Transitions & Energies
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L’hydrogène fait aussi tourner la tête des allemands


Le grand départ de la course à l’hydrogène vert en Europe a été donné en Allemagne au mois de juin. Non seulement, le gouvernement allemand y voit le moyen de lui permettre de stocker l’électricité renouvelable, dont la production est soit surabondante, soit insuffisante, mais il entend en profiter pour dominer cette filière d’avenir.
 Il n’est pas sûr du tout qu’il veuille laisser une place aux soudaines ambitions françaises.
Article paru dans le numéro 6 du magazine Transitions & Energies

En matière d’hydrogène, l’Allemagne ne cache pas ses ambitions: devenir le «fournisseur et producteur numéro un » d’hydrogène au niveau mondial. Après moult hésitations au sein de la coalition pilotée par Angela Merkel et avec près de six mois de retard, le gouvernement fé-déral s’est finalement donné, au mois de juin, les moyens de ses ambitions en débloquant une enveloppe de… 9 milliards d’euros pour financer sa « stratégie nationale pour l’hydrogène ».

Une production en partie délocalisée vers les pays du soleil

Ce programme, qui fait partie du plan de relance de 130 milliards d’euros préparé pour lutter contre l’impact du Covid-19 sur l’économie alle- mande, comprend un budget de sept milliards d’euros qui sera consacré à la recherche et au développement d’infrastructures afin de produire cinq gigawatts d’hydrogène d’ici à 2030 avant de franchir le cap symbolique des dix gigawatts dix ans plus tard. Deux milliards d’euros supplémentaires seront investis dans des «partenariats internationaux» qui permettront à notre voisin d’importer de l’hydrogène vert produit dans des pays fortement ensoleillés.

Sous la pression des sociaux-démocrates qui participent à la grande coalition au pouvoir à Berlin, le gouvernement qui n’excluait pas au départ de recourir au gaz a en effet décidé d’utiliser uniquement des énergies renouvelables pour produire de l’hydrogène. «La stratégie nationale de l’hydro- gène donnera à l’Allemagne un double élan : pour le climat et pour une reprise économique durable après la crise Covid-19, s’est réjouit Svenja Schulze, la ministre fédérale de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sécurité nu- cléaire. L’hydrogène vert nous donne la possibilité de mieux atténuer le changement climatique dans des domaines où il n’existait pas de solutions auparavant comme par exemple l’industrie sidérurgique ou l’aviation. À long terme, seul l’hydrogène basé sur une énergie 100 % renouvelable est bon pour le climat. Cela signifie aussi qu’un “oui” à l’hydrogène est également un “oui” à l’énergie éolienne. Nous avons besoin de plus d’énergie verte pour pouvoir produire de l’hydrogène vert. C’est pourquoi nous devons et nous allons constamment développer l’utilisation des énergies renouvelables.»

Le ministre de l’Économie, Peter Altmaier, a, lui aussi, reconnu que ce programme visait «surtout» à aider son pays à «atteindre ses objectifs climatiques».

Un débouché à l’électricité renouvelable intermittente

Pour accélérer la baisse de ses émissions polluantes qui sont toujours nettement supérieures à ses estimations, l’Allemagne doit impérativement donner un nouveau coup de fouet à l’utilisation des énergies renouvelables. En 2019, la puissance raccordée au parc éolien terrestre outre-Rhin n’a augmenté que de 981 MW alors que la hausse annuelle moyenne enregistrée entre 2009 et 2018 a atteint 3,1 GW, selon les calculs du bureau d’études Deutsche WindGuard. De nouveaux parcs devront rapidement être érigés pour permettre à notre voisin d’atteindre les objectifs précisés dans sa «stratégie nationale». Le processus d’électrolyse pour produire de l’hydrogène vert entraîne une déperdition d’énergie de 30 %. Pour générer 5 GW d’hydrogène, 20 TW heures d’électricité renouvelable sont nécessaires. Une aubaine pour les exploitants de parcs éoliens et de fermes solaires.

Les principaux utilisateurs de l’hydrogène verte produite en Allemagne seront les industriels les plus polluants et notamment les fabricants d’acier, qui génèrent environ 30 % des émissions de CO2 du secteur industriel outre-Rhin. Le conglomérat Thyssenkrupp a déjà bouclé un partenariat avec le fournisseur d’électricité RWE pour utiliser de l’hydrogène durable dans son aciérie située à Duisbourg en Rhénanie-du- Nord Westphalie. La chimie ainsi que les transports de marchandises et collectifs sont également dans la ligne de mire de l’État fédéral. La «stratégie nationale» lancée par Berlin vise aussi à soutenir l’industrie automobile allemande qui a pris beaucoup de retard dans l’électrification de sa flotte et qui doit aujourd’hui se lancer dans une marche forcée vers la décarbonation. Face à la pression des partis conservateurs CDU-CSU au sein de la grande coalition, le plan de relance gouvernemental prévoit ainsi de subventionner à hauteur de 2,1 milliards d’euros l’achat de voitures particulières à hydrogène.

Un soutien de fait à la conversion de l’industrie automobile

Pour redorer leur image suite aux multiples scandales liés aux moteurs diesel frauduleux et afin de prendre une longueur d’avance sur leurs concurrents qui se sont concentrés sur les modèles électriques et hybrides, les marques rhénanes commencent donc à miser gros sur les piles à hydrogène qu’elles considèrent comme une alternative aux batteries rechargeables classiques qui sont presque toutes produites en Chine. Elles savent qu’elles n’ont pas de temps à perdre. Toyota commercialise un modèle 100 % hydrogène, la Mirai, depuis 2015 et Pékin prévoit de produire 1 million de voiture à hydrogène dès 2030. Le coréen Hyundai collabore, pour sa part, depuis 2018 avec Audi pour imaginer des modèles fonctionnant avec des piles à combustibles. La filiale de VW n’est toutefois pas la seule à avoir développé un partenariat pour se lancer sur ce secteur.

Daimler vient ainsi de s’associer avec le suédois Volvo et Rolls-Royce pour fabriquer industriellement des piles à combustible pour poids lourds. L’entreprise créée à cette occasion, baptisée Daimler Truck Fuel Cell GmbH & Co, est déjà valorisée 1,2 milliard d’euros. BMW a proposé dès 2006 une série 7 fonctionnant avec de l’hydrogène mais sa commercialisation s’est arrêtée trois ans plus tard après l’assemblage de… 100 exemplaires. «On est convaincu que l’hydrogène peut apporter une contribution importante à la mobilité durable à l’avenir en complément des véhicules équipés de batteries, assure le groupe bavarois. La condition est néanmoins que l’infrastructure nécessaire à la distribution d’hydrogène soit disponible et que le prix de l’hydrogène comme celui des véhicules baisse.» Le gouvernement semble faire le même constat.

«Mon ministère travaille sur la technologie de l’hydrogène depuis plus d’une décennie en investissant notamment plus de 700 millions d’euros en R&D, assure Andreas Scheuer, le ministre fédéral des transports. Nous avons maintenant besoin de projets commercialisables. Les gens doivent avoir la possibilité de faire l’expérience de l’hydrogène. C’est là qu’intervient notre stratégie : elle s’intéresse à l’ensemble de la chaîne de valeur – technologie, production, stockage, infrastructure et applications dans les véhicules.»

Attention à l’euphorie

Aujourd’hui à peine 85 stations-service proposent des pompes de remplissage H2 en Allemagne. Mais ce réseau devrait rapidement s’étendre. La Bavière a ainsi prévu d’investir, à elle seule, 50 millions d’euros pour équiper une centaine de stations dans les plus brefs délais.

Si le gouvernement fédéral s’est donné les moyens de pro- mouvoir la production d’hydrogène sur son territoire, ses di- rigeants savent que leurs objectifs seront difficiles à atteindre en concentrant leurs investissements uniquement en Allemagne. Les opposants aux énergies renouvelables qui sont de plus en plus nombreux retardent la construction de nouvelles fermes éoliennes. Les projets mettent souvent plusieurs années à sortir de terre en raison des poursuites judiciaires lancées par leurs détracteurs. Bien conscient de ce problème, la coalition au pouvoir à Berlin a débloqué 2 milliards d’euros pour développer des «partenariats internationaux» en matière d’hydrogène.

Un accord a notamment été conclu au mois de juin avec le Maroc pour produire de l’hydrogène vert dans le cadre du projet baptisé «Power-to-X». La république fédérale va également aider le Nigeria à construire une filière hydrogène dans 15 pays de l’ouest africain. La Fédération des industries allemandes (BDI) considère, pour sa part, l’Australie comme un « futur géant de l’hydrogène ». L’Arabie saoudite pourrait être un autre partenaire potentiel pour l’Allemagne. Les deux pays ont déjà collaboré entre 1986 et 1991 dans ce domaine au sein d’un programme baptisé Hysolar.

L’offensive lancée par notre voisin est bien plus ambitieuse que celle annoncée en 2018 par la France qui avait débloqué à peine 100 millions d’euros pour son plan hydrogène. Mais la France a rectifié subitement le tir et annoncé en septembre 2020, trois mois après le plan allemand, mettre 7 milliards sur la table.

Cela dit Berlin a bien l’intention de «jouer un rôle de pionnier, comme nous l’avons fait il y a vingt ans avec la promotion des énergies renouvelables», a résumé Peter Altmaier.

Certains estiment qu’il est prématuré de faire une telle comparaison. «La stratégie du gouvernement va dans le bon sens mais il ne faut pas voir dans l’hydrogène le pétrole de demain, prévient Claudia Kemfert, la spécialiste des questions d’énergie et d’environnement à l’Institut allemand pour la recherche économique (DIW). Il ne sommeille pas sous la terre depuis des milliers d’années et doit seulement être pompé. Il doit être produit à grands frais et avec l’aide d’autres énergies. Ce serait donc dangereux et illusoire de penser qu’il pourra combler tous nos besoins. L’hydrogène est important mais il ne faut pas tomber dans l’euphorie.» Nous voilà prévenus…

Frédéric Therin

La rédaction