Transitions & Energies
Centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly

L’électricité nucléaire française est-elle si compétitive que cela ?


Si le fait que l’électricité nucléaire est décarbonée, et même la plus décarbonée qui soit, ne soulève aucune contestation sérieuse, sa compétitivité en termes de coûts de production est une question plus épineuse. Le coût principal du nucléaire est celui de la construction des réacteurs, pas de leur exploitation. Il est donc essentiel pour rentabiliser l’investissement d’avoir la production la plus importante possible par réacteur en service. Le facteur de charge est une donnée essentielle. Problème, le parc français affiche des performances très médiocres avec un facteur de charge de l’ordre de 70% à comparer aux 90% dans de nombreux autres pays possédant des centrales nucléaires. Augmenter le facteur de charge permettrait non seulement de mieux rentabiliser les investissements mais aussi de faire baisser les prix de l’électricité…

C’est un lieu commun : le parc nucléaire français permet au pays de bénéficier d’une électricité décarbonée et à un prix très compétitif. Le nucléaire serait ainsi la base d’un avantage compétitif majeur de l’hexagone. Ces affirmations, nous pouvons les entendre tous les jours et sur tous les canaux. Dans la bouche des journalistes comme des politiques, mais aussi sur les réseaux sociaux ou dans les discussions familiales. C’est un fait qui semble quasiment acquis.

La réalité est cependant plus nuancée. Si le côté décarboné de l’électricité nucléaire ne fait pas débat, ses avantages économiques ne sont pas aussi évidents. Ainsi, la réputation d’énergie peu chère n’est pas usurpée quand on regarde les coûts moyens dans le monde, mais cette moyenne cache des disparités importantes.

Sans électricité à des prix compétitifs, la réindustrialisation restera un fantasme

Or, l’électrification de l’industrie et la compétitivité industrielle de la France dépendent grandement du tarif auquel peut être vendu l’électricité nucléaire produite sur le territoire. Sans énergie à prix compétitif, l’espoir d’une réindustrialisation, déjà ténu, restera un fantasme. Le parc électronucléaire national, constitué aujourd’hui de 56 réacteurs de seconde génération, auxquels viendra s’ajouter l’EPR de Flamanville dans quelques semaines, représente la principale source de production électrique de la France métropolitaine. La question de la compétitivité des prix de l’électricité pour les industriels dépend directement de la capacité à exploiter au mieux les 18 centrales qui abritent les réacteurs.

Le coût essentiel est celui de la fabrication des réacteurs, pas de leur exploitation

L’énergie atomique a la singularité d’être fortement capitalistique mais faiblement dépendante du coût du combustible. En d’autres termes, ce qui coûte le plus cher, c’est la construction des réacteurs et pas leur exploitation. L’optimum économique d’un exploitant nucléaire dépend donc de sa capacité à exploiter au maximum son outil. Et donc du facteur de charge de celui-ci. Et c’est là que le bât blesse. Tandis que les standards mondiaux montrent des facteurs de charge oscillant autour de 90% dans la quasi-totalité des parcs étrangers, la France fait office de mauvaise élève avec moins de 70%. Plusieurs éléments expliquent cette contre-performance.

Un facteur de charge affecté par la taille du parc et des problèmes récurrents de productivité

Tout d’abord, le dimensionnement du parc fait qu’il doit, depuis toujours, s’adapter à la consommation. En pleine nuit ou en plein été, la production à pleine puissance des 56 réacteurs serait bien supérieure à la consommation, et les interconnexions avec les pays voisins étant limitées (soit physiquement, soit par les besoins des dits voisins), les débouchés économiques n’existent pas forcément.

Cette variable a été intégrée dès le début du plan Messmer lancé en 1974, en modifiant le modèle de réacteur fourni par l’Américain Westinghouse afin de lui donner une dimension pilotable qui n’existe pas sur l’original, ce qui permet d’effectuer un ajustement de la production en fonction de la consommation. Cette spécificité est amplifiée par le poids historique en France du chauffage électrique (effet joule) couplée à une faible pénétration de la climatisation entraînant une thermosensibilité du réseau bien supérieure à celle de ses voisins. La consommation fait plus que doubler en hiver de ce fait.

La seconde explication est lié à un paramètre plus inquiétant: les difficultés du producteur français à atteindre la productivité de ses homologues étrangers. Par exemple, la maitrise aléatoire des arrêts de tranche est quelque chose de bien connu. EDF a d’ailleurs lancé un plan afin d’améliorer la situation.

Le meilleur moyen de faire baisser les prix de l’électricité

Ces questions sont centrales, et pourtant, elles ne semblent pas faire l’objet d’un débat nécessaire au même titre que la composition du mix électrique. Pourtant, la projection de RTE de 350 TWh de production semble bien faible, ne serait-ce que par rapport à ce qui s’est fait dans le passé quand l’énergéticien public arrivait à produire chaque année plus de 400 TWh d’énergie nucléaire.

Mieux, avec un usage optimisé des capacités déjà installées et un facteur de charge avoisinant les 90%, comme ce qu’il se fait chez nos voisins, ce ne sont pas moins de 500 TWh qui pourraient être produits, à coût constant. Entraînant de facto une baisse du prix de l’électricité.

En augmentant la puissance électrique produite par les réacteurs sans toucher à la partie nucléaire mais uniquement par une modernisation des turbines, comme cela se fait par exemple en Suède, ce total pourrait monter entre 550 et 600 TWh à parc constant et dans un délai de quelques années, bien avant de potentielles nouvelles constructions. Rappelons que RTE estime la consommation en 2050 entre 550 et 750 TWh, l’essentiel du chemin serait ainsi fait.

Pour y parvenir, en plus d’une réforme interne permettent d’augmenter la productivité, le seul moyen sera d’offrir des débouchés économiques au parc pour lui éviter d’avoir à s’ajuster en permanence à l’évolution de la consommation. Si le raccordement d’industries énergies intensives comme le sidérurgiste Arcelor-Mittal va dans ce sens, le développement des interconnexions vers les pays voisins et le développement de mécanismes de stockage hydrauliques comme les STEPs sont des leviers activables afin de permettre au nucléaire de fonctionner à son optimum presque en permanence

C’est le meilleur moyen pour obtenir des prix de l’électricité non pas de 70€ le MWh comme le résultat de la dernière négociation, mais inférieurs à 50€ le MWh ce qui en ferait alors un avantage économique de premier ordre.

Philippe Thomazo

La rédaction