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Mine de cuivre Bingham Canyon Wikimedia

Une pénurie de nickel menace la voiture électrique


Les grands constructeurs automobiles ont pris des risques considérables. Ils ont investi près de 200 milliards d’euros pour se doter de gammes de véhicules électriques sans réelle certitude sur leurs capacités à les vendre. Par ailleurs, ils ne sont même pas maîtres du composant essentiel des voitures électriques, les batteries. Ils sont contraints de les acheter aux groupes chinois, japonais et sud-coréens qui en ont un quasi-monopole. L’Airbus européen de la batterie n’y changera rien avant un moment. Les fabricants de cellules de batteries lithium-ion se trouvent eux même à leur tour à la merci des ressources en matières premières, métaux et terres rares… Comme le sulfate de nickel.

Il s’agit d’une substance cristalline et scintillante tirée, comme son nom l’indique, du nickel. Elle est indispensable pour fabriquer les batteries lithium-ion dont les trois inventeurs viennent d’obtenir le prix Nobel de chimie. Les batteries lithium-ion à haute teneur en nickel ont de grandes qualités dont la stabilité à des températures élevées et la résistance à la surcharge.

Ce n’est pas pour rien si le constructeur de voitures électriques de luxe Tesla a augmenté la teneur en nickel de ses batteries et réduit celle en cobalt. Il a obtenu ainsi l’intensité en énergie la plus élevée de toutes les batteries de véhicules électriques. Le constructeur américain prévoit même d’éliminer complètement le cobalt. A condition qu’il puisse se procurer du nickel pour fabriquer avec son partenaire Panasonic des batteries dans le désert du Nevada.

Des cours erratiques et peu d’investissements

Le nickel n’est pas un métal rare. Le problème, c’est qu’il a bénéficié de peu d’investissements au cours des dernières années avec des cours faibles et qu’il n’est extrait que dans un nombre assez limité d’endroits, notamment en Indonésie, premier producteur mondial, aux Philippines, en Nouvelle-Calédonie, en Russie, en Australie et au  Canada.

Le sulfate de nickel pour les batteries ne représente qu’une petite fraction des ventes mondiales de nickel dont 70% est utilisé pour fabriquer l’acier inoxydable. Mais la demande va s’envoler. Les constructeurs automobiles doivent lancer plus de 200 nouveaux véhicules électriques d’ici à 2023, selon les estimations de AlixPartners. La banque UBS s’attend à ce que les batteries des véhicules électriques représentent dans les prochaines années 12% de la demande mondiale de nickel et même 20% d’ici 2030 contre 3% l’an dernier. En l’état actuel, l’offre de nickel sera insuffisante pour répondre à la demande. Pour UBS, le déficit entre la production et la demande atteindra déjà 144.000 tonnes l’an prochain. En dépit des réserves existantes, la banque Morgan Stanley annonce même une pénurie dès 2020.

Les prix devraient donc s’envoler. Le groupe britannique Wood Mackenzie prévoit un nickel en forte hausse à 28.000 dollars la tonne dans les deux ou trois prochaines années. Mais les cours du nickel sont particulièrement erratiques. Ils ont bondi d’environ 70% en 2019, pour atteindre 18.500 dollars la tonne métrique, en raison notamment de l’interdiction annoncée par l’Indonésie pour la fin de l’année de l’exportation de minerai. L’Indonésie aurait l’intention de réserver son nickel à ses propres projets de développement industriels.

Certains analystes échaudés restent pourtant prudents après le dernier krach du nickel. Déclenché par l’industrialisation de la Chine et l’explosion de la demande d’acier, les cours du nickel étaient passés rapidement de 10.000 à 50.000 dollars la tonne en 2007. Mais ils se sont effondrés ensuite quand les sidérurgistes chinois ont trouvé le moyen de remplacer, en partie, le nickel dans leurs processus de production.

La technologie des batteries est encore plus soumise aux innovations que la production d’acier. De nombreux analystes pensent que dans le domaine des batteries lithium-ion, en dépit des promesses et des annonces parfois tonitruantes, il n’y aura pas vraiment d’alternatives au nickel avant plusieurs années. Pour preuve, les investissements se multiplient pour augmenter les capacités de production minières, en Australie notamment. Mais il faut des années pour pouvoir exploiter de nouvelles mines.

La rédaction