Transitions & Energies

L’Etat va devoir recapitaliser rapidement EDF


Confronté à une baisse subite de ses recettes du fait des conséquences de la pandémie, EDF voit ses difficultés financières s’aggraver. Le grand plan de restructuration du groupe public étant trop complexe à mettre en œuvre aujourd’hui, l’Etat va devoir recapitaliser rapidement l’entreprise, sans doute avant la fin de l’année.

L’heure de vérité arrive plus vite que prévu pour EDF. L’épidémie de coronavirus joue le rôle d’un accélérateur de l’histoire en mettant l’électricien public dans une situation financière difficile encore plus tôt que prévu. Et la grande opération visant à séparer en deux entités le groupe public, le plan dénommé Hercule, trop complexe à mettre en œuvre aujourd’hui, sera reporté à des jours meilleurs.

Il consistait à isoler la production nucléaire et ses risques financiers du reste du groupe. Cette entité nucléaire devait comprendre l’hydroélectrique (les barrages) et être renationalisée à 100%. Une autre entité devait être créée et comprenait les énergies renouvelables restantes (éolien, solaire, biomasse et géothermie), les réseaux (Enedis), les services et le commerce. Délestée du risque nucléaire et des dettes, cette seconde entité, propriété de la première, devait être introduite en Bourse. Mais cela est impossible à réaliser en pleine récession.

Pour apporter une sécurité financière au géant électrique français et lui permettre de gérer dans de meilleures conditions sa transition énergétique et de faire face à ses engagements, il faut procéder plus vite et autrement.

Une succession de difficultés et de retards

La baisse subite de la demande (-20%) et des prix de l’électricité du fait de la pandémie, qui coïncide malencontreusement avec des opérations de maintenance importantes sur les centrales nucléaires perturbées, elles aussi, par le confinement, et les difficultés récurrentes du chantier de l’EPR de Flamanville, mettent EDF dans une situation financière très dégradée. On peut ajouter à la liste de ses difficultés, le retard très prévisible du chantier de la centrale nucléaire d’Hinkley Point au Royaume Uni et le conflit avec les distributeurs indépendants d’électricité. Enfin, la réforme de la régulation du nucléaire français sera, elle aussi, très certainement reportée. Elle devait pourtant permettre à EDF de mieux couvrir ses coûts sur l’électricité que le groupe est contraint de vendre à ses concurrents.

Il faut donc permettre autrement à EDF de faire face à ses déséquilibres structurels. L’Etat, qui détient 83,6% du capital de l’électricien, serait ainsi contraint de recapitaliser le groupe avant la fin de l’année. Même si cette question n’a pas encore été abordée par le conseil d’administration de l’entreprise publique.

EDF a en tout cas déjà dû renoncer à ses objectifs financiers pour 2020 et 2021 et a prévenu que la production nucléaire française devrait s’établir cette année à son plus bas niveau depuis trente ans. Selon une analyse de Morningstar, publiée il y a quelques jours, la chute de la production nucléaire française au cours des années 2020-2022 pourrait se traduire par une augmentation de la dette d’EDF de 10,6 milliards d’euros, en supposant qu’aucun dividende ne soit versé pendant cette période.

La dette gonfle rapidement

«La crise actuelle précipite EDF dans des difficultés financières (…) en raison de la baisse de la production et de la chute des prix sur les marchés de gros, qui vont fortement pénaliser l’entreprise à l’horizon de 2021», a déclaré à l’agence Reuters une source proche de la direction du groupe. «Les difficultés arriveront fin 2020 et une recapitalisation risque d’être nécessaire à ce moment-là.»

EDF n’est pas aujourd’hui la grande entreprise la plus directement menacée par les conséquences de l’épidémie de coronavirus. Air France, par exemple, se trouve dans une situation financière bien plus difficile. A la fin de l’année dernière, la trésorerie d’EDF représentait 22,8 milliards d’euros et le groupe disposait de 10,3 milliards de lignes de crédit à court terme. Mais EDF est un élément essentiel de la transition et ses conditions d’exploitation sont dégradées et ses marges de manœuvre limitées. L’électricien ne dispose pas aujourd’hui des moyens d’investir pour moderniser et encore moins renouveler son outil industriel.

«La situation actuelle n’est pas pérenne car une partie de nos investissements ne nous rapporte rien, ce qui nous oblige à creuser la dette. Je pense que, fin 2020, on dépassera l’objectif de ratio dette sur Ebitda [bénéfice brut] de 2,7 fois», explique la source interrogée par Reuters. «Une fois ce ratio franchi, on sera dégradé par les agences de notation, ce qui augmentera le coût de l’emprunt. C’est ce qui précipite petit à petit les difficultés de la boîte. Tous les feux se mettent à l’orange, voire au rouge.» A la fin de l’année 2019, la dette nette d’EDF s’établissait à 41,1 milliards d’euros et son ratio dette nette sur Ebitda était de 2,46.

Pour éviter que ce ratio dépasse largement les 3 dans les prochains mois, une recapitalisation semble indispensable. EDF avait déjà procédé au début de l’année 2017 à une augmentation de capital de près de 4 milliards d’euros, dont 3 milliards souscrits par l’Etat. Cette fois, l’apport en capital devrait être encore plus important et supérieur à 5 milliards d’euros.

La rédaction