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Flamanville Chantier EDF

22 pays présents à la COP28 veulent tripler leur production d’électricité nucléaire d’ici 2050


La question consiste à savoir si tripler le nombre de réacteurs nucléaires en service dans le monde d’ici 2050 est autre chose qu’un effet d’annonce. Car les filières et industries nucléaires existantes aujourd’hui sont incapables de le faire. Pour y parvenir, elles doivent se lancer dans des programmes gigantesques de formation d’ingénieurs et de techniciens de haut niveau et de développement des capacités de production des équipements de haute technologie et de haute qualité indispensables au fonctionnement des centrales. Tout cela sans parler des usines d’enrichissement et de retraitement des combustibles et des mines d’uranium…

C’est une annonce qui n’est pas passée inaperçue. Lors de la COP28, 22 pays emmenés par la France et les Etats-Unis ont annoncé leur intention de tripler leur production d’électricité d’origine nucléaire d’ici 2050. Sans surprise, cette annonce a suscité l’ire des opposants au nucléaire, mais elle n’a rien d’anodin et pose de sérieuses questions sur son réalisme.

La première d’entre elles concerne la faisabilité d’un tel développement massif. La construction de réacteurs nucléaires est un processus complexe. Il nécessite des compétences et des savoir-faire relativement rares. Multiplier la taille du vivier de techniciens, d’ingénieurs et de scientifiques indispensable à une multiplication par trois des capacités installées et donc à la construction de centaines de réacteurs est un défi considérable. Cela est vrai dans les pays historiques de l’énergie nucléaire, comme la France et les Etats-Unis, et plus encore pour les pays ne faisant pas encore partie du cercle restreint des nations atomiques comme la Pologne, le Ghana ou le Maroc. Pour eux, tout est à construire. Une telle diffusion des compétences ne peut se faire que par l’intensification des échanges internationaux autour de l’atome.

Qui pour fabriquer les cuves, les turbines, les barres de combustibles… ?

La deuxième interrogation concerne la capacité de l’industrie et des filières nucléaires existantes à fabriquer les équipements indispensables à la construction de nombreuses centrales en l’espace de trois décennies. Les industriels à même de confectionner des cuves, des turbines, des barres de combustible et de nombreuses pièces spécifiques d’un réacteur sont peu nombreux. On a pu très bien le mesurer en France avec les multiples déboires du chantier de l’EPR de Flamanville et les malfaçons à répétition concernant aussi bien les bétons que les soudures des canalisations ou le couvercle de la cuve. Les capacités de production existantes sont en outre d’ores et déjà considérées comme insuffisantes pour permettre à la France de respecter son programme de construction de 6 voire 14 nouveaux EPR dans les trente prochaines années. On peut ajouter que le pays qui construit aujourd’hui le plus de réacteurs au monde, la Chine, a lui aussi atteint les limites de ses possibilités actuelles en en mettant en service trois à quatre par an.

Cela signifie que construire plusieurs centaines de nouveaux réacteurs dans le monde, toujours d’ici 2050, nécessitera d’augmenter considérablement le nombre et la taille des usines capables de fabriquer les composants des centrales ce qui demandera des investissements capitalistiques et humains tout aussi considérables.

La question de l’enrichissement de l’uranium et de la fabrication des barres de combustibles

Le troisième point problématique concerne le combustible. Si, contrairement à ce que certains peuvent parfois affirmer, la question des quantités disponibles d’uranium semble être un problème surmontable, il en va tout autrement de son enrichissement et la préparation des assemblages de combustibles.

Les capacités actuelles d’enrichissement mondial – dominées par l’entreprise russe Rosatom – sont totalement insuffisantes pour alimenter trois fois plus de réacteurs. Et c’est une activité particulièrement sensible puisqu’elle peut déboucher sur des applications militaires. Dans ce domaine, c’est toute une filière qui devrait se construire et surmonter de vraies rivalités comme celle existant aujourd’hui entre le français Orano et Rosatom. L’ambition du groupe français étant de reprendre bon nombre de marchés occidentaux à Rosatom.

On peut tirer tout de même quelques conclusions des annonces tonitruantes faites à la COP28. D’abord, la renaissance du nucléaire se confirme et même au-delà. Des dirigeants de plusieurs dizaines de pays font de l’utilisation de cette source d’énergie un élément clé de leur stratégie décarbonation. Ceci dit, l’industrie nucléaire mondiale n’est pas en plein développement comme elle a pu l’être dans les années 1970-1980, à l’exception de la Chine. Elle doit en grande partie se reconstruire après avoir été négligée voire abandonnée à la suite des catastrophes et accidents de Tchernobyl et Fukushima. Il faut maintenant voir si les paroles peuvent devenir des actes.

Philippe Thomazo

La rédaction