Transitions & Energies

La Nouvelle-Calédonie malade du nickel


Cela fait plus de douze ans que les trois sociétés qui produisent du nickel en Nouvelle-Calédonie, la Société le Nickel (Eramet), Koniambo Nickel (Glencore) et Prony, enregistrent des pertes. Ces entreprises servent de vache à lait à l’île. Un audit de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’économie (CGE), rendu public le 1er août 2023, avait montré que les conditions d’exploitation issues des négociations politiques entre indépendantistes et non-indépendantistes ont créé une usine à gaz devenue un cauchemar économique. Et pourtant, le nickel est un métal stratégique, indispensable à la transition énergétique et notamment à la fabrication des batteries.

Le nickel est la principale ressource économique de la Nouvelle-Calédonie. Elle en possède 10% des réserves mondiales derrière l’Australie (24%), le Brésil (15%) et devant la Russie (9%). C’est un métal indispensable à la transition énergétique, notamment à la fabrication des batteries mais aussi à la production de l’acier inoxydable. Paradoxalement, c’est devenu aujourd’hui une malédiction pour l’île. Le nickel calédonien est une catastrophe économique du fait de conditions d’exploitation impossibles, issues des négociations politiques entre indépendantistes et non-indépendantistes. Il n’est pas compétitif, encore moins dans un environnement marqué par une baisse des cours et une surproduction mondiale résultant d’un véritable dumping mené par le premier producteur, l’Indonésie.

L’audit catastrophique de l’Inspection générale des finances

Résultat, la production de nickel calédonien a encore chuté de 32% au premier trimestre de cette année. C’est pourtant quasiment la seule ressource de l’archipel à l’exportation dont elle assure 90% des recettes. Mais cela fait maintenant plus de douze ans que les trois exploitants présents en Nouvelle-Calédonie, à savoir la Société le Nickel (Eramet), Koniambo Nickel (Glencore) et Prony, enregistrent des pertes. Ces sociétés servent de vache à lait à la Nouvelle-Calédonie et emploient directement 5.035 personnes, soit 7,5% des salariés du secteur privé de l’archipel.

Un audit de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’économie (CGE), rendu public le 1er août 2023, avait montré que les conditions d’exploitation sont catastrophiques. Pour que les exploitants deviennent enfin rentables, l’audit préconise d’augmenter la production ne serait-ce que pour permettre aux usines d’atteindre leur capacité nominale et de réduire leurs coûts de fonctionnement incroyablement élevés au regard de la concurrence internationale. Le coût de production d’une tonne de nickel calédonien est de l’ordre de 22.000 dollars et les cours actuels, qui ont pourtant remonté au cours des dernières semaines, sont autour de 19.000 dollars…

Le « pacte nickel » du gouvernement pour sauver la filière

Le « pacte nickel » mis en place par le gouvernement il y a deux mois pour sauver la filière doit permettre de réorienter la production vers le marché européen des batteries. « Depuis 2016, 700 millions d’euros d’aides ont été apportés à la filière nickel en Nouvelle-Calédonie », soulignait le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, le 21 mars dernier, lors de la présentation de ce nouveau plan. Mais son annonce a accru les tensions entre indépendantistes et non-indépendantistes sur la contribution du budget de l’archipel à ce plan. Cela s’est notamment traduit par des blocages de mines.

Le paradoxe est que nickel est pourtant un métal stratégique. C’est l’un de ses fameux minéraux indispensables à la transition énergétique et notamment à la fabrication des batteries pour les véhicules électriques. Pour bien mesurer les besoins, une batterie lithium-ion de taille moyenne de 400 kilos pour une voiture électrique d’une technologie classique contient 60 kilos de nickel. Et pour obtenir les 60 kilos de nickel, il faut traiter 5 tonnes de minerai. C’est un métal qu’il sera difficile de produire en quantités suffisantes pour faire face aux besoins des prochaines décennies. C’est donc en théorie une chance pour la Nouvelle-Calédonie, à condition de pouvoir surmonter les problèmes politiques et sociaux qui rendent son exploitation non rentable.

Un métal stratégique et un marché mondial déséquilibré

Facteur aggravant, les cours du nickel sont extrêmement volatils et spéculatifs. Ils se situent aujourd’hui sur le LME (London Metal Exchange) autour de 19.000 dollars la tonne après être tombé au début de l’année jusqu’à 16.000 dollars. Ils se trouvent aujourd’hui à leurs niveaux de 2021 après avoir atteint en 2022 des records historiques de 43.000 dollars la tonne.

Les cours du nickel devraient rester relativement bas et toujours aussi spéculatifs au cours des prochains mois et même vraisemblablement des prochaines années. Car comme le montre l’International Nickel Study Group, le marché mondial du nickel devrait encore être excédentaire cette année de 239.000 tonnes après déjà une surproduction de 223.000 tonnes en 2023​. Et pourtant, la demande mondiale de nickel augmente régulièrement et devrait passer de 3,20 millions de tonnes en 2023 à 3,47 millions de tonnes cette année portée donc par la croissance de l’utilisation du métal dans les batteries de véhicules électriques et aussi une reprise du secteur de l’acier inoxydable qui reste pour le moment la principale source d’utilisation du métal.

Des problèmes environnementaux

Ce déséquilibre du marché mondial est en grande partie lié à la stratégie agressive de l’Indonésie, premier producteur mondial, qui veut détruire la concurrence et pour cela casse les prix. L’Indonésie assure 55% de la production mondiale et compte atteindre 70% dans les cinq prochaines années​. Sachant que le nickel calédonien est aussi plus cher à produire que celui de tous les autres pays producteurs que sont les Philippines, l’Australie, le Canada et la Russie.

Il faut enfin savoir que l’extraction et la transformation du nickel ont des impacts environnementaux importants, notamment la déforestation, la pollution des sols et des eaux, et la perte de biodiversité. Les réglementations environnementales nécessaires pour atténuer ces impacts augmentent les coûts de production en Nouvelle-Calédonie par rapport à la plupart des concurrents bien moins regardants.

La rédaction