Transitions & Energies
Centrale nucléaire

Nucléaire, pour l’ASN la France doit impérativement retrouver des marges de sécurité de production électrique


L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a tenu un langage de vérité mercredi 19 janvier à la fois sur la réalité du système électrique et sur les faiblesses industrielles du pays. Pour l’ASN, il faut non seulement que la France retrouve des marges de manœuvres en terme de production d’électricité mais aussi qu’elle soit capable d’anticiper les besoins à venir et de se donner les moyens industriels de construire de nouveaux réacteurs pour y faire face. Dans un cas comme dans l’autre, les atermoiements, les décisions à courte vue et les postures politiciennes ont dégradé un système électrique qui était le plus performant d’Europe et ont affaibli considérablement l’industrie nucléaire. Le pays commence aujourd’hui à en prendre conscience et à en payer le prix.

L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a alerté mercredi 19 janvier sur la nécessité de retrouver des «marges» pour le système électrique et estimé que la construction de nouveaux réacteurs nucléaires nécessiterait un véritable «plan Marshall» industriel. Son président, Bernard Doroszczuk, a souligné, à l’occasion de ses vœux à la presse, la situation «inédite» du parc nucléaire français cet hiver, avec une disponibilité à des niveaux historiquement bas pour de nombreuses raisons.

A force de retarder les décisions, il n’y a plus de marges de manœuvre de production électrique ce qui peut poser des problèmes de sûreté

Des problèmes de corrosion ont conduit à l’arrêt en urgence de 5 réacteurs d’EDF en plein hiver, accroissant un peu plus la tension déjà forte sur l’approvisionnement électrique. «Cette accumulation d’événements sur le parc nucléaire illustre le besoin impératif (…) de maintenir des marges dans le dimensionnement du système électrique et des installations, pour pouvoir faire face à des aléas et ne pas mettre en concurrence les décisions à prendre lorsqu’il y a un risque pour la sûreté», a relevé M. Doroszczuk. Pour l’avenir, le président de l’ASN demande aussi que «les préoccupations de sûreté nucléaire soient dès à présent intégrées dans les choix de politique énergétique, au même niveau que les préoccupations de production d’électricité décarbonée à horizon 2050». En clair, à force de tergiverser et de ne pas prendre de décisions la capacité de production électrique française est trop faible et cela peut peser sur les précautions nécessaires  pour ne pas prendre de risques. Et ce ne sont pas les renouvelables, éolien et solaire, qui offrent aujourd’hui une réelle solution compte tenu du caractère intermittent et aléatoire de leurs capacités de production.

Au passage et pour revenir sur les différents scénarios existants de stratégie de transition et de production électrique pour les trente prochaines années, l’ASN a insisté sur le fait que la prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de 50 ans n’est pas «acquise». On ne pouvait pas attendre autre chose d’une autorité qui ne peut pas anticiper des décisions de ce type. Bernard Doroszczuk a par ailleurs déclaré que les scénarios reposant sur la prolongation des réacteurs après 60 ans repose aussi sur des hypothèses «non justifiées». «Il ne faudrait pas que, faute d’anticipation suffisante, la poursuite de fonctionnement des réacteurs nucléaires résulte d’une décision subie au regard des besoins électriques, ou hasardeuse en matière de sûreté», avertit M. Doroszczuk. L’ASN ne veut pas se retrouver dans une situation totalement contrainte résultant d’une absence de décisions. Une situation qui ne laisserait aucune marge de manœuvre et pas d’autre choix que de continuer à faire fonctionner des réacteurs anciens pour éviter la pénurie et les blackouts.

Une filière industrielle nucléaire à reconstruire

Le président de l’ASN a par ailleurs évoqué les défis pour la filière nucléaire, notamment si le choix de relancer la construction de plusieurs nouveaux réacteurs, annoncé par le président Emmanuel Macron en novembre, était confirmé. «Si le nucléaire fait partie des choix faits pour assurer un mix énergétique décarboné et robuste à horizon 2050, la filière nucléaire devra mettre en place un véritable plan Marshall pour rendre industriellement soutenable cette perspective, et disposer des compétences lui permettant de faire face à l’ampleur des projets et à leur durée». Si l’ASN a mis en avant à plusieurs reprises la perte de compétence de la filière nucléaire française, notamment à l’occasion des errements du chantier de l’EPR de Flamanville, l’Autorité a aussi quelques responsabilités dans ce domaine qu’elle garde de mettre en avant. Ces exigences parfois contradictoires et son incapacité dans sa communication à hiérarchiser les problèmes et les risques en prenant à témoin l’opinion publique ont contribué à affaiblir la filière. Au lieu d’informer l’opinion et les dirigeants politiques sur la réalité des risques, elle a contribué à propager la peur irrationnelle de l’énergie nucléaire. L’ASN a tendance à vouloir avant tout se mettre à l’abri de toute critique.

Concernant le problème de corrosion qui a entraîné l’arrêt de 5 réacteurs sur 56 en service, Bernard Doroszczuk a estimé «qu’il s’agit d’un événement sérieux car il concerne un circuit qui est directement connecté au circuit primaire principal… C’est un événement sérieux car il possède un caractère potentiellement générique». Il peut concerner des familles entières de réacteurs, a-t-il ajouté. Le problème, à l’origine identifié sur les 4 réacteurs les plus puissants et les plus récents du parc français (Civaux et Chooz), s’est étendu à un réacteur (Penly 1) d’une famille moins puissante et plus ancienne. Sur ce dernier, «à priori, le phénomène est beaucoup moins présent et intense», a relevé M. Doroszczuk. EDF a engagé jusqu’à la fin du mois un réexamen des contrôles effectués dans le passé sur l’ensemble du parc nucléaire.

La rédaction