Chaque jour qui passe voit monter l’opposition, inattendue, à l’abandon contraint et forcé en 2035 des ventes en Europe de véhicules neufs à moteur thermique. Ce que la Commission avait réussi à imposer et que le Parlement avait entériné est aujourd’hui très sérieusement remis en cause par plusieurs Etats membres. Et ils sont suffisamment nombreux et peuplés pour empêcher l’adoption de la mesure.
L’Autriche rejoint le front du refus
La République tchèque a ainsi convié les pays du front du refus à une réunion ministérielle sur la future norme Euro 7 et les valeurs limites d’émission du secteur automobile lundi 13 mars à Strasbourg avec la Commission européenne. L’Allemagne, la Pologne et l’Italie, qui refusent le passage obligé en 2035 aux voitures électriques, ont participé à la réunion en compagnie de la Slovaquie, la Roumanie, le Portugal et la Hongrie dont les positions ne sont pas encore tranchées. Ils ont en tout cas reçu le soutien inattendu de l’Autriche dont le chancelier Karl Nehammer a promis qu’il ferait tout son possible pour assurer la survie du moteur à combustion. «Je me prononcerai, moi aussi, contre l’interdiction du moteur à combustion interne» si les dirigeants européens votent sur la question, a-t-il déclaré lors d’un discours sur sa vision de l’avenir pour l’Autriche. Quel genre de vision de l’avenir interdit «le moteur à combustion interne et se concentre sur un seul mécanisme de propulsion», a-t-il demandé. Et il se dit que la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie pourraient bien faire comme l’Autriche et rallier le front du refus.
L’Italie et la Pologne s’opposant de longue date à la mesure et la Bulgarie souhaitant au moins s’abstenir, avec l’Allemagne votant contre et maintenant l’Autriche la majorité qualifiée nécessaire (au moins 55% des États représentant 65% de la population de l’UE) n’est déjà plus réunie pour son adoption par le Conseil… qui devait être une formalité. Pourtant, le texte qui impose de fait les motorisations 100% électriques, avait fait l’objet d’un accord en octobre entre États membres avant d’être formellement approuvé mi-février par les eurodéputés.
Des moteurs thermiques fonctionnant avec des carburants de synthèse ou de l’hydrogène
Pour justifier une volte-face rarissime à ce stade de la procédure, Berlin a réclamé à la Commission européenne qu’elle présente une proposition ouvrant la voie après 2035 aux véhicules neufs fonctionnant avec des carburants de synthèse. Cette technologie est défendue notamment par des constructeurs haut de gamme allemands comme Porsche pour prolonger l’utilisation de moteurs thermiques. Plusieurs constructeurs et non des moindres comme BMW, Toyota, Yamaha, Ford, Cummins, Kawasaki Heavy Industries, Renault Trucks et… Porsche travaillent également sur des moteurs thermiques fonctionnant avec de l’hydrogène comme carburant. Et Oliver Blume, le patron de Volkswagen, a affirmé lundi 13 mars, à l’occasion de la présentation des résultats annuels de Porsche dont il est aussi le président: «nous pensons que les e-carburants peuvent jouer un rôle complémentaire utile pour le grand nombre de voitures existantes et les segments de niche».
Autre sujet d’inquiétude pour les pays du front du refus: la norme antipollution Euro 7, proposée en novembre par la Commission européenne et qui s’imposerait à l’industrie automobile à partir de 2025. Bruxelles propose notamment de fixer des limites à l’émission de particules fines liées à l’utilisation et l’usure des freins et des pneus et de réduire de 35% les émissions d’oxydes d’azote (NOx) des voitures particulières et utilitaires légers par rapport à la norme précédente Euro 6. Cette proposition est farouchement rejetée par les constructeurs, qui veulent une norme a minima pour des motorisations thermiques dans lesquelles ils ne veulent plus investir si elles sont censées disparaître en 2035. Selon eux, la norme Euro 7 proposée entraînerait ainsi un fort renchérissement des prix des véhicules, au risque de plomber encore davantage un marché européen déjà très mal en point.
Quant à la France, elle est dans cette affaire aux abonnés absents. Et pourtant, la grande faiblesse de l’industrie automobile française pourrait l’inciter à promouvoir une transition en douceur du moteur thermique vers l’électrique. Ce n’est pas du tout le cas. Le gouvernement français s’est toujours aligné sur les positions de la Commission pour des raisons avant tout politiques de la même façon qu’il a délaissé le nucléaire pendant 10 ans. Et en plus, Paris est aujourd’hui vexé… Car l’Allemagne en décidant soudain de refuser l’abandon pure et simple des moteurs thermiques remet en cause une décision entérinée sous la présidence française de l’Union, en juin 2022. Cela explique sans doute la sortie du ministre français des Transports Clément Beaune, le 8 mars dernier, regrettant la «forme de fronde» de Berlin. Et Bruno le Maire, le ministre français de l’Economie, n’est pas en reste qui dénonçait lundi 13 mars «une faute environnementale» et «une faute économique». Le gouvernement a-t-il bien mesurer les conséquences économiques et sociales de la fin dans 12 ans de la fabrication de véhicules à moteur thermiques? Et ne s’agit-il pas d’une question ayant une toute autre importance que celle des rapports de force diplomatiques au sein de l’Union Européenne.
Le gouvernement français vexé
Le marché automobile français connait un effondrement continu depuis 2019. Les problèmes de pouvoir d’achat empêchant une partie importante de la population d’accéder à des voitures récentes et électriques et l’exclusion des véhicules les plus anciens des métropoles et des villes via les ZFE (Zones à faibles émissions) portent en germe une multiplication de conflits sociaux. Les véhicules électriques sont bien plus coûteux à l’achat que leur équivalent thermique, une situation qui ne devrait pas changer avant au moins plusieurs années. Ainsi par exemple, la Dacia Spring (électrique) d’entrée de gamme aux performances de plus très limitées coûte 20.800 euros en version de base, contre 11.990 euros pour une Sandero à essence bien plus polyvalente à l’usage. Le premier prix d’une Peugeot e-208 zéro émission est de 34.800 euros et de 19.200 pour la version thermique! Et la promesse d’Emmanuel Macron de véhicules zéro émission abordables en leasing pour 100 euros par mois est pour le moment… toujours une promesse. Enfin, le passage au tout électrique se traduira en France par des dizaines de milliers de suppressions d’emplois dans l’industrie automobile, sans parler des garages, des concessions, des stations-services… Dans un pays où la désindustrialisation est massive et qui est maintenant le dernier de la classe en Europe pour la part de l’industrie dans le PIB (9%), à l’exception de Chypre et Malte!