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Décarboner le ciment, une tâche herculéenne


Le ciment est le premier produit manufacturé sur terre, par sa masse. Il est indispensable à la vie moderne et à la construction. Mais sa fabrication produit 8% des émissions annuelles mondiales de CO2. Cela signifie que l’industrie du ciment est face à un défi considérable pour adopter des procédés de fabrication qui émettent moins de gaz à effet de serre et capturer le CO2 émis. François Petry, président du Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC) et dirigeant du groupe Lafarge (Holcim) France, mesure les difficultés d’une telle transformation de toute une industrie.

Il est difficile spontanément de mesurer l’importance du ciment. Et pourtant, il s’agit du premier produit manufacturé sur terre, par sa masse, et de la deuxième matière la plus utilisée derrière… l’eau. Le ciment est un élément indispensable du monde moderne. Il est le liant qui permet de fabriquer le béton, matériau omniprésent et indispensable à la construction, au bâtiment comme aux travaux publics, dans les pays riches comme dans les pays en développement. Il se fabrique la quantité colossale de plus de 4,6 milliards de tonnes de ciment par an et cela représente, la production seule, 8% des émissions mondiales annuelles de CO2. La moitié de ces émissions provient de la réaction chimique inhérente au processus de fabrication.

Changer les processus de fabrication et capturer le CO2

Et son utilisation ne cesse d’augmenter avec l’accroissement de la population et plus encore l’urbanisation. Selon certaines projections, d’ici 2050 environ 80% de la population mondiale pourrait vivre dans des villes. Cela signifie qu’il faut impérativement changer le processus de fabrication du ciment. L’industrie commence à développer les technologies pour y parvenir. Le ciment actuel dit Portland est fabriqué en portant un mélange de calcaire et d’autres minéraux à 1.450 degrés °C. Un processus qui déclenche des réactions chimiques et émet beaucoup de CO2. Parmi les matériaux alternatifs cités par plusieurs études scientifiques et expérimentations, on trouve les cendres de charbon, le laitier de haut fourneau, des argiles calcinées, des pouzzolanes (roches volcaniques), des cendres végétales, des calcaires finement broyés ou des fumées de silice.

Mais pour que les progrès soient rapides, il faut que l’industrie du ciment dans le monde soit incitée à recourir massivement à la capture et au stockage du CO2 émis pendant les processus de fabrication. Plusieurs projets pilote existent dont un près de Dunkerque où du CO2 industriel doit être injecté dans des réservoirs sous marins en mer du Nord.

«Nous sommes sur une évolution des technologies qui n’a jamais été aussi rapide pour rendre le secteur neutre en carbone», a affirmé François Petry, président du Syndicat français de l’industrie cimentière (SFIC) et dirigeant du groupe Lafarge (Holcim) France lors d’un entretien accordé à l’AFP.

Pour M. Petry, l’énormité des investissements nécessaires pour décarboner le secteur va conduire à des «recompositions industrielles et financières». Par ailleurs, les méthodes de travail vont également devoir changer. Certains nouveaux produits dits bas carbone ont des temps de séchage différents. Ce qui implique des adaptations industrielles. Les producteurs de pré-fabriqués par exemple peuvent avoir des rotations plus lentes de leurs moules. Certains bétons décarbonés sont plus fluides, et nécessitent des changements de comportement des ouvriers lors des coffrages ou du coulage du béton, pour assurer aussi bien l’étanchéité du matériau que leur propre sécurité.

Menace sur la construction

En réponse aux critiques sur l’immobilisme d’une filière qui fonctionne toujours avec une technologie née il y a deux siècles, M. Petry admet que le secteur «donne l’impression d’inertie». Mais l’échelle des transformations à effectuer est considérable et les technologies de substitution balbutiantes. Il «faut parvenir à réaliser cette mutation de masse sans fragiliser l’écosystème de la construction», en France et dans le monde. En France, elle représente près d’un demi-million de personnes, de l’architecte au maçon, en passant par les cimentiers, ingénieurs de bureaux d’étude, industriels du pré-fabriqué et constructeurs.

Mais les nouveaux ciments bas carbone qui émettent moins de 400 kg de CO2 par tonne de ciment produit contre 625 kg en moyenne sur le secteur aujourd’hui, ne représentent encore que 10% du marché français.

Les cimentiers se tournent sans surprise vers l’État, pour garantir une «stabilité des prix de l’énergie» et pour «rééquilibrer» les bases de calcul comparant l’impact du bois et du béton dans la construction. La filière ciment-béton s’estime «injustement» traitée par les analyses de cycle de vie (ACV) utilisées par les pouvoirs publics dans les normes de la nouvelle réglementation RE2020, applicable le 1er janvier 2022 dans la construction.

La rédaction