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Nord Stream 2 Wikimedia Commons

Qui a vraiment intérêt au sabotage des gazoducs Nord Stream?


Le sabotage sous-marin des gazoducs Nord Stream 1 et 2 laisse perplexe les experts. Car non seulement, l’opération est militairement difficile à mener et demande des moyens importants, mais peu de pays ont vraiment intérêt à la politique du pire.

Le sabotage des deux gazoducs russes de 1.200 kilomètres Nord Stream 1 et Nord Stream 2, près de l’île danoise de Bornholm dans la mer Baltique, soulève de nombreuses questions. D’abord, les trois brèches distinctes dans les pipelines excluent toute possibilité de défaillance technique. Les explosions sous-marines enregistrées par des sismologues peu avant les fuites ne laissent aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’une opération sous-marine militaire menée par un pays disposant de moyens permettant de le faire. C’est-à-dire possédant des sous-marins militaires ou au moins des engins sous-marins guidés capables de poser des charges explosives.

Car ce n’est pas une opération facile de faire des brèches dans un gazoduc sous-marin. Les canalisations de Nord Stream 1 et 2 se trouvent à des profondeurs allant de 80 à 110 mètres qui ne sont pas à la portée d’hommes grenouilles. Par ailleurs, les canalisations ont été fabriquées en acier de haute qualité, provenant d’Europe, de Russie et du Japon, avec des épaisseurs de paroi allant de 26,8 à 34,4 millimètres. Et elles sont protégées par des coffrages en béton.

Rendre long, coûteux et hypothétique le redémarrage des livraisons de gaz russe

Même si les deux pipelines ne sont pas actuellement en service, ils étaient remplis de gaz naturel sous pression, ce qui explique pourquoi le gaz bouillonne jusqu’à la surface. Cela donne à penser que les dommages sont importants même s’ils n’ont pas été évalués précisément. L’objectif de l’opération était en tout cas très clairement de rendre difficile, long, coûteux et hypothétique le redémarrage des livraisons de gaz russe par les gazoducs et par la mer Baltique directement à l’Allemagne. Réparer et vidanger les gazoducs prendrait des mois et coûterait une fortune.

Mais qui a intérêt à cela et à la politique du pire?

Il y a d’abord une coïncidence troublante, celle de l’ouverture presque simultanée du gazoduc Trans Baltic entre la Norvège et la Pologne et des sabotages des gazoducs russes. Comme si l’existence de cette voie de livraison alternative marquait la fin des Nord Stream.

«Il ne s’agit pas d’une coïncidence si cela se produit le jour de l’ouverture du gazoduc de la Baltique», affirme Jutta Paulus, parlementaire européenne allemande du parti des Verts. Le président Vladimir Poutine nous dit: «assurez-vous de savoir ce que vous faites lorsque vous appliquez plus de sanctions contre nous…», ajoute-t-elle

Mais Radoslaw Sikorski, autre membre du Parlement européen et ancien ministre polonais des Affaires étrangères, insinue lui que les États-Unis sont derrière les dommages subis par les gazoducs. Sur son compte Twitter mardi soir, Sikorski a partagé une photo d’une fuite de gaz, disant «Merci les États-Unis».

Il est vrai que les États-Unis sont très critiques depuis longtemps de la dépendance grandissante de l’Europe et plus particulièrement de l’Allemagne, au gaz naturel russe. Ils ont ainsi tenté de bloquer la mise en service du pipeline Yamal dans les années 1980. Encore en 2018, le président américain de l’époque, Donald Trump, avait averti les Européens à l’Assemblée générale des Nations Unies de la possibilité d’une coupure énergétique russe.

Les Etats-Unis, usual suspect

L’histoire lui a donné raison. Les livraisons russes via Nord Stream 1 ont commencé à baisser à la fin de l’année dernière. Nord Stream 2 bien que terminé n’est jamais entrée en service après l’invasion de l’Ukraine en février. Et Nord Stream 1 a été coupé par Gazprom pour des «raisons techniques».

Les Etats-Unis pourraient aussi avoir été tentés d’agir s’ils craignent que l’Europe renonce aux sanctions contre la Russie pour éviter une crise énergétique cet hiver. Cela leur permettrait aussi de sécuriser les exportations américaines massives de GNL vers l’Europe.

Mais ces hypothèses semblent fragiles. Les Européens ne semblent pas prêts à céder à Moscou et semblent même vouloir renoncer presque définitivement au gaz russe. Et surtout, en faisant cela l’administration Biden prendrait de grands risques politiques comme stratégiques. Le Secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken a affirmé mercredi 29 septembre que «personne n’a intérêt à saboter les gazoducs de la Baltique».

La Russie et l’Ukraine également candidats

Pour l’Ukraine, le sabotage ne peut être que l’œuvre de la marine russe. Pour Andréi Kobolyev, ancien directeur général de la compagnie gazière ukrainienne Naftogaz: «en désactivant les gazoducs, la Russie protège Gazprom contre les poursuites judiciaires pour non-livraison de gaz à ses clients européens… Cela permet à l’entreprise de déclencher des clauses de force majeure dans ses contrats». L’idée que la Russie puisse être impliquée est «tout à fait stupide et absurde», a répondu mercredi 28 septembre Dmitri Peskov, porte-parole de Vladimir Poutine.

En détruisant ses propres pipelines, la Russie perd en effet tout moyen de pression sur l’Europe. Nord Stream 1 et Nord Stream 2 appartiennent tous deux à un consortium mené par Gazprom qui en détient 51% et quatre partenaires occidentaux, les Allemands EON et Wintershall (groupe BASF) en ont 15,5% chacun, et le Français Engie et Le Néerlandais Gasunie 9% chacun.

L’Ukraine est aussi un candidat ayant toutes les raisons de chercher à nuire à la Russie économiquement et à l’éloigner encore un peu plus de l’Europe de l’Ouest. Mais cela comporte aussi beaucoup de risques. Si l’Ukraine est découverte, elle met en danger ses relations vitales avec l’Europe et l’OTAN.

Enfin, la plupart des pays européens ont les moyens techniques pour réaliser une telle opération. Mais ils prendraient eux-aussi énormément de risques pour un intérêt limité. Même les pays baltes, la Finlande ou la Pologne, adversaires résolus de la Russie, ne peuvent se mettre à dos l’Union Européenne et l’Otan.

 

 

 

 

 

 

La rédaction