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L’Allemagne remporte son bras de fer avec la Commission européenne et sauve les véhicules à moteur thermique


La Commission européenne et l’Allemagne ont annoncé avoir trouvé un accord sur un aménagement de l’interdiction de vente en Europe de véhicules neufs à moteur thermique d’ici 2035. Il ouvre la voie à la poursuite de la vente de tels véhicules s’ils fonctionnent avec des carburants de synthèse décarbonés. Un succès pour Christian Lindner, le chef des libéraux allemands qui appartiennent à la coalition au pouvoir. Il est parvenu à infléchir d’abord la position du gouvernement allemand et ensuite celle de la Commission européenne.

Face à une opposition suffisamment forte pour empêcher l’adoption définitive de l’interdiction de vente d’ici 2035 de véhicules neufs à moteurs thermiques, la Commission européenne a fini, de mauvaise grâce, par faire machine arrière. Il faut dire que face à la Pologne, l’Italie, la Bulgarie, la République Tchèque, l’Autriche, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et surtout l’Allemagne, la Commission n’avait pas les moyens d’un passage en force pour un vote au Conseil.

Résultat, la Commission et l’Allemagne ont annoncé samedi 25 mars avoir trouvé un accord pour débloquer un texte assouplissant l’interdiction des moteurs thermiques après 2035. Il ouvre la voie à la poursuite de la commercialisation de moteurs thermiques fonctionnant avec des carburants dits de synthèse, fabriqués notamment à partir d’hydrogène décarboné ou vert et de CO2 issu des activités industrielles ou même capté dans l’atmosphère. «Nous avons trouvé un accord avec l’Allemagne sur l’utilisation future des carburants de synthèse», a annoncé le commissaire européen à l’Environnement Frans Timmermans.

Un vote définitif le 28 mars

Dans les faits, l’accord ne modifie pas le texte adopté par les représentants des États membres et le Parlement européen l’année dernière que plusieurs pays ont finalement refusé de voter dont l’Allemagne. Après l’approbation des ministres, la Commission indiquera les prochaines étapes de la mise en œuvre de la disposition sur les carburants synthétiques permettant la commercialisation de véhicules neufs  à moteurs à combustion interne après 2035. «Nous nous sommes mis d’accord sur des étapes procédurales et un calendrier spécifique. Le processus sera terminé d’ici l’automne 2024», a expliqué Volker Wissing, le ministre allemand des Transports qui appartient au parti libéral. La présidence suédoise du Conseil de l’Union Européenne a ajouté que la législation devrait être définitivement adoptée le mardi 28 mars lors d’une réunion des ministres de l’Energie.

Contrainte et forcée, la Commission négocie depuis plusieurs semaines une sortie de crise avec Berlin qui réclamait un engagement bien plus ferme sur les carburants de synthèse. Leur utilisation était déjà évoquée dans le texte initial mais dans un considérant jugé juridiquement trop peu contraignant.

La technologie des carburants de synthèse est défendue par des constructeurs allemands et italiens qui soulignent les risques économiques, industriels et sociaux pour l’Europe d’être le seul continent à abandonner purement et simplement la motorisation thermique. Une technologie dans laquelle les groupes automobiles européens sont encore les plus performants au monde.

«L’interdiction générale absurde du moteur à combustion interne n’est plus à l’ordre du jour…»

Si l’Allemagne a décidé il y a deux semaines, à la surprise générale, de remettre en cause l’interdiction de la vente en Europe à partir de 2035 des véhicules à moteur thermiques, c’est parce que ses constructeurs automobiles allemands sont persuadés qu’avec des carburants synthétiques ils peuvent être tout aussi verts qu’avec des voitures électriques. C’est en tout cas ce qu’affirment les patrons de Volkswagen et Porsche. Et ils ont convaincu sans trop de difficultés Christian Lindner (voir la photographie ci-dessus), le chef des libéraux allemands qui appartiennent à la coalition au pouvoir. C’est lui qui a fait totalement changer de position son gouvernement sur la volonté des institutions européennes d’imposer coûte que coûte le véhicule électrique à batteries. Une position très populaire en Allemagne puisque selon un sondage récent 67% des personnes interrogées sont contre la disparition en 2035 des véhicules à moteur à combustion interne.

Sans surprise, tout le monde, de la Commission au Parlement en passant par Berlin et Rome, crie victoire. «Les véhicules équipés d’un moteur à combustion pourront être immatriculés après 2035 s’ils utilisent exclusivement des carburants neutres en termes d’émissions de CO2», s’est réjoui Volker Wissing. «Nous garantissons des opportunités pour l’Europe en préservant des options importantes pour une mobilité climatiquement neutre et abordable», ajoute-t-il. «La bataille sur la neutralité technologique a été gagnée, ce qui est la condition préalable à la reconnaissance des biocarburants», a déclaré la Première ministre italienne Giorgia Meloni. «Nous montrons également que les biocarburants sont zéro émission, il n’est donc pas nécessaire d’entrer dans les détails techniques. Si la technologie atteint la cible, vous pouvez l’utiliser.»

Pour le porte-parole en matière de transports des libéraux allemands au Parlement européen, Jan-Christoph Oetjen, l’accord est un grande victoire. «L’interdiction générale absurde du moteur à combustion interne n’est plus à l’ordre du jour… Nous conservons une technologie de pointe et des emplois importants sur le continent».

«Le texte est inchangé. La règle des 100% de voitures zéro émissions en 2035 est donc maintenue», a affirmé pour sa part le président de la Commission Environnement du Parlement Européen, Pascal Canfin (Renew, Libéraux), assurant qu’il serait vigilant sur le respect de la «neutralité climat» des moteurs thermiques qui seront autorisés. Un engagement qu’il sera presque impossible à tenir… Car les molécules des carburants de synthèse, que ce soit de l’essence ou du diesel, étant presque identiques à celles des carburants fossiles qu’elles remplacent, il sera impossible de les distinguer dans les réservoirs. Enfin, Greenpeace a vivement critiqué l’accord. «Ce compromis paresseux sape la protection du climat dans les transports, et il nuit à l’Europe».

Ramener le prix du litre de l’essence de synthèse autour de 2 euros

Mais le principal problème des carburants de synthèse est de devenir compétitifs. Aujourd’hui, le prix du litre d’essence synthétique fabriqué au Chili de façon expérimentale par Porsche et Siemens est de l’ordre de 10 dollars, ce qui est totalement prohibitif. Porsche espère pouvoir le diviser par cinq d’ici la fin de la décennie. Ce qui cadre avec une étude récente de Transport & Environnement, estimant le prix final d’un litre de carburant synthétique à l’horizon 2030 à moins de 3 euros. Incluant la taxe de 0,15 euro par gigajoule proposée en 2021 par la Commission européenne sur l’électricité nécessaire à la production de carburants «verts» mais aussi la taxation en vigueur en Allemagne sur les carburants, l’association arrive au chiffre de 2,8 euros par litre.

L’équipementier Bosch, qui travaille sur des projets similaires à ceux de Porsche et Siemens, est plus optimiste. Il estime qu’à l’horizon 2030, le carburant synthétique pourrait coûter à la production entre 1,20 et 1,40 euro le litre et 1 euro à l’horizon 2050. Et contrairement à de nombreuses ONG environnementales, l’industrie automobile croit aux carburants de synthèse et compte bien investir massivement dans leur développement et production. «Nous pensons que les carburants synthétiques produits à partir d’une énergie 100% renouvelable ont le potentiel d’être un élément important à l’avenir», expliquait déjà il y a trois ans Oliver Blume. Il n’était alors que le Pdg de Porsche avant de devenir également depuis celui du groupe Volkswagen.

La rédaction