La Commission européenne est contrainte de détricoter, sans l’avouer, et morceau par morceau son Nouveau Pacte Vert de 2021, un délire technocratique qui a des conséquences économiques catastrophiques. C’est plus particulièrement le cas avec l’échéance de 2035 sur la fin de la commercialisation des voitures neuves à motorisation thermique. L’industrie automobile européenne est incapable de s’y adapter et d’être compétitive face au rouleur compresseur technologique et économique de ses concurrents chinois. Ce n’est pas pour rien si la Chine est devenue depuis deux ans le premier exportateur mondial automobile…
L’objectif imposé il y a trois ans par les institutions européennes et les gouvernements de cesser toute commercialisation de véhicules neufs à motorisation thermique d’ici 2035 est inatteignable. Sauf à accepter un coût économique et social exorbitant. Et comme le montre les uns après les autres les sondages depuis des années, la majorité des consommateurs ne veut toujours pas de la voiture électrique.
L’électrochoc Northvolt
La réalité finit toujours par rattraper les idéologues et les incompétents, mais le prix à payer est élevé. Il a fallu des dizaines de milliers de pertes d’emploi et l’effondrement de Northvolt, qui devait être le fer de lance de l’Airbus de la batterie, pour servir d’électrochoc. Les politiques ont fait preuve d’une incroyable irresponsabilité en ne prenant même pas la peine d’étudier les conséquences de leur décision pour une industrie essentielle pour le continent. Une des rares dans lesquelles l’Europe avait encore un avantage technologique et concurrentiel. Il a aujourd’hui disparu. Illustration de cela, pour la conception de sa Twingo électrique, Renault a fait appel à une équipe de 200 ingénieurs chinois installés à Shanghai. L’UE (Union Européenne) aura réussi en quelques années à saborder son industrie automobile pour des gains limités en termes d’émissions de gaz à effet de serre… Rappelons que la filière automobile représente 13,8 millions d’emplois et 7% du PIB de l’UE…
Pour sauver encore ce qui peut l’être de l’industrie automobile européenne, la Commission européenne a donc annoncé officiellement le 16 décembre une proposition législative, un « paquet automobile », permettant notamment la levée très partielle de l’interdiction des moteurs thermiques en 2035.
Revenir de 100% d’électrique en 2035 à 90%
L’objectif est passé de 100% d’électrique en 2035 à 90% ce qui permettra de continuer à fabriquer une partie limitée de voitures électriques hybrides, de véhicules électriques avec prolongateur d’autonomie thermique voire de véhicules dotés uniquement d’un moteur à combustion interne. Mais les 10% de production qui ne sont pas neutres en carbone devront être compensés dans les usines par l’utilisation d’acier vert (bas carbone) fabriqué en Europe (pour 7% des compensations) et l’utilisation de biocarburants dans les véhicules non électriques (pour 3% des compensations). Concrètement, cela signifie qu’en moyenne les constructeurs européens devront passer de 110 g de CO2 émis au kilomètre par voiture neuve vendue en 2021 à 11g de CO2 en 2035. Ce qui reste une évolution considérable.
« Cela permettra aux véhicules hybrides rechargeables, aux véhicules avec prolongateurs d’autonomie, aux hybrides légers et aux véhicules à moteur à combustion interne de continuer à jouer un rôle après 2035, en plus des véhicules entièrement électriques et à hydrogène », a déclaré la Commission. Elle a également assoupli les objectifs pour les fourgonnettes électriques, réduisant les exigences de réduction de 50% des émissions de carbone d’ici 2030 à 40%.
La Commission a aussi annoncé de nouvelles incitations pour les constructeurs à produire des petites voitures. Jusqu’en 2035, ils se verront offrir des « super crédits » pour les inciter à fabriquer des voitures électriques petites, abordables et plus légères. Chaque « petit » véhicule comptera pour 1,3 voiture dans les quotas de l’UE, ce qui permettra aux constructeurs d’atteindre plus facilement leurs objectifs en matière d’émissions. La Commission a également cité des mesures visant à stimuler la demande de voitures électriques de la part des flottes d’entreprises.
Préférence européenne
Il n’y a pas vraiment eu de surprise dans ces annonces. Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission, avait en fait déjà annoncé la couleur il y a trois semaines même s’il y a eu des tractations de dernière minute. « L’Europe est prête à activer tous les leviers pour faire réussir l’industrie automobile européenne », avait-il déclaré lors d’un sommet du secteur automobile en Allemagne, à Stuttgart où se trouvent les sièges de Daimler-Benz et Porsche. Il avait ajouté qu’il s’agissait « d’adapter le chemin vers la transition énergétique en accordant des flexibilités… ».
Le 16 décembre, le même Stéphane Séjourné a salué l’approche « pragmatique » de l’UE. Il a aussi confirmé l’instauration l’année prochaine d’une « préférence européenne » dans l’automobile, c’est-à-dire l’obligation pour les industriels bénéficiant de financements publics de se fournir en composants fabriqués en Europe.
Ursula von der Leyen a cherché à ne pas perdre la face
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a joué les équilibristes, mais elle ne satisfait personne. Et plus grave, elle ne va pas changer fondamentalement la situation de l’industrie automobile européenne. Mais il s’agissait d’abord pour elle de ne pas trop se renier et perdre la face. Elle avait fait du Nouveau Pacte Vert présenté en juillet 2021 et adopté en juin 2022 par le Parlement un succès personnel, son heure de gloire. Il s’agissait aussi de ne pas perdre les Verts et les Démocrates au Parlement européen et de ne pas s’aliéner les pays qui ne veulent pas, pour d’obscures raisons idéologiques et de rapports de force politiques à Bruxelles, entendre parler de reniement comme la France et l’Espagne. Il s’agissait enfin pour Ursula von der Leyen de répondre aux demandes urgentes de l’Allemagne du chancelier Friedrich Merz, de l’Italie, de la Pologne et du PPE, sa famille politique, paniqués par l’effondrement de l’industrie automobile et les dizaines de milliers de suppressions d’emplois déjà actées.
Ursula von der Leyen a ainsi affirmé le 16 décembre que « l’Europe reste à l’avant-garde de la transition écologique mondiale ». Une avant-garde que personne dans le reste du monde ne veut suivre… Elle a aussi ajouté que les mesures annoncées qui doivent être approuvées par le Parlement européen ont été élaborées après « d’intenses discussions avec le secteur automobile, les organisations de la société civile et les parties prenantes ».
Mais c’est trop peu et trop tard. Pour preuve, cette année pour la première fois de l’histoire l’Union Européenne aura acheté plus de voitures à la Chine qu’elle ne lui en aura vendues…
La responsabilité des dirigeants de l’automobile
L’industrie automobile a évidemment sa part de responsabilité dans ce désastre. Au cours des dernières années, la plupart des dirigeants des grands groupes automobiles européens ont accepté sans broncher l’accumulation de contraintes et de projets ambitieux mais irréalistes de décarbonation imposés par les institutions européennes et les gouvernements. Seuls Carlos Tavares, ex Pdg de Stellantis, et Oliver Zipse, le patron de BMW, ont prêché dans le désert en annonçant la destruction à venir d’une des rares industries que l’Europe dominait encore sur le plan technologique.
Ils avaient malheureusement raison. Luc Chatel, Président de la Plateforme automobile, rappelait encore il y a quelques semaines ce que l’abandon de l’industrie automobile a déjà coûté à la France. Le marché français des véhicules neufs s’est atrophié de 28% en cinq ans et la production en France de véhicules a chuté d’un million d’unités en une décennie. La filière a perdu 40.000 emplois, et 75.000 postes sur les 350.000 que compte encore le secteur sont menacés d’ici à 2035. Une étude de Roland Berger souligne que 40% des fournisseurs sont en danger et 100% jugés à risque. « Nous avons le sentiment que le sol se dérobe sous nos pieds. Personne n’est épargné par cette vague de transformation, vague venue de Chine, premier exportateur mondial », expliquait Luc Chatel. Ce qui n’a pas empêché le 16 décembre, juste près les annonces de la Commission, la ministre de la Transition écologique française, Monique Barbut, de « regretter » les « flexibilités »pour les véhicules thermiques… Le dogmatisme à l’état pur.
Le devoir de neutralité technologique
Il faut aussi se souvenir de l’enthousiasme béat qui avait salué dans le monde politique, dans celui des médias et donc même dans l’industrie automobile la décision de la Commission européenne d’imposer aux constructeurs automobiles la fin de la vente de véhicules neufs à motorisation thermique d’ici 2035. Une mesure entérinée le 8 juin 2022 par un vote majoritaire des députés européens. Lors de cette décision présentée à la fois comme une avancée majeure en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour l’industrie automobile européenne, qui allait entrer dans une nouvelle ère, très très peu de voix s’étaient élevées pour s’interroger sur la faisabilité d’une telle décision et ses conséquences.
Trois ans plus tard, le principe de réalité a donc rattrapé la plupart des dirigeants européens et les groupes automobiles. D’un côté, la demande n’est pas du tout au rendez-vous et est étroitement liée au niveau des subventions et des aides et de l’autre, les constructeurs automobiles européens en dépit d’investissements massifs de dizaines de milliards d’euros sont incapables de lutter contre leurs concurrents chinois et américain (Tesla) en termes de technologie et plus encore de coûts de fabrication.
Les politiques et les technocrates européens ont commis une erreur majeure. Ils ont oublié leur devoir de neutralité technologique. Ils ont imposé une technologie plutôt que de fixer des objectifs de décarbonation réalistes, charge ensuite aux industriels à trouver les meilleures solutions techniques. Or, les exemples historiques abondent. Quand les politiques imposent des technologies ce n’est jamais pour de bonnes raisons mais en fonction de considérations politiciennes immédiates, de dogmes idéologiques ou du poids de lobbys divers et variés.
Le mur des 20%
Résultat, les ventes de véhicules électriques ne sont pas au rendez-vous en dépit des pressions, des contraintes et des subventions massives parce qu’une bonne partie des consommateurs n’en veut toujours pas. Et les constructeurs traditionnels européens sont à la traîne. Ils sont dépendants de leurs fournisseurs chinois pour la plupart des composants essentiels des véhicules électriques, notamment les batteries et les matières premières dites critiques nécessaires à leur fabrication.
La demande de véhicules électriques se heurte dans la plupart des pays européens à un mur autour de 20% des achats. Selon les données de l’ACEA (l’association des constructeurs automobiles européens), la part des véhicules électriques neufs était de 16,4 % dans l’Union européenne entre janvier et octobre 2025. Elle devrait être de 18,9% sur l’ensemble de l’année en France et 18,4% en Allemagne. Très insuffisant.
Tout cela est d’abord évidemment lié au coût élevé des voitures. En Europe en 2024, le prix moyen d’une voiture électrique vendue était de 63.000 euros, contre 37.000 euros en moyenne pour un véhicule thermique. Mais il n’y a pas que cela.
Le problème tient à la diffusion des innovations théorisée par le sociologue américain Everett Rodgers dans un texte fondateur publié en 1962 et intitulé justement Diffusion des innovations. Il explique qu’il y a une étape essentielle à franchir, passer des « early adopters » (primo-adoptants) à la grande masse des consommateurs. Et pour l’instant, elle n’a été franchie dans aucun marché automobile européen à l’exception de celui du Danemark et hors de l’UE en Norvège du fait d’aides et de subventions massives, financées notamment par les exportations, tout aussi massives, de gaz et de pétrole du pays…














