Transitions & Energies

L’Europe, principale victime de la guerre mondiale des subventions à la transition énergétique


Face à la domination de l’industrie chinoise dans presque toutes les filières de la transition énergétique et aux centaines de milliards de dollars de subventions déversés par l’Etat fédéral américain pour développer sur son sol la production d’équipements capables de concurrencer ceux fabriqués en Chine, l’Europe semble incapable de réagir. Elle entend être le modèle mondial de la transition énergétique et est partie pour assurer la prospérité de l’industrie chinoise pendant des décennies et pour voir ce qui reste de parts de marché aux fabricants européens disparaître au profit des sociétés américaines. Le Net Zero Industry Act adopté à Bruxelles il y a trois mois est typique de la technocratie européenne, avant tout politique, extrêmement compliqué, imprécis, bâclé, non financé…

L’industrie chinoise est sur le point de rafler tous les marchés mondiaux de la transition énergétique. De façon très efficace, elle élimine systématiquement tous ses concurrents, notamment occidentaux, et contrôle aujourd’hui : plus de 80% de la production planétaire des panneaux solaires, plus de 70% de celle des éoliennes marines, plus de 60% de celle des éoliennes terrestres, plus de 70% de celle des batteries lithium-ion et environ 40% des électrolyseurs et des pompes à chaleur (voir le tableau ci-dessous).

Pris en étau entre l’industrie chinoise et les subventions américaines massives

La méthode chinoise est toujours la même. Subventionner massivement avec de l’argent public une filière entière, lui permettre de développer technologies et moyens de production avec des investissements presque illimités, de conquérir un immense marché intérieur et fort de cette base de détruire ensuite la concurrence avec une production massive et des prix contre lesquels les industriels étrangers ne peuvent lutter. Au passage, le contrôle des sources d’approvisionnement de composants et de matières premières facilite les choses.

Les Etats-Unis ont fini par réagir il y a un an quand le Congrès a voté la fameuse loi IRA (Inflation Reduction Act). Elle accorde près de 400 milliards de dollars d’aides et de subventions diverses aux industries de la transition… à condition qu’elles se développent et produisent sur le sol américain. En réalité, le plan est financièrement beaucoup plus important. Le mois dernier, une étude de l’Université de Pennsylvanie estimait que le coût pour l’Etat fédéral américain des aides liées à l’IRA pourrait dépasser en fait 1.000 milliards de dollars ! Il pourrait même encore être supérieur à cela puisque le texte législatif ne fixe aucune limite budgétaire aux subventions… Selon les analystes des banques Goldman Sachs et Crédit Suisse, les parlementaires démocrates qui ont voté la loi ont sous-estimé son coût de 300%.

Il a fallu quelques temps pour que les Européens commencent à s’inquiéter et surtout à réagir. L’Union Européenne est en fâcheuse posture. Elle entend être le modèle mondial de la transition énergétique et est partie pour assurer ainsi la prospérité de l’industrie chinoise pendant des décennies et pour voir ce qui reste de parts de marché et de compétitivité aux fabricants européens disparaître au profit des sociétés américaines. Pour le ministre allemand de l’économie, Robert Habeck, pourtant très pro-américain, l’IRA est tout simplement une déclaration de guerre. « Les Américains veulent les semi-conducteurs, ils veulent l’industrie solaire, ils veulent l’industrie de l’hydrogène, ils veulent les électrolyseurs… ».

Un texte européen compliqué, imprécis, bâclé, politique…

Sans parler des problèmes de souveraineté… Car passer de la dépendance envers les producteurs de pétrole et de gaz russe et du Moyen-Orient à la dépendance envers les industriels et le gouvernement chinois n’est pas exactement un progrès…

La situation est d’autant plus préoccupante que la crise énergétique née l’an dernier à la suite de l’invasion de l’Ukraine a d’ores et déjà affaibli l’industrie européenne qui paye son énergie bien plus chère que ses concurrents américains… Les chefs d’entreprise européens ont donc demandé à leurs gouvernements et aux institutions européennes d’apporter rapidement une réponse à l’IRA faute de quoi les délocalisations aux Etats-Unis vont se multiplier. L’Union Européenne a adopté en urgence au début de l’année le Net Zero Industry Act.

Sur le papier, le texte affirme avoir pour objet «d’accroître la compétitivité et la résilience de la base industrielle de l’Union Européenne dans le domaine des technologies net-zéro, qui constituera l’épine dorsale d’un système d’énergie propre abordable, fiable et durable». Dans les faits, la technocratie européenne a pondu un document typique, extrêmement compliqué, non financé, nourri de grandes ambitions politiques, imprécis, bâclé… Il ne prend même pas en compte la nécessité de produire les équipements sur le sol européen.

Et pendant ce temps-là, l’Allemagne et la France s’affrontent sur le nucléaire

Comme l’expliquait Ilham Kadri, la patronne du groupe chimique Solvay, au moment où le texte a été adopté : « les États-Unis ont adopté une stratégie simple qui incite immédiatement les entreprises à investir, tandis que l’UE propose un cadre politique qui manque d’éléments précis et de raisons simples et claires d’investir ».

En théorie, l’UE alloue un demi-milliard d’euros de subventions à la transition via son Green Deal un autre demi-milliard doit provenir de financements publics et privés dans le cadre du programme InvestEU, ainsi que des gouvernements nationaux. Mais les gouvernements européens ont des stratégies antagonistes, à commencer par l’Allemagne et la France, et ne disposent évidemment pas de moyens financiers comparables. Les plus pauvres dénoncent un jeu déloyal de la part des plus riches qui va encore accroître leur domination économique au sein de l’Union.

La rédaction