<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’ère du gaz naturel bon marché est révolue

16 août 2021

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Flamme Gaz Naturel Wikimedia Commons
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L’ère du gaz naturel bon marché est révolue

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La consommation de gaz naturel dans le monde a augmenté de 30% au cours de la dernière décennie. Cette source d'énergie fossile est considérée comme un carburant de transition permettant de remplacer notamment le charbon (dans les centrales thermiques) en émettant deux fois moins de CO2. Mais si la progression de la demande continuera dans les prochaines années, la production ne suit plus, faute d'investissements. Les prix du gaz naturel se sont envolés et les risques de pénurie et de crise de l'énergie grandissent. Cela pourrait compliquer sérieusement la stratégie de transition de nombreux pays qui misent sur le gaz. C'est notamment le cas en Europe de l'Allemagne, de l'Espagne, de la Belgique, du Royaume-Uni... Quant au consommateur, il a vu en France les tarifs du gaz augmenter de 9,9% le 1er juillet et de 5,3% le 1er août. Et ce n'est qu'un début.

Le gaz naturel, utilisé pour produire de l’électricité dans les centrales thermiques et pour chauffer les bâtiments, est une source d’énergie qui a connu un développement spectaculaire depuis deux décennies. Elle est abondante. Elle était bon marché. Et elle émet près de deux fois moins de CO2 que le charbon. La production de gaz naturel a augmenté depuis plus d’une décennie avec l’exploitation de nouvelles ressources en Australie, en Russie et surtout aux Etats-Unis avec l’exploitation du gaz de schiste. Dans le même temps, le transport planétaire du gaz naturel s’est accéléré avec la généralisation des infrastructures permettant le transport après liquéfaction du GNL (Gaz Naturel Liquéfié). Le gaz naturel assure aujourd’hui 21% de la consommation mondiale d’énergie primaire.

Une crise énergétique mondiale ne va pas accélérer la transition… au contraire

Mais le marché du gaz naturel vient de changer en quelques mois. La demande continue à augmenter et cela ne va pas s’arrêter, car les centrales au gaz vont continuer à remplacer les centrales au charbon, mais les capacités de production ne suivent plus… Notamment faute d’investissements dans les énergies fossiles par les compagnies pétrolières et gazières, à la fois  sous la pression des actionnaires et des gouvernements.

Cela pourrait sembler être une bonne chose pour ceux qui souhaitent une accélération de la transition énergétique et un abandon rapide des énergies fossiles. Mais il s’agit en fait d’un mauvais calcul. D’abord, parce que le monde ne peut tout simplement pas se passer en quelques années des 10 milliards de tonnes d’énergies fossiles qu’il consomme par an et qui assurent plus de 80% de ses besoins énergétiques. Ensuite, parce que le développement rapide des renouvelables, notamment solaire et éolien, ne peut pas se faire en l’état actuel de la technologie et compte tenu de leur intermittence sans des capacités de production électrique rapidement mobilisables à commencer par des centrales au gaz. Il faut bien fournir l’électricité quand il n’y a pas de vent et de soleil. L’exemple allemand est là pour le prouver.

La transition consiste à substituer progressivement des énergies émettant moins de gaz à effet de serre aux carburants fossiles. Mais si cela se fait trop brutalement, si les prix de l’énergie s’envolent et les pénuries se multiplient, les conséquences économiques, sociales et politiques d’un tel appauvrissement seront désastreuses. Et cela mettra en danger la transition. Une crise énergétique mondiale et durable ne va pas l’accélérer contrairement à ce que souhaitent les écologistes radicaux, mais la compliquer et la ralentir. Les préoccupations des gouvernements ne seront plus alors de mener la transition mais de fournir en priorité de l’énergie à leurs populations et à leurs économies. Cela n’a pas empêché au début de l’année, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) de demander l’arrêt de tout nouveau projet d’investissement dans les énergies fossiles. Une posture inhabituelle pour l’AIE parce qu’elle est plus politique que réaliste. Il y a une décennie, l’AIE, annonçait «l’âge d’or» du gaz naturel, Mais aujourd’hui l’AIE veut son siège à la COP26 qui se tiendra cet automne en Ecosse.

En tout cas, et cela c’est la réalité, les cours européens du gaz ont atteint des niveaux record au cours des dernières semaines et dans le même temps les livraisons de GNL à l’Asie ont atteint des niveaux sans précédents en cette période de l’année. Les prix du gaz naturel en Europe ont augmenté de plus de 50% depuis le début de l’année pour atteindre 10 dollars par millions de Btu (British thermal units). Pour ce qui est du GNL, les cours ont été multipliés par six depuis l’an dernier. Même aux Etats-Unis, où la révolution du gaz de schiste a fait s’envoler la production, les prix sont à leur plus haut niveau depuis une décennie en cette période de l’année à plus de 4 dollars par millions de Btu. Depuis 2011, les Etats-Unis sont devenus le premier producteur mondial de gaz qui assure aujourd’hui 40% de la production d’électricité du pays.

Une demande soutenue, un manque d’investissements, des prix élevés et des risques de pénurie

«Peu importe la façon dont vous regardez les choses, le gaz sera un carburant de transition dans les décennies à venir pour les principales économies qui se sont engagées à atteindre des objectifs de réduction des émissions», explique à l’agence Bloomberg Chris Weafer, Pdg de Macro-Advisory Ltd. «Les prix du gaz ont de grandes chances de rester élevés à moyen terme et d’augmenter à long terme», ajoute-t-il.

De nombreux pays ont fait le choix du gaz naturel comme le moyen de réduire rapidement leurs émissions de carbone. Et cela a pu se faire relativement rapidement avec des investissements relativement limités. Les Etats-Unis et de nombreux pays européens en donnent un bon exemple. Entre 2009 et 2020, la consommation mondiale de gaz naturel a augmenté de 30% tirée à la fois par les besoins de la production d’électricité et ceux de l’industrie. Et cela ne devrait pas s’arrêter. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, d’ici 2024 la demande de gaz naturel devrait progresser dans le monde de 7% par rapport à ses niveaux d’avant le Covid-19. Selon une autre analyse du cabinet McKinsey, la consommation de GNL devrait augmenter dans le monde de 3,4% par an en moyenne d’ici 2035.

Plus d’investissements dans de nouveaux projets d’énergies fossiles

Cela s’explique notamment parce que les producteurs d’électricité en Europe et en Asie passent au gaz pour remplacer le charbon. Ils le font d’autant plus rapidement que les gouvernements se sont engagés à se débarrasser du charbon et que les prix du carbone sont appelés à augmenter fortement et rapidement. Dans le sud et le sud-est de l’Asie, les gouvernements ont planifié la construction de dizaines de centrales au gaz  pour répondre aux besoins d’électricité des populations. La Chine, qui veut officiellement réduire son addiction au charbon et fait face à des pénuries d’électricité, fait aussi le pari du gaz.

Cela signifie que même si les prix du gaz continuent à augmenter, il n’y a aucune chance pour que la demande diminue au cours des prochaines années. Mais il y a un mais. En général dans une économie de marché mondialisée, une forte demande se traduit par des investissements et des augmentations de capacité de production. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui avec les énergies fossiles dont le gaz. Il devient beaucoup plus difficile pour les compagnies, compte tenu de la pression des opinions publiques et des investisseurs, de financer des projets de développement gaziers. Si on ajoute à cela la prise de conscience que les installations gazières sont responsables d’émissions importantes de méthane, un gaz à effet de serre dont le pouvoir réchauffant est bien plus important que le CO2, de nombreux projets de développement gaziers ont été stoppés ou même abandonnés.

Sans investissements dans la production, la consommation de GNL en Asie, le principal moteur de l’augmentation de la demande dans les prochaines années, sera supérieure à la production de 160 millions de tonnes en 2035 selon le cabinet WoodMac’s Thompson. Pour donner un ordre d’idées, l’Asie a importé 250 millions de tonnes de GNL l’an dernier. Les signes d’un risque de pénuries se multiplient. En-dehors d’un projet massif de développement de GNL au Qatar, peu d’autres investissements ont été annoncés depuis un an et demi. Même les producteurs américains de gaz de schiste ne répondent pas aujourd’hui à l’augmentation de la demande. Ils sont sous la pression d’investisseurs qui veulent à la fois diminuer les dépenses et éviter de se retrouver à nouveau avec des surcapacités de production.

Le consommateur français est maintenant averti

L’augmentation inéluctable du prix du gaz a et aura des conséquences multiples. Elle va se traduire par une augmentation des prix de l’électricité et de nombreux produits industriels et alimenter les craintes d’un retour de l’inflation. Cela complique aussi  les stratégies d’investissements dans les renouvelables (notamment éolien et solaire) qui compte tenu de leur intermittence ont besoin de centrales thermiques, surtout à gaz, pour fournir l’électricité quand il n’y a pas de vent et de soleil. Ainsi, toute la stratégie de transition de l’Allemagne consiste à remplacer les centrales à charbon par des centrales à gaz. On comprend l’importance pour Berlin du gazoduc Nord Stream 2 qui devrait acheminer des quantités importantes de gaz russe vers l’Allemagne et vers l’Europe.

Des prix du gaz élevés ont aussi évidemment des répercussions sur le consommateur final. Les Français ont déjà pu s’en rendre compte. Les prix du gaz ont augmenté de 9,9% le 1er juillet et encore de 5,3% le 1er août.

Mais le plus gros problème est celui des pays en développement comme  l’Inde, le Pakistan le Bangladesh qui n’ont pas d’autre solution que le gaz pour moins dépendre du charbon.

Pour Mark Gyetvay, cité par l’agence Bloomberg, l’un des dirigeants du groupe gazier russe Novatek PJSC, «le manque d’investissements en capital dans de nouveaux projets gaziers ne nous met pas sur la voie de la transition énergétique, mais nous conduit plutôt vers une inévitable crise énergétique».

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