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L’Etat renationalise EDF et le Parlement européen accorde le label «vert» au nucléaire


Le mercredi 6 juillet 2022 aura été une journée à marquer d’une pierre blanche dans la relance du système énergétique français. Elle lui apporte une partie des moyens indispensables pour faire face à la fois aux nécessités de la décarbonation, de la souveraineté et de la fourniture au pays d’une énergie abondante à des coûts acceptables. D’une part, l’Etat va renationaliser EDF pour lui donner les moyens financiers et humains qui lui manquent cruellement et d’autre part les députés européens ont accordé à la majorité le label «vert» à l’énergie nucléaire ce qui devrait faciliter la relance en France d’un programme ambitieux de construction de nouveaux réacteurs.

Deux étapes majeures pour la transition énergétique française ont été franchies coup sur coup mercredi 6 juillet. Elles donnent du crédit à la stratégie présentée par Emmanuel Macron au début de l’année qui consiste à relancer un programme nucléaire d’ampleur. Il s’agit de produire en grande quantité et à des coûts maîtrisés de l’électricité décarbonée qui ne soit pas uniquement intermittente, comme les renouvelables éolien et solaire. Cela pour permettre de tenir les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui passent par une électrification des usages dans les transports, la chaleur et l’industrie.

Une situation financière et technique critique

Mais pour cela, il faut donner les moyens financiers et humains qui manquent terriblement à EDF, une entreprise qui se trouve en faillite virtuelle. Sa situation financière est critique et ses performances techniques désastreuses. Il suffit de constater les retards et surcoûts permanents de la construction du réacteur EPR de nouvelle génération de Flamanville ou, tout aussi préoccupant, les difficultés d’entretiens du parc existant de 56 réacteurs nucléaires dont 27 sont aujourd’hui à l’arrêt après notamment la découverte de problèmes de corrosion sur certains d’entre eux.

Or, il va falloir qu’EDF prolonge leur vie de plusieurs dizaines d’années et soit capable dans le même temps fabriquer d’ici 2050 de 6 à 14 réacteurs de nouvelle génération (EPR II). Et sans doute plus. Il faut aussi que les investissements estimés à plus de 200 milliards d’euros sur quinze ans puissent en partie être financés par des capitaux privés, ce que la décision de qualifier de «durable» l’énergie nucléaire par les institutions européennes va faciliter.

L’Etat français s’est fixé pour objectif «de détenir 100% du capital d’EDF» a annoncée la Première ministre, Elisabeth Borne, lors de son discours de politique générale prononcé à l’Assemblée nationale mercredi 6 juillet. Cela revient à renationaliser l’énergéticien dont l’Etat détient aujourd’hui 83,9%. «L’urgence climatique impose des décisions fortes, radicales. Nous devons avoir la pleine maîtrise de notre production d’électricité et de sa performance», a-t-elle expliqué aux députés.  «Nous devons assurer notre souveraineté face aux conséquences de la guerre et face aux défis colossaux à venir. Cette évolution permettra à EDF de renforcer sa capacité à mener dans les meilleurs délais des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique», a ajouté la Première ministre.

La renationalisation est devenue la seule solution

En fait, la situation financière d’EDF est tellement dégradée que la renationalisation est devenue la seule solution. Les marchés financiers ne s’y sont pas trompés. L’action EDF gagnait 8% quelques minutes après les déclarations d’Elisabeth Borne. L’Etat et l’électricien redoutent de voir sa note de risque de crédit de nouveau dégradée par Standard & Poor’s, alors que l’agence de notation l’a placé, fin mai, sous surveillance négative. L’agence s’inquiète de l’augmentation de l’endettement et de l’indisponibilité historique du parc nucléaire. Si un tel scénario se produisait, le risque pour EDF serait de ne plus être en mesure de refinancer sa dette auprès des investisseurs privés. Fin 2021, la dette comptable de l’entreprise publique s’élevait à 43 milliards d’euros. Mais sa dette économique, qui comprend des engagements hors bilan importants (retraites, maintenance du parc nucléaire…), pourrait, selon les calculs de Standard & Poor’s, atteindre 96 milliards d’euros à la fin de l’année…

Une fois la nationalisation effectuée, EDF ne sera pas encore tiré d’affaires. Il faudra restructurer la dette, améliorer la maintenance du nucléaire existant et financer le nouveau nucléaire. Des chantiers considérables tout en gérant les contreparties forcément exigées par la Commission européenne au nom de la concurrence. La direction d’EDF devrait aussi changer. L’Etat va lancer rapidement le processus de succession à la tête de l’entreprise, pour remplacer Jean-Bernard Lévy, l’actuel Pdg du groupe dont le mandat arrive à échéance en mars 2023. EDF devrait donc sortir de l’ornière dans laquelle l’ont plongé depuis 20 ans les gouvernements successifs en ne lui donnant pas les moyens d’assurer ses missions et en ayant des exigences souvent contradictoires.

Les eurodéputés ont résisté aux pressions des écologistes antinucléaires

Une bonne nouvelle ne venant jamais seule. Quelques heures avant l’annonce de la Première ministre, le parcours du combattant européen de l’énergie nucléaire est arrivé à son terme. Cette source d’énergie qui produit l’électricité la moins carbonée, mais présente évidemment d’autres inconvénients et fait l’objet d’un rejet idéologique et viscéral de la plupart des mouvements écologistes, a franchi tous les obstacles pour bénéficier pendant plusieurs décennies en Europe (jusqu’en 2045) de financements favorables liés à son qualificatif de «durable». On retrouve dans le même sac, le gaz naturel, une énergie fossile qui n’a rien de décarbonée, mais il fallait cela pour vaincre les réticences de nombreux pays dont l’Allemagne. Et le gaz est considéré comme «durable» s’il remplace le charbon qui émet presque deux fois plus de CO2.

Les députés européens ont en tout cas bien approuvé mercredi 6 juillet le label «vert» accordé par la Commission européenne au gaz et au nucléaire, deux sources d’énergie maintenant reconnues comme nécessaires pour lutter contre le changement climatique. Réunis en session plénière à Strasbourg, ils ont rejeté une proposition de veto contre ce projet à une majorité de 328 voix contre 278. Le 14 juin, les commissions Environnement et Affaires économiques avaient voté à la majorité une objection contre l’intégration de ces deux filières dans la taxonomie sur la finance durable de l’Union Européenne. Elles ont été désavouées.

Le texte présenté en janvier par la Commission, classe comme «durables» certains investissements pour la production d’électricité dans des centrales nucléaires ou des centrales au gaz, à condition pour ces dernières qu’elles mobilisent les technologies les plus avancées et permettent de fermer des centrales à charbon bien plus polluantes.

Cette classification (dite taxonomie) doit aider à mobiliser des fonds privés pour mener ces projets. Elle s’inscrit dans l’objectif de neutralité carbone de l’UE en 2050. Le feu vert des Etats membres étant déjà acquis, les opposants ont annoncé qu’ils lanceraient une procédure en justice, seul moyen désormais existant pour bloquer l’initiative.

«Je vous demande de ne pas rejeter ce fragile compromis négocié avec précaution», avait demandé mercredi avant le vote le Premier ministre tchèque Petr Fiala, dont le pays vient de prendre la présidence tournante de l’UE. «L’énergie nucléaire et le gaz provenant de pays sûrs seront les seuls moyens pour certains États membres d’atteindre nos objectifs climatiques communs dans les années à venir», a-t-il ajouté. «Personne ne dit que le gaz et le nucléaire sont des énergies vertes, mais elles sont temporairement indispensables à la transition. Nous devons utiliser tous les outils pour nous passer en priorité du pétrole et du charbon», avait plaidé l’eurodéputé français Gilles Boyer (Renew).

Une forte opposition

Des arguments qui n’ont pas vraiment convaincu les Verts, une bonne partie de la gauche et les organisations écologistes. «Comment pouvons-nous demander aux autres pays de réduire leur utilisation des énergies fossiles si nous les classifions comme vertes?», a affirmé le Néerlandais Bas Eickhout (Verts). «Ni le gaz ni le nucléaire ne sont durables», ont affirmé les Verts dans un communiqué. L’inclusion du gaz «va retarder la transition réellement durable, dont on a désespérément besoin, et renforcer la dépendance aux hydrocarbures russes», a dénoncé la militante suédoise Greta Thunberg. «C’est de la politique sale et un résultat scandaleux», a ajouté Ariadna Rodrigo de Greenpeace, en annonçant que l’ONG saisirait, avec d’autres, la Cour de justice de l’Union européenne. Les gouvernements autrichien et luxembourgeois ont déjà menacé d’une action en justice.

En réponse, l’eurodéputé Pascal Canfin (Renew) a affirmé que «les craintes ne sont pas justifiées. Le gaz et le nucléaire ne sont pas mis au même niveau que les renouvelables et des conditions strictes à leur développement sont incluses». La taxonomie  est un levier essentiel pour investir dans [le nucléaire] une énergie décarbonée, indispensable pour notre avenir», a estimé François-Xavier Bellamy (Parti populaire européen), qui a salué «une victoire de  la raison». Enfin, la Commission s’est réjouie du vote, affirmant qu’elle restait «déterminée à utiliser tous les outils disponibles pour éloigner [l’UE] des sources d’énergie à fortes émissions de carbone».

Le diable se cache dans les détails

Reste à savoir maintenant si le qualificatif de durable facilitera réellement le financement privé d’investissements, notamment dans le nucléaire. EDF a besoin d’au moins 200 milliards d’euros sur quinze ans. Les trouvera-t-il, du moins en partie, auprès d’investisseurs privés? Rien n’est moins sûr.

Car les conditions posées par la Commission pour ses investissements compliquent beaucoup les choses. La Commission est fondamentalement hostile au nucléaire et a changé de position de mauvaise grâce face à une pression politique considérable de la France et de ses alliés. Pour autant, le nucléaire est considéré comme une énergie de transition, et non comme une énergie verte. Cela signifie que son statut d’énergie éligible à la taxonomie verte peut être éventuellement remis en cause tous les trois ans… Construire un réacteur nucléaire prend dix ans, au moins. Ensuite, il n’est pas question de financer autre chose que la production d’électricité. Cela veut dire que le retraitement et l’enfouissement des déchets sont exclus.

 

 

La rédaction