La montée en puissance de l’hydrogène se confirme depuis plusieurs années. Mais au niveau européen, seulement celui issu de l’électricité renouvelable dispose, selon Bruxelles, de l’étiquette « verte », privant ainsi l’hydrogène produit grâce au nucléaire de ce précieux label. Un choix arbitraire, soutenu par Berlin, qui grève les ambitions françaises dans cette filière stratégique.
S’il est tant scruté, c’est parce que l’hydrogène vert peut prendre sa part dans deux enjeux majeurs. Le premier, et non des moindres, est celui de la transition énergétique. La filière hydrogène prétend en effet durablement contribuer aux objectifs du « pacte vert pour l’Europe », qui engage les États-membres de l’UE à réduire de 55% leurs émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2030, par rapport à leur niveau de 1990. Car l’hydrogène est un candidat sérieux à la décarbonation de l’industrie et des transports -car il peut être stocké-, qui représentent respectivement 14% et 29% des émissions globales de CO2 dues à la combustion d’énergie (chiffres 2018) et qui sont, surtout, très difficiles à électrifier massivement. Le second est celui de la sortie progressive de la dépendance gazière à la Russie, rendue intenable par l’invasion de l’Ukraine et la récente attaque contre le gazoduc Nord Stream 2.
Trop vert pour être rentable
Loin d’être un bloc monolithique, l’hydrogène est au contraire aussi divers que les sources d’énergie nécessaires à sa production. Citons l’hydrogène gris, produit à partir de gaz selon la méthode du vaporeformage. Le noir, produit à partir du charbon. Le jaune, issu du nucléaire. Et le vert, qui vient des éoliennes et du solaire. L’hydrogène jaune et vert est produit par électrolyse de l’eau, une technique qui permet de séparer les atomes d’hydrogène des atomes d’oxygène qui la composent via un courant électrique. Une méthode dont le bilan carbone dépend de la source d’énergie utilisée. En fonction de sa place sur ce nuancier, l’hydrogène est donc plus ou moins cher à produire, plus ou moins vecteur de dépendance à telle filière d’importation et, surtout, plus ou moins carboné. Mauvaise nouvelle, l’hydrogène est à ce jour produit à plus de 90 % à partir de sources d’énergie fossiles.
Plus pertinente, la classification française, définie dans l’ordonnance du 17 février 2021 de la loi énergie-climat, catégorise l’hydrogène en fonction de son bilan carbone. Elle distingue ainsi l’hydrogène renouvelable, issu de l’éolien et du solaire, l’hydrogène bas-carbone, produit grâce à des sources d’énergie non-renouvelables mais aussi peu émettrices de CO2 que les renouvelables (le nucléaire) et enfin, l’hydrogène carboné, très fortement émetteur de gaz à effet de serre. La stratégie de la France est d’intégrer au niveau européen l’hydrogène bas-carbone à la petite famille de « l’hydrogène vert ». Une approche logique pour répondre aux défis de la baisse globale des émissions de CO2 à l’échelle européenne et aux enjeux de décarbonation de la mobilité et de l’industrie.
Plus qu’une simple posture politique pour souligner que la France continuera de défendre l’apport de l’atome dans la transition énergétique, cette volonté répond aussi aux faiblesses systémiques de l’hydrogène vert. D’un point de vue financier, selon les données de l’IFP Énergies Nouvelles, la production d’hydrogène à partir de l’électrolyse est deux à trois fois plus chère que la technique du vaporeformage, bien que la hausse des prix des énergies fossiles depuis la guerre en Ukraine puisse en partie rebattre les cartes. Ce différentiel de coût se retrouve, en bout de chaîne, dans ses applications. A Auxerre, où plusieurs bus roulent à l’hydrogène vert, le prix du plein est deux à trois fois plus élevé qu’avec du gasoil. De même, le déploiement à grande échelle d’une production d’hydrogène vert se heurte aux faibles facteurs de charge de l’éolien et du solaire -de 15 % pour le solaire à 38 % pour l’éolien en mer- qui augmentent fortement ses coûts de production et le rendent parfois indisponible.
Un hydrogène vert « tout-renouvelable » est une gageure
D’un point de vue opérationnel, ni la France, ni même l’Allemagne ne disposent des capacités industrielles suffisantes de production d’énergie renouvelable pour répondre aux objectifs européens. Pour rappel, l’Union européenne a comme objectif la production de 10 millions de tonnes d’hydrogène par an d’ici 2030 ce qui nécessiterait, selon l’ONG Bellona, un surplus de production annuel de 500 Twh renouvelables, soit la consommation totale d’électricité de la France. Impensable, sans recourir plus massivement au gaz et au charbon ce qui entraînerait, non seulement une pression accrue sur des réseaux déjà sous haute tension, mais encore une hausse concomitante des émissions de gaz à effet de serre.
A terme, la valorisation de l’hydrogène issu de toutes les sources bas-carbone est absolument nécessaire pour notre pays qui dispose déjà des infrastructures et de sources d’importation d’uranium parfaitement sécurisées. D’autant que, face à la promesse d’un hydrogène localement produit, Allemands et Belges plaident pour des importations massives venues notamment du Maroc, de Namibie ou encore d’Afrique du Sud. La Commission européenne a déjà sacrifié un peu de sa crédibilité en incluant le gaz « naturel » dans la taxonomie verte, pour calmer les offensives allemandes contre le nucléaire français. La France doit, à tout prix, défendre sa vision d’un hydrogène bas-carbone, localement implanté et vecteur de souveraineté énergétique face aux visions de certains pays qui relèvent de la gageure climatique.