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ZFE, la bombe à retardement sociale est amorcée


Les Zones à faible émissions (ZFE) vont devenir dans les prochains mois et les prochaines années la parfaite illustration des fractures sociale et géographique qui minent la France. Elles vont exclure d’ici deux ans plus de 40% des automobilistes, les plus modestes, des agglomérations de plus de 150.000 habitants et plus de 70% deux ans plus tard… L’objectif annoncé, réduire la pollution atmosphérique, n’est pas contestable. Mais l’efficacité de la méthode l’est. Rappelons que les émissions les plus dangereuses pour la santé, celles de particules fines, ne sont liées que de façon minoritaire à la circulation routière (entre 25 et 34% en Ile-de-France et entre 13 et 15% dans le reste du pays). Et les confinements en 2020 ont permis de faire des expériences en grandeur réelle sur le véritable impact de la circulation automobile sur le niveau de particules fines. Il y a eu ainsi trois alertes aux particules fines en 2020 en Ile-de-France, dont deux pendant les périodes de confinements marquées par une très forte baisse de la circulation automobile… Et en plus, la profusion de textes législatifs parfois contradictoires, de décrets, de dérogations, de calendriers rend la mise en place des ZFE totalement incompréhensible.

La multiplication impérative des Zones à faible émissions (ZFE) sur tout le territoire et dans toutes les agglomérations de plus de 150.000 habitants est en train de devenir le désastre social et économique annoncé. Sans compter que la multiplication de textes législatifs, de décrets, de dérogations, de calendriers et d’annonces gouvernementales et locales rend la situation chaotique. Au point que le programme InTerLUD (Innovations Territoriales et Logistique Urbaine Durable) a lancé le 20 février un portail nommé ZFE.green qui permet de visualiser un peu plus facilement les ZFE active et celles qui vont le devenir. En tout cas, les élus des collectivités locales commencent à prendre peur des conséquences de ce qu’ils imposent aux automobilistes les plus modestes. Le souvenir de la révolte des gilets jaunes reste présent.

Ainsi, après le report l’an dernier de la verbalisation automatique des véhicules par la métropole du Grand Paris pour des raisons soi-disant techniques, c’est au tour de la métropole lyonnaise de faire machine arrière. Son Président, l’écologiste Bruno Bernard, a repoussé de deux ans, de 2026 à 2028, l’interdiction de circuler dans la ZFE pour les véhicules Crit’Air 2. La métropole lyonnaise pourrait aussi retarder ou limiter l’extension du périmètre de la ZFE qui concernait une vingtaine de communes.

Une profusion de textes législatifs, de décrets, de dérogations, de calendriers

Mais selon le calendrier imposé par le gouvernement, dans moins d’un an la mise en place d’une dizaine de ZFE dans les dix plus grands villes françaises va exclure les véhicules de vignette Crit’Air 3 et plus. Cela concerne des voitures et utilitairs datant d’avant 2011 pour les diesel et d’avant 2006 pour les moteurs à essence. Cela correspond, selon une étude menée par Aramis, à 40% du parc automobile actuel français… Pour le «Grand Paris» sont concernés aujourd’hui 79 communes, 11 pour la métropole lilloise, 26 à Grenoble, 4 à Lyon… Et ces zones seront rapidement élargies: 131 communes autour de Paris d’ici 2025, 58 autour de Lyon, 71 autour de Rouen. Sans compter la création de nouvelles ZFE à Strasbourg, Toulouse, Montpellier, Marseille-Aix-en-Provence, Toulon, Nice…

La profusion de textes plus ou moins contradictoire, la maladie française, rend les choses encore plus compliquées. Il y a d’abord eu la loi LOM (loi d’orientation des mobilités), de décembre 2019. Elle a rendu obligatoire la création d’une ZFE dans 10 métropoles (Lyon, Grenoble, Métropole du Grand Paris et Paris, Aix-Marseille-Provence, Nice-Côte d’Azur, Toulon-Provence-Méditerranée, Toulouse, Montpellier-Méditerranée, Strasbourg et Rouen-Normandie). Puis est venue s’ajouter la loi Climat et Résilience d’août 2021. Elle a étendu les ZFE aux agglomérations de plus de 150.000 habitants au nombre de 43. Elles ont l’obligation de mettre en place une ZFE «au plus tard au 31 décembre 2024»… sauf pour les villes où la pollution dépasse les seuils limites, auquel cas, l’interdiction des Crit’Air 5 commence cette année en 2023, Crit’Air 4 en 2024 et Crit’Air 3 en 2025.

Mais il existe des possibilités de dérogations prévues par un décret. Les élus locaux peuvent, sous certaines conditions, définir leur propre calendrier, le périmètre de la zone, les niveaux de restrictions et les possibilités de dérogations.

Assignation à résidence

En l’état actuel des choses et dans moins de deux ans, l’exclusion et l’assignation à résidence d’une partie de la France périphérique et modeste seront actées sans pédagogie, sans explications, sans solutions alternatives et sans études de l’impact économique et social. Près d’un automobiliste sur deux, compte tenu de l’âge de son véhicule, ne pourra ainsi plus circuler dans la quarantaine d’agglomérations de plus de 150.000 habitants du pays. Et à partir de 2026, sauf reports, cela concernera les vignettes Crit’Air 2 et plus, soit 70% du parc automobile… La recette presque garantie d’une révolte de type gilets jaunes.

Car selon un sondage Aramisauto réalisé à la fin de l’année dernière par OpinionWay, 51% des sondés ne connaissent même pas le numéro Crit’air de leur voiture… Et selon la même étude, 42% des automobilistes issus des classes modestes se disent «déterminés» à conduire leur véhicule malgré l’interdiction. De la même façon, 75% des ménages modestes interrogés affirment que «la voiture reste indispensable pour se rendre au travail» et 60% «déplorent ne pas avoir d’offre de transport adaptée». Quant à la volonté gouvernementale de pousser les automobilistes vers l’achat de véhicules électriques, elle semble avoir un impact limité car à 59% les personnes interrogées choisiraient à nouveau un moteur thermique, et ce serait un modèle d’occasion pour 70% d’entre elles. Signe que le pouvoir d’achat est évidemment le facteur déterminant.

L’objectif annoncé, réduire la pollution atmosphérique, n’est pas contestable en soi. Mais l’efficacité de la méthode l’est. Rappelons que les émissions les plus dangereuses pour la santé, celles des particules fines, ne sont liées que de façon minoritaire à la circulation routière (entre 25 et 34% en Ile-de-France et entre 13 et 15% dans le reste du pays) et marginale au type de motorisation et à l’âge des véhicules. Les particules fines proviennent en grande partie de l’abrasion des pneumatiques et des systèmes de freinage. Et les confinements en 2020 ont permis de faire des expériences en grandeur réelle sur l’impact de la circulation automobile sur le niveau de particules fines. Il y a eu ainsi trois alertes aux particules fines en 2020 en Ile-de-France, dont deux pendant les périodes de confinements marquées par une très forte baisse de la circulation automobile…

Radars automatiques et amendes

Mais la machine à exclure au nom du bien est en marche. Les contrevenants s’exposeront à une amende de classe 4, sur les cinq échelons d’amendes en France. Cela se traduit par 135 euros. Elle peut être minorée à 90 euros ou majorée à 375 euros (300 euros en cas de paiement dans les 30 jours). Au maximum, elle peut atteindre 750 euros. Et le nombre d’amendes devrait exploser avec la mise en place de radars automatiques. Ils permettront de verbaliser les contrevenants dès lors qu’ils franchissent la frontière d’une ZFE. Le gouvernement vient juste de publier un appel d’offres pour un «système de contrôle automatisé des zones à faibles émissions mobilité». 

Et le gouvernement entend ne pas vraiment laisser trop de latitude aux villes de choisir le périmètre concerné par les ZFE et le type de véhicules bannis. Le ministre de la Transition énergétique, Christophe Béchu, a annoncé la création d’un groupe de travail dont l’objectif sera d’harmoniser la mise en place et le fonctionnement de ses zones d’exclusion. Il a aussi nommé «un interlocuteur unique» pour coordonner l’ensemble. Edouard Manini, Monsieur ZFE, qui vient de prendre ses fonctions.

L’ancien député socialiste de Gironde Gilles Savary, auteur du livre La Ville inaccessible, va jusqu’à qualifier les ZFE «d’apartheid socio-territorial». Il explique que «la ville va y gagner en tranquillité publique, en convivialité et en qualité de vie au bénéfice exclusif des résidents aisés, dans la plus souveraine indifférence à l’égard des visiteurs extérieurs dont la plupart assurent quotidiennement le fonctionnement».

On peut même aller jusqu’à évoquer le retour en France de l’octroi. Cette taxe était perçue à l’entrée de toutes les villes et en chassait de fait les paysans jusqu’à ce que la Révolution française l’abolisse. Il ne faut pas oublier les leçons de l’histoire. Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1789, quelques heures avant la prise de la Bastille, la foule parisienne avait commencé par mettre le feu aux barrières d’octroi…

La rédaction