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Pile combustible hydrogène HDF

Entre l’Europe et la Chine, la guerre de l’hydrogène a commencé


Si l’hydrogène vert, produit avec de l’électricité décarbonée, devient le carburant de la transition énergétique, les pays qui domineront ce marché auront un avantage considérable. L’Europe, notamment l’Allemagne, l’Espagne et la France et l’Asie, plus particulièrement la Chine, le Japon et la Corée du sud, ont bien compris les enjeux de l’hydrogène. Une guerre technologique, financière et commerciale vient juste d’être lancée.

Les gouvernements des plus grands pays d’Asie et d’Europe, plusieurs constructeurs automobiles et des groupes industriels importants misent résolument sur l’hydrogène et notamment l’hydrogène vert, produit avec de l’électricité décarbonée. Le seul véritable carburant de substitution aux énergies fossiles existant aujourd’hui pour le transport sur longue distance, la chaleur et l’industrie. L’Europe (Allemagne, France, Espagne) comme l’Asie, notamment la Chine, la Corée du sud et le Japon, se positionnent pour être au cœur d’un marché qui pourrait, selon l’agence Bloomberg, représenter 700 milliards de dollars par an d’ici 2050.

Une chose semble presque assurée aujourd’hui. L’hydrogène sera un élément important de la transition énergétique au même titre que les panneaux solaires ou les voitures électriques. Mais pour cela cette forme d’énergie n’aura sa place que si elle est issue d’un processus de production peu polluant. L’hydrogène comme l’électricité n’est qu’une énergie transformée et rendue ainsi plus facilement utilisable et transformable. La plupart des procédés de production de l’hydrogène utilisés aujourd’hui libèrent une importante quantité de CO2 dans l’atmosphère et n’ont donc aucun intérêt pour la transition énergétique. Le seul hydrogène qui compte est et sera celui fabriqué par électrolyse avec de l’électricité décarbonée (solaire, hydraulique, éolienne, nucléaire) ou avec la vapeur d’eau produite par les centrales nucléaires. Les filières sont en cours de création et de constitution, mais pour les construire et les rendre économiquement viables les investissements nécessaires sont considérables.

Prendre à tout prix des parts de marché

Les pays de l’Union européenne ont annoncé des investissements pouvant aller jusqu’à 470 milliards d’euros dans les trente prochaines années dans les infrastructures d’hydrogène. Au cours des derniers mois, l’Allemagne, l’Espagne et la France ont annoncé des plans presque immédiats d’investissements de respectivement 9, 9 et 7 milliards d’euros. Le Royaume-Uni devrait annoncer son propre plan dans les prochains mois. La Chine, le Japon et la Corée du Sud misent résolument sur l’hydrogène pour tenir leurs engagements en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le Moyen-Orient est présent dans la course. L’Arabie saoudite prévoit de créer une usine à 5 milliards de dollars qui produira de l’ammoniac à partir de l’hydrogène, le tout grâce aux énergies renouvelables. L’ammoniac est une alternative à l’hydrogène qui peut être plus facilement stocké et transporté. Enfin, l’Australie construit de gigantesques parcs solaires pour produire de l’hydrogène et l’exporter.

«Ces pays cherchent à verrouiller des parts de marché», explique à l’agence Bloomberg Gero Farruggio, spécialiste des énergies renouvelables auprès de la société de recherche Rystad Energy. «Nous appelons cela la guerre de l’hydrogène en raison de la façon dont les gouvernements s’empressent de subventionner ces projets pour devenir les chefs de file», ajoute-t-il.

100 milliards d’euros et 500.000 emplois en Europe d’ici 2025

D’après les calculs de Rystad Energy, des projets pour un total de plus de 60 gigawatts de production d’hydrogène avec de l’électricité renouvelable ont été annoncés au cours des derniers mois un peu partout dans le monde. L’Europe est particulièrement présente et son projet de «Green Deal» constitue l’élément majeur de la relance économique de 750 milliards d’euros annoncée cet été. Il comprend, entre autre, la construction de 40 gigawatts de capacités d’électricité renouvelable pour produire de l’hydrogène d’ici 2030.

En France, la conversion est spectaculaire. Jusqu’au printemps, les pouvoirs publics étaient hostiles ou au mieux indifférents à l’hydrogène. La PPE, la fameuse Programmation pluriannuelle de l’énergie, rendue publique en avril pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028 fait à peine allusion à l’hydrogène. Au début de l’année, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France (RTE) avait même commis un rapport qui était un enterrement de première classe de l’hydrogène. RTE ne voyait aucune urgence à la transition vers de l’hydrogène bas carbone et n’avait clairement pas la moindre envie de voir un réseau de distribution d’hydrogène vert lui faire de l’ombre.

L’Allemagne a une stratégie moins soumise à des changements de cap imprévisibles. Elle avait annoncé sans ambages dès novembre 2019 ses ambitions par la voix de son ministre de l’Économie, Peter Altmaier. A savoir, «devenir le numéro un mondial de l’hydrogène». Et elle est suivie par Bruxelles et la Présidente de la Commision, l’Allemande Ursula van der Leyen.

Le bras armé de l’Union Européenne dans l’innovation énergétique EIT InnoEnergy a créé ainsi il y a quelques semaines le European Green Hydrogen Acceleration Center (Centre européen d’accélération de l’hydrogène vert). Il s’agit de mobiliser des moyens financiers, technologiques et humains pour accélérer le développement d’une filière économique de l’hydrogène vert. Elle pourrait représenter en Europe, selon la Commission,100 milliards d’euros d’ici 2025 et créer 500.000 emplois.

Les groupes privés européens ne sont pas en reste. Shell veut produire de l’hydrogène aux Pays-Bas en récupérant le CO2 provenant de ses raffineries. Airbus s’est lancé dans un projet d’avion à hydrogène. Le sidérurgiste ArcelorMittal construit un prototype pour fabriquer de l’acier avec de l’hydrogène à Hambourg. Daimler et Volvo se sont alliés pour construire des camions à hydrogène.

La Chine, déjà numéro un mondial des électrolyseurs

La Chine aussi accélère. Dès le début de l’année 2019, elle a annoncé un grand plan hydrogène. Il ne peut qu’être dopé par l’ambition rendue publique à la surprise générale lors de l’Assemblée des Nations Unies par le Président Xi Jinping d’amener le pays à la neutralité carbone en 2060. La Chine construit une ferme solaire et éolienne géante en Mongolie intérieure pour produire de l’hydrogène. Le plus grand raffineur de pétrole du pays, Sinopec, a annoncé le 29 octobre qu’il allait investir massivement dans la filière hydrogène pour en devenir un des leaders. Ce qu’il est déjà. La Chine est aussi d’ores et le premier fabricant mondial d’électrolyseurs.

Cockerill Jingli Hydrogen, un partenariat entre Suzhou Jingli Hydrogen Manufacturing Equipment and le groupe belge John Cockerill a ouvert l’n dernier une usine de 18.000 mètres carrés ayant la capacité de fabriquer 350 mégawatts d’électrolyseurs par an. Cette capacité dit rapidement passer à 500 mégawatts. «Les Chinois ont toujours un avantage, ils vont vite», souligne Edgare Kerkwijk, directeur exécutif à Singapour du Asia Green Capital Partners, une firme de conseil et d’investissement. «Et dès qu’ils atteignent la masse critique, ils sont capables d’exporter».

Des villes nouvelles fonctionnant uniquement avec de l’hydrogène

La stratégie du Japon et de la Corée du sud est un peu différente. Elle passe par la construction dans les deux pays de villes nouvelles fonctionnant uniquement à l’hydrogène et le développement de véhicules à hydrogène. Les deux pionniers de la voiture à hydrogène à pile à combustible sont le japonais Toyota et le coréen Hyundai. Ce dernier vient même de se doter d’une marque dédiée à l’hydrogène, HTWO. Même si pour le moment la voiture électrique à batteries semble avoir pris le dessus, l’hydrogène et la pile à combustible semblent être de bien meilleures solutions techniques pour les camions, les trains, les navires et les avions. Hyundai entend exporter 64.000 camions à hydrogène par an d’ici 2030.

Le point clé pour la filière à hydrogène consiste à être capable avec la masse de financements publics et privés de produire de l’hydrogène vert à des tarifs économiquement acceptables. Les coûts de production de l’hydrogène vert oscillent aujourd’hui entre 2,5 et 6,8 dollars le kg contre moins de 1,5 dollar le kilo pour celui provenant d’énergie fossile (gaz naturel). Il est possible avec une fabrication à plus grande échelle, avec des électrolyseurs plus performants et une électricité décarbonée moins coûteuse de faire baisser rapidement le coût de l’hydrogène vert. C’est indispensable. Optimiste, l’agence Bloomberg estime que le coût de fabrication de l’hydrogène vert pourrait descendre à 1,40 dollar par kilo en 2030 et même à 80 centimes en 2050, l’équivalent de celui du gaz naturel.

La rédaction