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Nikola Motor Camion hydrogène

Pourquoi l’Allemagne mise tant sur l’hydrogène


En investissant des milliards d’euros dans l’hydrogène vert, produit sans émissions massives de gaz à effet de serre, l’Allemagne espère remédier aux problèmes de sa révolution énergétique, la fameuse Energiewende. A savoir, l’intermittence et le caractère aléatoire de la production d’électricité provenant des renouvelables. L’hydrogène est aujourd’hui le meilleur et presque le seul moyen de stocker massivement de l’électricité.

L’Allemagne a adopté il y a deux mois un plan ambitieux de 9 milliards d’euros pour créer de toute pièce une filière et une économie de l’hydrogène vert. L’hydrogène dit vert a pour particularité d’être fabriqué par électrolyse avec de l’électricité émettant peu de gaz à effet de serre, notamment éolienne, solaire, hydraulique ou nucléaire. Berlin affiche des ambitions considérables dans l’hydrogène «propre» en voulant tout simplement devenir le numéro un mondial de ce vecteur d’énergie sur lequel misent également la Chine, la Corée du sud et le Japon.

Mais l’hydrogène, en tant que vecteur pour décarboner les économies, n’en est qu’à ses balbutiements. Il ne s’agit pas d’une énergie en tant que telle mais d’un moyen de la stocker, de l’utiliser et de la transporter, un peu comme l’électricité. Il s’agit également, sous forme de gaz, d’un carburant substituable aux carburants fossiles, notamment dans les transports, dans la chaleur et dans l’industrie.

Créer des conditions économiques et technologiques acceptables

Le principal problème de l’hydrogène aujourd’hui est que celui qui est produit et utilisé dans l’industrie est fabriqué avec du gaz naturel au cours d’un processus qui émet beaucoup de CO2. L’objectif du plan allemand, présenté à Bruxelles il y a quelques jours, est de créer les conditions économiques et technologiques pour produire sur longue période avec une rentabilité et une efficacité acceptables de l’hydrogène propre. Il s’agit ensuite de l’utiliser pour faire fonctionner des camions, des trains, des navires, des voitures ou pour produire de l’électricité et tout cela via des piles à combustible.

L’Allemagne espère ainsi surmonter les problèmes auxquels est confrontée sa fameuse révolution énergétique, l’Energiewende. Berlin a misé massivement et depuis deux décennies sur la production d’électricité renouvelable, notamment éolienne et solaire, mais se heurte au caractère intermittent et aléatoire de cette production. Non seulement, elle est dépendante des conditions de vent et d’ensoleillement (la journée), mais il est presque impossible de les déterminer précisément à l’avance. Cela contraint le pays à avoir en permanence des centrales capables de prendre le relais, dites pilotables, pour faire face en temps réel à la demande. Et comme l’Allemagne a décidé d’abandonner le nucléaire, les centrales pilotables fonctionnent au charbon et au lignite et émettent des quantités considérables de gaz à effet de serre. L’Energiewende n’apporte donc pas les résultats escomptés.

Pas de système énergétique avec plus de 70% de renouvelables sans hydrogène

Berlin a bien annoncé la fin du charbon dans deux décennies, mais en remplaçant les centrales à charbon par des centrales à gaz… A moins que l’hydrogène change la donne dans l’électricité et aussi dans les transports où les progrès sont plus lents. Comme l’explique à l’agence Bloomberg Fabian Huneke, un expert de Energy Brainpool: «l’hydrogène n’est pas une solution miracle, mais elle est la meilleure disponible aujourd’hui, notamment pour que l’industrie décarbonise sa production.Vous ne pouvez pas construire un système énergétique avec plus de 70% de renouvelables sans hydrogène». Le rendement énergétique de l’hydrogène fabriqué par électrolyse est très médiocre. Mais il n’existe pas vraiment d’autres moyens de stocker de l’électricité renouvelable quand elle est surabondante et donc avec un coût marginal faible. Les batteries notamment ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il faudrait des millions de batteries. Leur coût serait prohibitif.  Les capacités de production sont totalement insuffisantes sans parler des conséquences environnementales dramatiques d’une production aussi massive… si elle était matériellement possible.

L’Allemagne considère donc que son choix se limite à l’hydrogène vert et entend aujourd’hui s’assurer de sources d’approvisionnement sûres. Ainsi, sur les 9 milliards d’euros d’investissements, 7 milliards le seront pour des usines de production d’hydrogène vert sur le sol allemand et 2 milliards utilisés à la conclusion de partenariats avec des pays qui pourront produire assez facilement, notamment via l’énergie solaire, des quantités importantes d’hydrogène. Berlin a déjà signé un accord avec le Nigéria pour construire une filière hydrogène dans 15 pays de l’ouest africain. Les importations permettront à l’Allemagne de s’assurer de pouvoir disposer en permanence de quantités suffisantes d’hydrogène vert pour alimenter ses besoins industriels et de transport. Berlin envisage de conclure aussi de tels accords dans d’autres régions du monde et avec d’autres pays comme l’Australie et l’Arabie Saoudite.

Les camions d’abord

En Allemagne, des bus, des camions et des trains roulent déjà à l’hydrogène. Et il s’agit d’un début. Il n’y a encore que 84 stations-service qui proposent de l’hydrogène, installées dans les sept grandes zones urbaines (Berlin, Hambourg, la Ruhr, Francfort, Nuremberg, Stuttgart et Munich), et sur les autoroutes qui les relient. Mais il y en aura une centaine fin 2020.

Cela reste modeste, mais les spécialistes du secteur sont très optimistes. «On a enfin reconnu qu’il n’y a pas d’autre vecteur d’énergie, ou de moyen de stockage, qui puisse à l’avenir remplacer les énergies fossiles comme le gaz naturel et le charbon», affirme Falk Schulte Wintrop, le directeur développement de la société H2 Mobility qui gère le réseau des stations-service à hydrogène en Allemagne. Il estime que seul l’hydrogène peut, par exemple, permettre de décarboner des secteurs industriels majeurs comme la sidérurgie. Mais la priorité va aux transports.

«Les camions vont constituer l’essentiel de la demande à venir. Avec 100 camions à hydrogène autorisés à rouler, je sais que je dois produire une grande quantité d’hydrogène, là où il faudrait 1.000 voitures pour la consommer. C’est le grand avantage des camions: ils vont permettre de produire et de vendre plus rapidement de grandes quantités d’hydrogène et donc de faire émerger une activité économique», ajoute Falk Schulte Wintrop.

Et l’Allemagne n’est pas la seule en Europe a faire le pari de l’hydrogène vert dans les transports routiers. La Suisse a lancé cette année un programme ambitieux de camions à hydrogène.

La rédaction