Transitions & Energies
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Electrifier les usages est indispensable à la transition, mais compliqué


Pour décarboner l’énergie, il n’y a quasiment pas d’autre possibilité aujourd’hui que de passer pas l’électrification des usages directement et indirectement (hydrogène vert, ammoniac vert, carburants synthétiques). Mais contrairement au discours ambiant, c’est difficile techniquement et industriellement, coûteux et cela va prendre du temps. Eoliennes, panneaux solaires et véhicules électriques ne sont qu’une partie de la solution et comportent eux-mêmes de nombreux inconvénients.

A en croire la doxa simpliste du moment, répétée à l’envie sur toutes les ondes, il suffirait de produire de l’électricité décarbonée, éolienne, solaire, voire nucléaire et hydraulique (totalement oubliée), et de passer aux véhicules électriques pour réussir la transition. C’est évidemment bien plus compliqué que cela, pour la bonne et simple raison que l’électrification des usages a des limites… et au passage que nous sommes déjà presque incapables en Europe de produire suffisamment d’électricité pour faire face à la demande actuelle, compte tenu des risques de disparition de l’approvisionnement russe en gaz et des sérieux problèmes d’entretien du parc nucléaire français. Sans compter une stratégie menée notamment en Allemagne qui a consisté à investir massivement et aveuglément dans les renouvelables intermittents sans se soucier des conséquences justement de l’intermittence qui contraignent à avoir à disposition en permanence des capacités de production électrique supplémentaires dites pilotables.

L’intermittence ne se balaye pas d’un revers de main

Pour en revenir à l’électrification des usages, il est évidemment possible de l’étendre dans les transports, dans le chauffage des bâtiments et un jour dans la fabrication de l’acier. Mais il faudra franchir de nombreux obstacles. A commencer donc, par les capacités de production, notamment si elles sont renouvelables intermittentes.

S’il y a bien deux fois plus de capacités renouvelables, comme il pourrait y en avoir dans les années 2030 compte tenu des programmations et des contraintes mises en place dans les pays européens et par les institutions européennes, le réseau aurait accès en théorie à toute l’énergie dont il a besoin. Quand il y a du vent et du soleil. Mais après le coucher du soleil et pendant de longues périodes sans vent, le réseau serait en danger.

Pour le moment, les solutions à ce problème sont théoriques et élaborées par les penseurs des différents organismes publics et pire des ONG qui ont un sens limité des réalités techniques, industrielles, économiques, sociales et géopolitiques.

Une partie de la réponse proposée consiste à étendre le réseau, en apportant de l’énergie renouvelable provenant d’un plus large éventail de sources et de zones géographiques. Cela signifie construire de nombreuses lignes à haute tension, une vue de l’esprit devant la résistance des populations et le coût des infrastructures. Une autre partie de la réponse consiste à trouver des moyens de réduire la demande lorsque l’offre est difficile. Organiser la pénurie de façon aléatoire, un cauchemar économique qui est celui aujourd’hui des pays en développement les plus pauvres. Les batteries comme systèmes de stockage sont une absurdité compte tenu notamment de la quantité qu’il faudrait et du coût en terme de matières premières que cela représente pour avoir un impact réel sur les réseaux. La seule solution est donc d’avoir des capacités de production alternatives, comme aujourd’hui, des centrales thermiques au charbon et à gaz.

L’impasse totale allemande

Pour sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve, l’Allemagne a trouvé une solution miracle, le stockage et le back up seront fournis par la combustion de l’hydrogène produit à l’aide des abondantes ressources renouvelables du réseau quand il y a du vent et dur soleil. Sauf que l’efficacité énergétique résultant de la production d’hydrogène vert par électrolyse est très faible et nécessite pour atteindre des niveaux de production significatifs, des quantités considérables de production électrique. Car fabriquer de l’hydrogène par électrolyse et retransformer cet hydrogène en électricité avec des piles à combustible revient à sauvegarder en fait 30% de l’électricité produite initialement et nous en manquons…

Tout aussi irréaliste, était le plan allemand qui consistait à utiliser les centrales à gaz comme palliatif, en le diminuant lentement à mesure que l’approvisionnement en hydrogène augmentait. Ce n’est évidemment pas une solution parfaite car, bien que le gaz produise moitié moins d’émissions de CO2 que le charbon, il en produit encore beaucoup. Mais cette solution transitoire aurait pu durer… Sauf que l’invasion russe de l’Ukraine n’a pas seulement fait monter en flèche les prix du gaz naturel, elle a balayé la sécurité de l’approvisionnement. Il n’est même plus assuré dans les prochaines semaines…

Trois questions de fond

Au-delà des contradictions presque insurmontables entre sécurité de l’approvisionnement énergétique et stratégie climatique, il y a trois questions de fond que personne ou presque ne pose ouvertement, celles des technologies réellement disponibles pour décarboner, de l’ampleur des transformations à mener à l’échelle planétaire et du rôle marginal des pays européens dans cette transformation.

Premier point, mis en avant notamment par l’un des plus grands experts de l’énergie, le professeur Vaclav Smil, notre dépendance à quatre matériaux sans lesquels la civilisation s’effondre et qui sont fabriqués presque exclusivement avec des énergies fossiles (le ciment, l’acier, le plastique et l’ammoniac sans lequel il n’y a pas d’engrais azotés et pas d’alimentation suffisante pour nourrir l’humanité). Les technologies permettant de produire du ciment et de l’acier sans énergies fossiles en sont aujourd’hui au stade expérimental. La substitution d’autres matériaux au plastique commence à peine dans l’industrie. Enfin, fabriquer de l’ammoniac vert (avec de l’hydrogène vert) se trouve seulement dans les laboratoires…

Deuxième point, plus de 80% de l’énergie primaire consommée aujourd’hui dans le monde est fossile. Cela représente 10 milliards de tonnes par an de pétrole, de charbon et de gaz. Il est impossible de les remplacer avant de nombreuses décennies par de la production électrique décarbonée et cela revient à couvrir la planète d’éoliennes, de panneaux solaires, de barrages et de réacteurs nucléaires. Ce qui pose des problèmes de grande ampleur de ressources industrielles, de matières premières, de capacités d’investissement et d’acceptabilité sociale et politique.

Enfin, dernier point, cela nous est difficile à l’admettre, mais réussir à limiter les émissions de gaz à effet de serre ne dépend pas du tout de nous. Français et Européens représentent directement et respectivement moins de 1% et de 9% de celles-ci. Le problème est avant tout entre les mains des principaux émetteurs actuels et futurs, la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, la Russie et à terme le continent africain. Et contrairement aux discours officiels, l’Europe n’est pas un modèle sur le plan énergétique, c’est même un repoussoir, tant sa stratégie en termes de souveraineté, de coûts, de sécurité d’approvisionnement et même de performances environnementales est inefficace. Mettre en avant de grandes ambitions, donner des leçons morales, faire de grandes promesses ne sert à rien si les stratégies économiques et industrielles qui suivent sont irréalistes et impossibles à mettre en œuvre faute d’admettre une réalité technique et économique très différente des discours.

 

La rédaction