Transitions & Energies
La commission européenne à Bruxelles

De mauvaise grâce, la Commission européenne devrait reconnaitre le nucléaire comme énergie «durable»


Le 31 décembre, quelques minutes avant minuit, la Commission européenne a rendu public son très attendu projet de compromis sur la taxonomie verte énergétique. En clair, les sources d’énergie considérées comme «durables» et donc pouvant bénéficier de financements dans des conditions privilégiées. L’éolien et le solaire sont déjà labellisés ainsi et la Commission propose sous certaines conditions d’admettre le nucléaire et le gaz naturel. Ce n’est pas encore tout à fait l’épilogue d’une bataille politique acharnée menée depuis plusieurs mois entre d’un côté l’Allemagne et ses alliés, violemment opposée au nucléaire, et la France et les siens partisans de cette source d’énergie décarbonée. Les membres du gouvernement allemand appartenant au parti des verts ont fait part de leur colère. Le texte peut encore être amendé et doit être enfin adopté par le Parlement européen.

Le gouvernement français et la dizaine de pays qui le soutienne dans un combat difficile pour empêcher la marginalisation en Europe de l’énergie nucléaire vont peut être sauver ce qui peut l’être. La Commission européenne a dévoilé le 31 décembre au dernier moment, quelques minutes seulement avant minuit, son projet de labellisation ou «taxonomie pour une finance durable». Depuis des mois, la bataille politique est acharnée à Bruxelles car elle conditionne pour partie la stratégie de transition énergétique des prochaines décennies. Selon qu’une source d’énergie sera qualifiée de «durable» ou pas aura un impact considérable sur les conditions de financement des équipements. Or les centrales coûtent des milliards d’euros à construire et fonctionnent ensuite pendant des décennies…

Berlin fait de la résistance

Le compromis présenté qui qualifierait à la fois de «durable» le nucléaire et le gaz naturel peut sembler étrange du strict point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre qui normalement devrait être la seule logique suivie par Bruxelles. Les centrales nucléaires émettent 3 tonnes d’équivalent CO2 par Gigawatt produit tout au long de leur vie et les centrales à gaz naturel… 490 tonnes! Mais le compromis reflète avant tout le rapport de force en Europe entre les adversaires idéologiques du nucléaire conduit par l’Allemagne, avec notamment l’Autriche, le Luxembourg et la Belgique et les partisans de cette énergie menés par la France dont la Pologne, la Finlande et la République tchèque.

Jusqu’au dernier moment, la Commission européenne a d’ailleurs eu les pires difficultés à formuler un compromis et s’est déchirée en interne. Fin décembre, la Direction de la concurrence a exprimé ouvertement ses réticences, le mot est faible, en rendant public son nouveau régime «d’aides d’Etat au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie» qui marginalise de fait le nucléaire. Les membres de la nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne appartenant au parti des verts ont eux manifesté bruyamment leur mauvaise humeur après l’envoi du texte par la Commission…

Le projet est «une erreur», a réagi la ministre allemande de l’Environnement issue du parti vert, Steffi Lemke. La technologie nucléaire «qui peut entraîner des catastrophes environnementales dévastatrices –en cas d’accidents graves– et laisse derrière elle de grandes quantités de déchets hautement radioactifs et dangereux, ne peut pas être durable», a-t-elle déclaré. Le ministre de l’économie et de la protection du climat également vert, Robert Habeck, qui est aussi vice-chancelier, a même déclaré: «nous ne voyons pas comment nous pourrions approuver les nouvelles propositions de la Commission européenne».

En revanche, pour le ministre français des Affaires européennes, Clément Beaune, la proposition de la Commission est «bonne sur le plan technique» et l’Europe «ne peut pas devenir neutre sur le plan carbone d’ici 2050 sans l’énergie nucléaire».

Ce que les Verts allemands oublient facilement est que la priorité donnée aux renouvelables éolien et solaire en Allemagne depuis deux décennies, la fameuse révolution énergétique ou Energiewende, et les centaines de milliards d’euros investis n’ont pas permis pas de faire baisser comme prévu les émissions de gaz à effet de serre. Celles relatives à la production d’électricité auront même fortement augmenté en 2021 du fait d’une météorologie défavorable, peu de vent et de soleil, qui a contraint l’Allemagne à faire tourner à plein régime ses centrales au charbon, au lignite et au gaz naturel…

Car construire un système électrique fonctionnant exclusivement avec de l’éolien et du solaire est techniquement impossible. Même si la nouvelle coalition au pouvoir en Allemagne veut le faire… Un système électrique doit être équilibré en permanence entre consommation et production, faute de quoi il s’effondre. Il nécessite donc des équipements dits pilotables (thermique, nucléaire, hydraulique) pour faire face à l’intermittence et au caractère aléatoire de la production éolienne et solaire. La technologie actuelle ne permet pas de stocker l’électricité à grande échelle. Ainsi en 2021, pour la première fois depuis 1997, la part de l’électricité renouvelable en Allemagne aura baissé, du fait de la météorologie, a moins de 42% contre plus de 45% en 2020. Heureusement, l’Allemagne a des centrales au charbon et au lignite qu’elle a préféré aux centrales nucléaires…

Il faudra encore franchir l’obstacle du Parlement européen

Dans un communiqué, la Commission cherche à justifier sa proposition. «Compte tenu des avis scientifiques et des progrès technologiques actuels, ainsi que de la diversité des défis liés à la transition auxquels sont confrontés les États membres, la Commission estime que le gaz naturel et le nucléaire ont un rôle à jouer pour faciliter la transition vers un avenir essentiellement fondé sur les énergies renouvelables».

Admettre les centrales à gaz dans la catégorie des énergies «durables» permettra en tout cas à l’Allemagne et aux autres pays européens adversaires du nucléaire de construire à moindre coût des équipements indispensables. Ils pourront remplacer les centrales au charbon, en émettant tout de même moitié moins de CO2, et compenser l’intermittence des renouvelables éoliens et solaires, déjà labellisés par la Commission.

La proposition de Bruxelles fixe par ailleurs certaines limites et conditions à l’inclusion du nucléaire et du gaz. Pour la construction de nouvelles centrales nucléaires, les projets devront avoir obtenu un permis de construire avant 2045. Les travaux permettant de prolonger la durée de vie des centrales existantes devront avoir été autorisés avant 2040. Des garanties en matière de traitement des déchets et de démantèlement des installations nucléaires en fin de vie seront également exigées.

Concernant le gaz, qualifié de «source d’énergie de transition», les investissements seront reconnus «durables» pour des centrales émettant peu de CO2. La Commission a fixé un seuil absurde de moins de 100 grammes de CO2 par kWh. Il n’a aucun sens parce qu’il est inatteignable avec les technologies actuelles. Mais… une période de transition est prévue: les centrales obtenant leur permis de construire avant le 31 décembre 2030, verront ce seuil relevé à 270 grammes de CO2 par kWh à condition notamment de remplacer des infrastructures existantes moins performantes.

La partie n’est pas encore complétement gagnée pour les partisans du nucléaire. Les Etats membres ont maintenant deux semaines pour réclamer des modifications à ce document. La publication du texte final est attendue à la mi-janvier. Ensuite, durant une période de quatre mois, le Parlement européen aura la possibilité de le rejeter par un vote à la majorité simple. Le Conseil européen pourrait aussi théoriquement s’y opposer, mais il lui faudrait pour cela réunir 20 Etats membres, ce qui paraît très improbable.

La rédaction