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L’Europe ne veut pas tirer les leçons du blackout évité de justesse le 8 janvier


L’Europe est passée très près le 8 janvier d’une coupure de courant massive et généralisée. L’incident a été minimisé et est passé presque inaperçu. Pourtant, le réseau électrique européen interconnecté a été incapable de maintenir la même fréquence et si des mesures d’urgence n’avaient pas été prises en quelques minutes, des millions de personnes auraient été privées d’électricité et de nombreux équipements auraient été endommagés. Plus problématique encore, ce type d’incidents pourrait devenir fréquent avec la fragilisation grandissante des réseaux alimentés par des sources renouvelables intermittentes et aléatoires.

Pour les gouvernements européens et la quasi-totalité des médias, il ne s’est rien passé le 8 janvier. Le continent a pourtant évité de justesse ce jour-là en début d’après-midi un black-out massif qui aurait eu des conséquences considérables sur la sécurité des personnes et sur les économies. Mais les gouvernements dans presque toute l’Europe ont décidé de ne surtout pas donner de l’écho aux conséquences des politiques énergétiques qu’ils suivent depuis des années et qui ne cessent de fragiliser leurs réseaux électriques. Un constat que fait depuis des mois l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et partagé depuis quelques semaines par France Stratégie, l’organisme de prévisions rattaché aux services du Premier ministre, qui annonce des pénuries d’électricité à répétition en Europe d’ici 2030.

Il s’en est fallu de quelques minutes

Le réseau électrique européen interconnecté de Lisbonne à Istanbul s’est de fait coupé en deux le 8 janvier, les régions nord-ouest et sud-est (voir la carte ci-dessous) étant incapables de conserver la même fréquence. Le problème a commencé en Croatie et s’est traduit par une coupure de courant pour 200.000 foyers et celle de sites industriels en France et en Italie. En apparence, rien de dramatique. Les communiqués officiels se sont ainsi voulus rassurants. Le réseau interconnecté européen (Entso-E) a tout juste donné l’information comme si elle avait peu d’importance. RTE, le Réseau de transport d’électricité en France, s’est félicité de l’efficacité des systèmes automatisés et des responsables de la gestion des réseaux. Ils ont isolé le sud-est de l’Europe du reste du réseau, coupé l’alimentation de certains sites industriels gros consommateurs et activé les réserves de production disponibles. Ainsi, RTE a interrompu la fourniture d’électricité à 16 grands sites industriels sur le territoire national ce qui a permis de réduire la consommation de 1.300 MW.

Réseau européen coupé en deux le 8 janvier
Réseau européen coupé en deux le 8 janvier

Mais en fait, il s’en est fallu de quelques minutes pour que l’incident provoque un blackout massif. Le réseau doit absolument maintenir une fréquence de 50 hertz pour fonctionner correctement et ne pas endommager les équipements connectés. Si la baisse soudaine de fréquence n’avait pas été enrayée en quelques minutes, elle aurait pu faire sauter des lignes à haute tension et priver des millions de personnes d’électricité.

Des incidents qui vont se multiplier

«La question n’est pas de savoir si des blackouts vont se produire dans des régions de l’Europe, mais seulement quand ils vont arriver», affirme à l’agence Bloomberg Stefan Zach, responsable de la communication du fournisseur autrichien d’électricité EVN. «Un blackout peut se produire même dans des pays qui ont de hauts niveaux de sécurité de leur réseau électrique», ajoute-t-il.

Le problème est que ce type d’incident risque de se multiplier au cours des prochaines années car les sources d’électricité renouvelables intermittentes comme les éoliennes et les panneaux solaires ne sont pas capables d’être mobilisés en cas d’incidents et d’avoir la capacité à maintenir la fréquence du réseau. Ces sources intermittentes créent également d’énormes fluctuations dans les sources de production auxquelles les réseaux ont du mal à faire face. C’est pour cela que les scénarios d’une production électrique 100% renouvelables semblent aujourd’hui peu réalistes.

Il ne s’agit pas seulement d’un problème européen. L’Australie a connu en 2016 un blackout qui était la conséquence des fluctuations brutales de production électrique éolienne. La Californie, dont environ un tiers de la production électrique provient des renouvelables, a été incapable l’été dernier pendant une vague de chaleur de faire face à la demande et a du procéder à des coupures de courant tournantes. Les panneaux solaires perdent une grande partie de leur efficacité quand les températures sont élevées et en général pendant les canicules il y a peu de vent.

Un manque généralisé de capacités de production sécurisées

En fait, comme l’explique à l’agence Bloomberg Eglantine Kuenle, chef modélisateur des systèmes électriques de l’Institut EWI d’économie de l’énergie de l’Université de Cologne, «le problème n’est pas posé directement par l’électricité verte, mais par la diminution des capacités conventionnelles». «La conséquence est un manque de capacité de production sécurisée et de capacité à équilibrer les réseaux qui doit être corrigée», ajoute-t-elle.

Mais si le problème est minimisé voire même passé sous silence, il n’est pas prêt d’être corrigé. Il devrait même s’aggraver. Ainsi, l’Allemagne qui est le premier producteur en Europe d’électricité renouvelable doit éliminer l’an prochain un quart de sa capacité de production provenant des centrales à charbon et des centrales nucléaires. Elle compte notamment sur ses voisins pour l’aider en cas de production électrique insuffisante. Depuis de nombreuses années, elle a pu importer de l’électricité nucléaire française en abondance, mais ce ne sera plus le cas. C’est pour cela que la militante écologiste allemande Anna Veronika Wendland réclame l’arrêt immédiat de la fermeture des centrales nucléaires, à la fois pour éviter les coupures de courant et pour pouvoir fermer celles au charbon qui émettent beaucoup de CO2. Ce qui n’est pas le cas des réacteurs nucléaires. Mais il est peu vraisemblable qu’elle soit entendue…

 

 

La rédaction