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Le diagnostic de performance énergétique (DPE), utile mais pas miraculeux pour inciter à la rénovation du parc locatif privé


Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant du bâti et plus particulièrement des logements, l’Etat a instauré des contraintes réglementaires de plus en plus lourdes construites exclusivement à partir d’un diagnostic de performance énergétique (DPE) qui est loin d’être incontestable. Le problème est que tous les propriétaires-bailleurs ne seront pas capables ou ne voudront pas se soumettre aux exigences publiques de rénovation.

La rénovation énergétique du parc locatif est un enjeu important dans la réponse au changement climatique. Chacun aura entendu parler des récentes mesures visant l’éradication des « passoires énergétiques », ces biens classés comme les plus énergivores (F et G) par le diagnostic de performance énergétique (DPE), cet outil de calcul qui permet de classer la performance énergétique d’un logement.

Il est représentatif d’une pratique contemporaine de la politique environnementale s’appuyant sur des instruments, ici réglementaires. Ses résultats conditionnent aujourd’hui, pour un bailleur, la possibilité d’augmenter les loyers ou de mettre un bien en location non saisonnière.

Le parc locatif privé est concerné au premier chef, car il compte les plus forts taux de logements énergivores : 30,5 % des passoires énergétiques sont dans ce parc. L’État regarde donc les propriétaires-bailleurs privés comme les futurs acteurs de la rénovation énergétique sur ce segment.

Pourtant, ces derniers restent encore mal caractérisés dans leur diversité, alors que celle-ci va directement affecter leur réponse à la politique environnementale centrée sur le DPE. Certains profils y répondront favorablement à travers des travaux de rénovation énergétique, mais d’autres ne seront pas en mesure de se conformer aux exigences réglementaires ou privilégieront d’autres solutions pour valoriser leur bien (location courte durée, logement vacant, location en dehors de tout bail légal…).

Pour mieux comprendre les effets positifs – ou à l’inverse contre-productifs – de cette diversité, une étude récente, conduite par le Centre International de Recherche sur l’Environnement et le développement (CIRED) dans le cadre du projet de recherche PREMOCLASSE, s’est intéressée à la manière dont ces bailleurs abordent la rénovation énergétique, en France.

Les 10 profils de bailleurs privés

Cette étude nous a permis de distinguer 10 profils de bailleurs privés, aux ressources, compétences et pratiques locatives propres, et qui réagiraient différemment au renforcement des exigences autour du DPE. Elle montre que la moitié de ces profils sont susceptibles d’y répondre par des travaux de rénovation énergétique, l’autre moitié étant incertaine des conséquences ou envisageant une sortie du marché de la location non saisonnière. Cet ensemble suggère que le renforcement des exigences aurait des effets de redistribution importants sur ce marché, voire d’éviction de certains bailleurs, biens ou locataires.

L’étude a reposé sur 45 entretiens avec des bailleurs privés en France, réalisés au printemps 2022, en amont de la mise en application du calendrier réglementaire. Ces bailleurs ont été principalement recrutés au travers des réseaux sociaux (blogs, groupe Facebook de bailleurs).

Profils de propriétaires-bailleurs (Robert & Nadaï, 2023). Fourni par l’auteur.

Les profils attestent d’une diversité de stratégies et de manières d’être propriétaire bailleur.

  • Quatre profils poursuivent un ou des objectifs prioritairement économiques tels que le retour sur investissement, la rentabilité de court terme, le cashflow (flux de trésorerie, liquidité…) ou le complément de revenu. Ce sont les propriétaires professionnels de l’immobilier, les salariés visant l’indépendance économique, les héritiers patrimoniaux actifs, et investisseurs populaires.
  • Quatre autres profils s’écartent de ces rationalités économiques. Même si l’apport financier motive le plus souvent la mise en location, celle-ci sert alors une autre finalité – par exemple limiter les pertes liées à un aléa de vie, constituer ou maintenir un patrimoine à transmettre, développer une activité secondaire – et ouvre à d’autres manières d’aborder les locataires, le bien, son entretien, les travaux et la rénovation. Ce sont les professionnels du bâtiment, les bailleurs circonstanciels à bas revenu, les bailleurs patrimoniaux, et les conservateurs.
  • Enfin, deux profils apparaissent, comme des types à dominante économique qui sont mis en difficulté par les exigences croissantes qui pèsent sur l’activité locative (déçus de l’immobilier, retraités de l’immobilier)

Inégalités de ressources et de compétences

Ces différences reposent sur une répartition inégale des ressources entre les profils de bailleurs. Elles s’observent sur le plan financier, celui des réseaux et enfin des savoirs, notamment techniques.

Sur le plan financier, certains bailleurs disposent de capitaux propres ou de fortes capacités d’emprunt et d’épargne : elles leur permettent d’acheter comptant des biens ou d’autofinancer des travaux, là où d’autres sont fortement dépendants de l’emprunt.

Sur le plan des réseaux et des savoirs techniques, certains bailleurs ont accès à des réseaux amicaux ou professionnels. Ces connexions sont source de conseils et de savoir-faire. Elles leur permettent de mieux comprendre les réglementations, de réaliser des investissements plus judicieux (« bonnes affaires ») et de minimiser les coûts de rénovation (conseils d’artisans, auto-rénovation).

On note, en outre, un contraste entre les profils pour lesquels les savoirs et réseaux ont été acquis professionnellement ou issus d’un héritage familial, et les profils caractérisés par une forte dimension autodidacte.

Des stratégies de rénovation différentes

La manière dont les bailleurs abordent leur parc conditionne les possibilités de rénovation énergétique. Pour certains (professionnels de l’immobilier), l’achat (« bonnes affaires » à rénover) ou la revente constitue le principal levier d’évolution du parc. Les travaux de rénovation (souvent non énergétiques au moment de l’enquête) se font à l’achat. Ces bailleurs peuvent aborder les mutations-rénovations (soit les travaux réalisés dans le cadre d’une mutation – achat ou vente – immobilière) dans une temporalité dynamique et assez courte, grâce à leur réseau et parce qu’ils le font sans recourir aux aides.

Pour d’autres, la gestion patrimoniale (héritiers patrimoniaux actifs, bailleurs patrimoniaux) s’inscrit dans une continuité de travaux, visant des rénovations de qualité de manière à maintenir le patrimoine sur le marché locatif.

Entre ces deux pôles, on retrouve une gamme assez large de profils (indépendance économique, investisseurs populaires, professionnels du bâtiment, bailleurs circonstanciels à bas revenu, déçus de l’immobilier) qui se caractérise par un parc peu évolutif.

Le DPE, entre effets réels et contrainte perçue

Les profils de bailleurs affichent des degrés très variables de connaissance et de prise en compte du DPE. Un seul profil accorde un réel intérêt et de la pertinence à l’outil (bailleur patrimonial). La majorité des autres profils en est critique, tout en y restant attentive. Enfin, trois profils sont à la fois critiques du DPE et ne le prennent pas en compte dans leurs arbitrages (professionnels de l’immobilier, conservateurs, déçus de l’immobilier).

Anticipation des bailleurs face à un renforcement des exigences de rénovation énergétique. À gauche, les bailleurs susceptibles de ne pas tenir compte du DPE, et à droite, ceux qui en tiennent compte. Fourni par l’auteur.

La principale critique adressée au DPE est son manque de pertinence, notamment dans ses recommandations de travaux. Il est vu comme une contrainte administrative. La crainte demeure vis-à-vis d’une instabilité réglementaire pouvant à tout moment menacer des modèles économiques en posant de nouvelles exigences.

Au final, le renforcement du DPE et des exigences réglementaires semble à même d’infléchir les pratiques de rénovation pour seulement la moitié des profils. Il pose une incertitude sur le devenir des biens pour trois profils (bailleurs circonstanciels à bas revenu, investisseurs populaires, professionnels du bâtiment), pour lesquels les régimes d’aide seront décisifs. Il signe enfin une sortie des bailleurs du marché locatif et une mutation des biens pour deux profils (conservateurs, déçus de l’immobilier). Ses effets seraient donc très différenciés selon les profils de bailleurs et, indirectement, pour les locataires.

Redistribution, concentration ou « rénoviction »

Les bailleurs ne sont pas les seuls à être affectés : les locataires aussi. Il sera globalement plus difficile d’absorber les coûts des rénovations énergétiques dans les zones détendues où les prix de l’immobilier peuvent être faibles en regard des coûts de rénovation. Ce risque de fracture territoriale se double d’un enjeu de fracture sociale.

Parmi les profils qui ciblent des locataires à bas revenus – propriétaires professionnels de l’immobilier, investisseurs populaires, bailleurs patrimoniaux, conservateurs – seuls deux profils semblent pouvoir pérenniser une offre à faible loyer : les propriétaires professionnels de l’immobilier, et les bailleurs patrimoniaux.

Enfin, certains bailleurs évoquent la possibilité de passer à d’autres modes locatifs (non déclaré, courte durée). Cette issue peut évincer des locataires précaires du marché locatif sans répondre à l’enjeu de rénovation énergétique, puisqu’il s’agit alors de laisser le bien en l’état.

À la « rénoviction », à savoir la mise en difficulté d’une frange de locataires en vue d’une rénovation qui ne leur est pas destinée, pourrait donc s’ajouter une concentration des biens dans les mains de certains bailleurs, ainsi que la sortie de biens du marché de la location officielle de longue durée.

Alain Nadai directeur de recherche CNRS, École des Ponts ParisTech (ENPC)

Coralie Robert Docteure en Sociologie

Ce document a été réalisé dans le cadre du projet PREMOCLASSE. PREMOCLASSE est un projet de recherche socio-économique sur la rénovation du bâtiment co-financé par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche, contrat ANR-19-CE22-0013-01). Il est mené en partenariat par EDF R&D, le Centre de Sociologie de l’Innovation de l’Ecole des Mines de Paris et le CIRED (Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.  Lire l’article original sur The Conversation.

La rédaction