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Pourquoi nous sommes entrés durablement dans une période de hausse des prix de l’énergie et des matières premières


L’invasion de l’Ukraine et les sanctions contre la Russie, deuxième producteur mondial de pétrole et de gaz, et ensuite les mesures de rétorsion de Moscou sur le gaz livré à l’Europe, sont venues amplifier un problème structurel: le manque d’investissements dans les énergies fossiles et dans les matières premières. Depuis plusieurs années, sous la pression de l’opinion, des mouvements écologistes et de financiers qui cherchent à «verdir» leur image, les investissements dans les infrastructures d’exploitation des énergies fossiles et dans le secteur minier sont insuffisants. La production est aujourd’hui incapable de répondre à la demande et l’ajustement se fait par l’envolée des prix et la rareté. Nous sommes ainsi passé d’un monde d’abondance à un monde de pénuries. Et même si les investissements sont massifs, ce qui est loin d’être assuré, il faudra des années pour augmenter les capacités de production.

L’envolée des prix de l’énergie et des matières premières en général remonte bien avant l’invasion de l’Ukraine. Evidemment, la guerre, les sanctions infligées à la Russie, deuxième producteur mondial de pétrole et de gaz, la réplique de Moscou avec la forte baisse des livraisons de gaz à l’Europe, ont nettement aggravé la situation. Mais le mal est plus profond. Il remonte à la sortie économique de la pandémie et au rebond des économies mondiales en 2021. Tout à coup et pour la première fois depuis des décennies, l’offre d’énergie et de matières premières n’a plus été capable de répondre à la demande.

Les investissements dans les renouvelables n’ont pas compensé ceux manquants dans les énergies fossiles

Ces pénuries ont de multiples origines. On peut en distinguer trois majeures. D’abord, le manque d’investissement depuis de nombreuses années. Ceux effectués dans les renouvelables n’ont pas compensé, loin de là, le recul dans les fossiles et le nucléaire, et de toute façon les renouvelables sont un substitut imparfait. Ils sont intermittents ce qui signifie qu’il faut des moyens de production électriques alternatifs, souvent fossiles. L’électricité ne se stocke pas ou très peu et très mal. Un jour peut-être. Ensuite, l’électricité ne représente qu’un cinquième à un quart de la consommation d’énergie selon les pays. Elle est relativement marginale dans les transports, la chaleur et l’industrie. Cela signifie en clair qu’avoir de l’électricité décarboné ne réduit qu’en partie les besoins en énergies fossiles.

En tout cas, depuis des années sous la pression des opinions publiques, des groupes écologistes et de financiers qui cherchent à «verdir» leur image, les investissements dans les fossiles ont baissé. Ils sont passés de 900 à 500 milliards de dollars par an. Cela s’est traduit dans les faits par une baisse des capacités de production avec l’usure et le non renouvellement des équipements en service, et des gisements et des mines qui s’épuisent. Le recul de l’offre d’énergies fossiles a été ainsi plus rapide que celui de la demande. On a en quelque sorte laissé tomber l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle. Un analyste financier d’une grande banque faisait remarquer il y a quelques mois que parmi les 400 clients institutionnels de son établissement, un seul acceptait encore d’investir dans le pétrole et le gaz.

Redécouverte du rôle stratégique de la production industrielle et agricole

Il en résulte logiquement une hausse importante des prix du pétrole, du gaz naturel, du charbon. On peut ajouter que pour des raisons toujours liées à la faiblesse des investissements, les capacités dans le monde de raffinage de pétrole et les capacités minières en général sont devenues insuffisantes pour faire face à la demande.

Par ailleurs, deuxième facteur important souligné par l’économiste Patrick Artus dans Le Point: «on a observé depuis le début de 2020 une très importante déformation de la structure de la demande, des services vers les biens, qui a poussé à la hausse de la demande de tout ce qui est nécessaire à la production de biens: énergie, métaux, transports, semi-conducteurs…». La pandémie a soudain fait prendre conscience de l’importance des productions stratégiques, industrielles comme agricoles, à des gouvernements et des populations aveuglées par les discours permanents sur les bienfaits de la technologie numérique.

Pas de transition énergétique sans métaux stratégiques et sans… énergies fossiles

Il faut enfin y ajouter un dernier facteur majeur, la transition énergétique. De par sa nature actuelle, production d’électricité renouvelable avec éoliennes et panneaux solaires et passage du véhicule à moteur thermique aux véhicules électriques à batteries, elle se traduit par une augmentation considérable et rapide des besoins en métaux (lithium, cuivre, nickel, cobalt, terres rares…). En outre, la fabrication, le transport et l’installation des équipements de la transition nécessitent des énergies fossiles. C’est vrai pour l’exploitation et le raffinement des métaux dits stratégiques, mais aussi pour la fabrication et le transport des panneaux solaires, des éoliennes, des batteries… La transition n’est pas «propre».

Les trois évolutions majeures à l’origine d’un profond déséquilibre entre offre et demande d’énergie et de matières premières ne vont pas disparaître en quelques mois. Tout simplement, parce que même si les investissements augmentent rapidement, ce qui est encore loin d’être assuré, la mise en place de nouveaux équipements d’exploitation, de nouvelles mines, de nouveaux gisements demande des années. Là encore, il ne faut pas confondre le nouveau monde et l’ancien monde. Celui de la production n’est pas celui du numérique où une nouvelle application se diffuse en quelques semaines…

Une économie de la rareté

Comme l’écrit Patrick Artus, nous sommes donc entrés durablement dans une économie de la rareté, fini l’abondance. Il considère qu’il faut s’attendre «à une inflation plus forte, à un partage des revenus plus favorable aux salariés et à des politiques monétaires plus restrictives, mais également à une multiplication des conflits: entre pays pour l’accès aux matières premières, entre salariés et employeurs pour le partage des revenus, entre employeurs pour le recrutement de salariés, entre les pays producteurs et les pays utilisateurs de matières premières, entre salariés et États pour le soutien du pouvoir d’achat...».

La rédaction