Transitions & Energies

La transition énergétique allemande impopulaire et surtout inefficace


Entre la France pro-nucléaire et l’Allemagne adepte des renouvelables… et du charbon, la stratégie énergétique est l’un des principaux sujets de discorde. D’autant plus que Berlin impose à toute l’Europe un modèle qui a échoué. La question est au cœur des discussions entre le chancelier allemand Olaf Scholz et Emmanuel Macron qui se retrouvent à Hambourg. L’Allemagne fait face aujourd’hui à une crise énergétique structurelle qui ébranle son modèle économique industriel et met à mal sa stratégie de transition, la fameuse Energiewende, tant vantée par les institutions européennes et les mouvements écologistes. Illustration de cette crise, Berlin a décidé de maintenir encore en veille cette année ses centrales au lignite, un charbon de mauvaise qualité encore plus émetteur de carbone. Et dans le même temps, la colère monte dans le pays contre une stratégie très coûteuse, inefficace pour faire baisser les émissions et qui met en péril la souveraineté du pays.

C’est le modèle que les institutions européennes et bon nombre d’organisations écologistes voulaient et veulent toujours imposer à tous les pays de l’Union, celui de la révolution énergétique allemande, la fameuse Energiewende. Peu importe s’il est coûteux, de plus en plus impopulaire, notamment en Allemagne où il a fait s’envoler depuis des années le prix de l’électricité, et inefficace en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est pas pour rien si l’Allemagne émet encore presque deux fois plus de CO2 que la France. En fait, les baisses d’émissions de carbone réalisées par l’Allemagne depuis 1990 tiennent avant tout à la fermeture des vieilles usines polluantes de l’ex-Allemagne de l’Est…

Remplacer le charbon par le gaz… russe

La crise énergétique née l’an dernier de l’invasion de l’Ukraine par la Russie aurait dû logiquement définitivement enterrer le modèle allemand de transition énergétique et les arguments en sa faveur. Mais il n’en a rien été car dans le domaine de l’énergie l’idéologie et les calculs politiques prennent souvent le pas sur la réalité. Déjà, il y a deux ans, la Cour des comptes allemande dénonçait une stratégie de transition énergétique dispendieuse et inefficace. Et cela n’a pas empêché l’Allemagne de continuer à imposer son modèle en Europe et de s’opposer à Bruxelles par presque tous les moyens au modèle nucléaire français.

Avant la guerre en Ukraine, l’Allemagne dépendait de Moscou pour 52% de ses importations de gaz naturel, indispensables à son industrie et au chauffage des habitations. Et le gaz russe bon marché devait être en plus la pierre angulaire de la stratégie allemande du tout renouvelable qui du fait de l’intermittence de l’éolien et du solaire et de l’abandon du nucléaire ne pouvait reposer que sur des centrales thermiques activées quand il n’y a pas de vent et de soleil. Ce qui se passe tous les ans pendant des mois et par définition, pour le soleil, toutes les nuits. Dans une étude récente, la Deutsche Bank explique que «le problème fondamental est qu’aucune technologie rentable de stockage de l’électricité à grande échelle industrielle n’est en vue… L’Allemagne continuera donc à s’appuyer sur les capacités traditionnelles de production d’électricité de secours». Berlin pensait pourtant avoir une solution avec le gaz… russe. Les centrales à gaz émettant presque deux fois moins de CO2 que celles à charbon (voir le tableau ci-dessous), cela pouvait masquer un temps les faiblesses de l’Energiewende et l’Allemagne allait pouvoir afficher une réduction sensible de ses émissions.

Le lignite, encore pire que le charbon

C’est pour cela que les institutions européennes ont dans leur fameuse taxonomie mis sur le même plan ou presque l’électricité nucléaire, la plus décarbonée qui soit, et l’électricité issue de centrale à gaz considérée comme une énergie de transition… Une aberration. Mais il est vrai que les pays qui ont réduit rapidement leurs émissions au cours des dernières années sont ceux qui ont remplacé une grande partie de leurs centrales au charbon par des centrales à gaz comme le Royaume-Uni, les Etats-Unis ou l’Espagne.

Mais l’Allemagne va avoir beaucoup plus de mal à le faire aujourd’hui en étant contrainte d’importer massivement du gaz naturel liquéfié (GNL), plus coûteux, moins abondant et plus difficile à transporter. Et adapter ses infrastructures et ses besoins va prendre du temps. C’est pourquoi le pays a encore décidé cette année de maintenir en veille ces centrales au lignite, un charbon de mauvaise qualité encore plus émetteur de carbone. La décision a été annoncée le 4 octobre. Elle revient à ajouter une capacité de production de lignite de 1,9 GW aux 45 GW de centrales électriques au charbon existantes… «La réserve d’approvisionnement sera réactivée afin d’économiser du gaz dans la production d’électricité et d’éviter ainsi les goulets d’étranglement dans l’approvisionnement en gaz pendant la période de chauffage 2023/2024» a déclaré le gouvernement du chancelier Olaf Scholz.

Et l’Energiewende se heurte aussi dans le pays a une opposition de plus en plus farouche. Ainsi, le projet de loi obligeant les Allemands à remplacer les chaudières à gaz et à mazout par des pompes à chaleur présenté au printemps par Robert Habeck, ministre de l’Economie de la coalition au pouvoir en Allemagne et codirigeant du parti des Verts, a provoqué une levée de boucliers. Les tabloïds ont dénoncé un texte qui allait précipiter des millions de personnes dans l’endettement et la fureur contre le «fascisme vert» a fait grimper la popularité du parti d’extrême droite AfD. Environ 80% des bâtiments allemands sont chauffés à l’aide de combustibles fossiles. Et puis les pompes à chaleur consomment par définition une électricité que l’Allemagne a du mal à produire décarbonée, notamment en hiver… Robert Habeck a tout de même fini par réussir à faire voter son texte en l’amendant considérablement. Et le gouvernement doit toujours faire face à une opposition de plus en plus farouche, dans la quasi-totalité des Länder, à l’installation de nouvelles éoliennes terrestres. Au point que bon nombre d’appels d’offre ne trouvent pas preneur.

La rédaction