énergétiques. Les réacteurs SMR [petits réacteurs modulables], en particulier, offrent un potentiel de croissance intéressant. Toutefois, les gouvernements et l’industrie doivent encore surmonter certains obstacles importants sur la voie d’une nouvelle ère pour l’énergie nucléaire, à commencer par la réalisation de nouveaux projets dans le respect des délais et des budgets, mais aussi en termes de financement et de chaînes d’approvisionnement ».

Investissements massifs en Chine et dans une moindre mesure en Inde

Avec 410 réacteurs en activité dans plus de 30 pays, la production d’électricité d’origine nucléaire a été de 2.742 TWh dans le monde en 2023 et devrait avoir été de 2.843 TWh en 2024 et atteindra 2.900 TWh cette année. Mais ce n’est rien selon l’AIE par rapport à ce qui se profile à l’horizon avec une augmentation de 50% au cours des cinq dernières années des investissements dans le monde dans le nucléaire. C’est le cas avant tout en Europe et en Asie, notamment en Chine et dans une moindre mesure en Inde. Il faut y ajouter l’engouement pour les fameux SMR dont le succès annoncé tarde pourtant à se concrétiser. En tout cas, sur les 52 réacteurs dont la construction a commencé dans le monde depuis 2017, 25 sont de conception chinoise.

L’AIE avance trois scénarios nucléaires d’ici 2050 tous marqués par une augmentation rapide et spectaculaire du nombre de centrales et de réacteurs dans le monde. Dans le premier scénario, la capacité de production installée pourrait augmenter de plus de 50% pour atteindre près de 650 GW dans 25 ans. Dans le deuxième scénario, caractérisé par des engagements gouvernements bien plus importants, la capacité de production pourrait doubler. Enfin, dans le dernier scénario marqué par la multiplication des SMR les capacités dépasseraient les 1.000 GW.

Pour l’AIE, le développement du nucléaire est une nécessité compte tenu à la fois des besoins en électricité dans le monde qui augmentent plus vite que prévu et devraient continuer à progresser rapidement dans les prochaines décennies et du fait que cette production est décarbonée. Le nucléaire est aujourd’hui la deuxième source mondiale d’électricité à faibles émissions après l’hydroélectricité, et produit un peu moins de 10% de l’électricité mondiale. Ce qui est insuffisant. Surtout que la transition énergétique passe par l’électrification des usages pour les transports, l’industrie, le chauffage et l’alimentation des centres de données nécessaires à l’essor de l’intelligence artificielle. Selon l’AIE, la demande d’électricité devrait augmenter six fois plus vite que la consommation totale d’énergie au cours des trois prochaines décennies,

La filière industrielle française à la peine

Maintenant, comme toutes les sources d’énergie existantes, le nucléaire n’a pas que des qualités et des avantages. Il y a évidemment la question de la sûreté des installations et du retraitement des déchets radioactifs. Il y aussi le problème des coûts des investissements et du temps long incompressible pour construire les réacteurs. Enfin, si la renaissance du nucléaire se fait bien avec la rapidité annoncée par l’AIE, il sera indispensable de mettre en service dans le monde de nouvelles mines d’uranium et plus encore d’augmenter les capacités d’enrichissement de cet uranium. Le Français Orano est sur tout les fronts en augmentant ses capacités d’enrichissement et en investissant dans de nouveaux projets miniers à l’image de celui finalisé il y a quelques jours en Mongolie.

En tout cas, le paradoxe est que la popularité auprès des gouvernements, des institutions internationales, à l’exception notable de la Commission européenne, et des opinions du nucléaire est de plus en plus grande tandis que la filière industrielle nucléaire française, autrefois un modèle planétaire, patauge dans les difficultés. Au point que la Cour des comptes met en garde contre les risques présentés aujourd’hui par le plan de construction de nouveaux réacteurs annoncé il y a presque trois ans par Emmanuel Macron.

L’opinion française a oublié Fukushima

Une promesse qui tarde à se concrétiser mais qui bénéficie d’un soutien très large dans le pays comme un sondage réalisé par Harris Interactive pour le Gifen et Bastille Magazine en apporte la preuve.

Selon l’étude, plus de 62% des personnes interrogées estiment que l’atome est crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique. Elles sont 85% à souligner sa contribution à l’indépendance énergétique et 80% considèrent le nucléaire comme un levier de réindustrialisation du pays. La grande peur de 2011 après l’accident de Fukushima est totalement oubliée.

L’Europe à la traine

Pour en revenir à l’AIE, elle souligne que l’Europe et les Etats-Unis sont à la traîne en matière nucléaire. Dans l’Union Européenne, 34% de l’électricité provenait du nucléaire à la fin des années 1990 contre 23% aujourd’hui et dans dix ans, cela sera inférieur à 15%. Le constat est similaire aux Etats-Unis. « Il y a une sous-performance de l’industrie nucléaire dans ces pays » affirme Fatih Birol. « Les projets prennent en moyenne sept ans de retard et les coûts sont 2,5 fois plus élevés que prévu à l’origine. Dans cinq ans, la Chine dépassera les Etats-Unis et l’Union Européenne et deviendra la première puissance nucléaire mondiale ».

L’autre problématique concerne la souveraineté des pays ayant fait le choix du nucléaire compte tenu du fait que les sources d’approvisionnement en uranium enrichi sont en nombre limitées et souvent dans des pays problématiques. Plus de 99% des capacités d’enrichissement sont aujourd’hui aux mains de quatre entreprises : le russe Rosatom (40%), la China National Nuclear Corporation (CNNC) (15%), Urenco (un consortium britanno-germano-néerlandais, 33%) et le français Orano (12%).

Enfin, l’AIE fait le pari du succès des SMR.  « Dans 15 ans, le coût des SMR sera compétitif face à l’éolien offshore, les grands projets hydroélectriques », annonce l’agence. « Une des raisons de l’intérêt croissant pour les SMR est liée aux besoins énergétiques des entreprises technologiques, en particulier celles qui ont de l’intelligence artificielle et des centres de données ».

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