Transitions & Energies

Gaz et électricité: le prochain hiver pourrait être difficile en Europe


Si la reprise économique chinoise s’accélère d’ici la fin de l’année et si l’hiver prochain est moins clément que le dernier dans l’hémisphère nord, les risques pesant sur l’approvisionnement en gaz et en électricité de l’Europe vont resurgir. L’Europe est loin d’avoir surmonté ses problèmes de déséquilibre fondamental, d’une part entre l’offre et la demande de gaz naturel avec l’embargo sur les importations russes, et d’autre part de capacités de production d’électricité insuffisantes en cas de forte consommation hivernale. Cela est d’autant plus préoccupant que la Chine s’est lancée depuis quelques mois dans une frénésie d’achat de GNL (Gaz naturel liquéfié) et multiplie la signature de contrats à long et même très long terme (près de trente ans). Le régime chinois a fait de la sécurité d’approvisionnement énergétique sa priorité. La Chine devrait devenir cette année le premier importateur mondial de GNL et ses importations de GNL devraient doubler dans les dix prochaines années.

En dépit de la crise énergétique provoquée, en partie, par l’invasion de l’Ukraine, des niveaux records atteints par les prix du gaz et de l’électricité et de la faiblesse de la production d’électricité nucléaire par la France, la catastrophe énergétique annoncée à l’hiver dernier, y compris par le gouvernement, n’a pas eu lieu. Grâce à la reconstitution en catastrophe et à n’importe quel prix des réserves de gaz, grâce à un hiver très clément et grâce à la baisse de la consommation, notamment des industriels.

Pour autant, les raisons fondamentales de la crise en Europe, le déséquilibre entre l’offre et la demande de gaz et entre les capacités de production et la demande d’électricité, notamment en cas d’hiver rigoureux, n’ont pas disparu. Il faudra encore plusieurs années pour que le Qatar et les Etats-Unis puissent compenser durablement et en totalité les importations de gaz russe européennes. Quant aux capacités de production électrique en France et dans toute l’Europe, elles sont insuffisantes et le resteront encore de nombreuses années faute d’anticipations et de politiques publiques réalistes et responsables.

Il n’y aura peut-être pas assez de GNL à la fois pour l’Europe et la Chine

Tout cela signifie, comme vient de le déclarer à la BBC, Fatih Birol, le directeur exécutif de l’Agence international de l’énergie (AIE), que si la reprise de l’économie chinoise s’accélère d’ici la fin de l’année et que si le prochain hiver est plus rigoureux dans l’hémisphère nord que le dernier, la situation pourrait redevenir difficile. « Dans un scénario où l’économie chinoise est très forte, où elle achète beaucoup d’énergie sur les marchés et où l’hiver est rude, nous pourrions observer une forte pression à la hausse sur les prix du gaz naturel, ce qui ferait peser une charge supplémentaire sur les consommateurs », a affirmé Fatih Birol. Il a ajouté que dans un tel scénario, il ne pouvait pas exclure « des pénuries d’électricité cet hiver » .

Dans le même temps, les informations en provenance de Chine ne sont pas rassurantes. Le pays s’est lancé dans une véritable frénésie d’achats de GNL (Gaz naturel liquéfié). Les grands acheteurs publics multiplient la signature de contrats à long terme et vont jusqu’à participer aux investissements dans des installations de production. La Chine a aujourd’hui pour priorité politique de renforcer sa sécurité énergétique.

Les pénuries d’électricité et autres blackout se sont multipliés en Chine au cours des dernières années et les décideurs chinois utilisent tous les moyens à leur disposition pour éviter que cela se reproduise. Une pénurie de charbon, le principal combustible, de loin, utilisé par la Chine pour la production d’électricité, a entraîné des coupures d’électricité généralisées dans les usines en 2021. L’an dernier, c’est une baisse de la production d’hydroélectricité qui a provoqué des pénuries. En réaction, le pays a augmenté sa capacité de production de charbon qui a atteint des niveaux record et les stocks sont regarnis. Le gouvernement chinois veut faire de même avec le gaz.

Premier importateur mondial de GNL en 2023

Le pays est ainsi en passe de devenir le premier importateur mondial de GNL en 2023 devant le Japon. Et pour la troisième année consécutive, les entreprises chinoises acceptent d’en acheter davantage via des contrats à long terme et très long terme (près de trente ans) que n’importe quel autre pays, selon des données compilées par l’agence Bloomberg. Selon le consultant norvégien Rystad Energy, les importations annuelles de GNL du pays pourraient atteindre 138 millions de tonnes d’ici 2033, soit le double des niveaux actuels.

Le mois dernier, l’entreprise publique China National Petroleum a ainsi conclu un accord de 27 ans avec le Qatar et a pris une participation dans le projet d’expansion massive de l’exportateur, tandis qu’ENN Energy Holdings a signé également un contrat sur plus de 20 ans avec le groupe américain Cheniere Energy. Les livraisons au titre de ces deux contrats devraient commencer en 2026.

« La crise énergétique est loin d’être terminée »

D’autres accords devraient suivre. Des géants d’État tels que Cnooc et Sinopec sont en pourparlers avec le Qatar et des producteurs américains et des entreprises plus petites telles que Zhejiang Provincial Energy Group et Beijing Gas Group sont également à la recherche de contrats d’approvisionnement de long terme. Sinopec pourrait par ailleur investir dans un projet de développement gazier en Arabie saoudite comprenant des trains de liquéfaction. Une douzaine de nouveaux terminaux d’importation de GNL et de regazification seront construits dans les villes côtières chinoises au cours de cette décennie.

L’Europe ne reste pas inerte et cherche aussi à assurer son approvisionnement en GNL et remplacer ainsi celui qu’elle importait de Russie. Si Cheniere Energy a signé un contrat avec le groupe chinois ENN Energy Holdings, il en a aussi conclu un de 15 ans avec le norvégien Equinor. De la même façon, un autre producteur américain, Venture Global LNG, a conclu un accord sur 20 ans avec la société allemande Securing Energy for Europe tandis que la compagnie française TotalEnergies a pris une participation de 219 millions de dollars dans un terminal texan de transport de GNL développé par le groupe NextDecade. Patrick Pouyanne, le Pdg de TotalEnergies a été très clair: « cela renforce notre capacité à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz de l’Europe ».

Mais il faudra plusieurs années avant que les contrats et les investissements se concrétisent. Entretemps, l’approvisionnement est loin d’être assuré. Le mois dernier, le directeur de l’autorité allemande de régulation de l’énergie s’est montré tout aussi inquiet que l’AIE. Klaus Mueller a expliqué que la crise énergétique en Europe était loin d’appartenir au passé et que si l’hiver était froid, l’offre pourrait être inférieure à la demande. « En ce qui concerne le remplissage des réservoirs de stockage, nous avons atteint un niveau différent de celui de l’année dernière […]. Mais le facteur le plus important reste la météo », a déclaré M. Mueller cité par Reuters. « La crise énergétique est loin d’être terminée », a-t-il ajouté.

Des réserves de gaz qui se remplissent rapidement

Cela dit, l’Union européenne est en passe de remplir ses installations de stockage de gaz naturel plus tôt que prévu, selon les dernières prévisions de Rystad Energy. « Compte tenu de la demande historique et de différents scénarios d’approvisionnement, les installations de stockage pourraient même être pleines avant l’hiver de cette année… », estime l’analyste principal Lu Ming Pang.

Les prix du gaz sont logiquement repartis à la hausse pendant la majeure partie du mois de juin et ont enregistré une hausse moyenne de 38% principalement en raison des arrêts de production en Norvège dus à la maintenance des champs. Mais la demande globale de gaz en Europe reste faible par rapport à la moyenne des cinq dernières années, car les économies ralentissent et les industries ne sont pas revenues pour certaines au gaz malgré des prix bien plus bas que les records atteints l’été dernier.

La rédaction