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Paris Champs Elysées Wikimedia Commons

Villes et livraisons: le «desserrement logistique» augmente-t-il la pollution?


Encourager le retour des installations logistiques au cœur des villes afin de limiter les externalités négatives engendrées (pollution, congestion, etc.) est souvent une fausse bonne idée. Elle n’a un impact positif que si la demande vient surtout du centre des villes ou des métropoles, c’est rarement le cas. Ainsi, par exemple, Paris ne représente que 18% de la population de l’Île-de-France.

Ces 30 dernières années, les villes ont connu un étalement dont une des conséquences est l’éloignement des installations logistiques (plateformes de tri et entrepôts) du cœur des villes. Ce phénomène, appelé desserrement logistique, a été démontré pour la première fois sur l’aire urbaine de Paris.

Il en résulterait un accroissement des distances parcourues – et par extension une augmentation de la pollution émise – pour livrer des colis en ville. Cependant, les conséquences dues à l’éloignement restent aujourd’hui débattues : lorsque la situation est analysée dans son ensemble, la ville et sa périphérie, le desserrement apparaît alors comme la solution optimale.

Comment est répartie la demande dans l’espace

Si l’on ne considère que le centre-ville, le desserrement logistique a pour effet l’augmentation des distances parcourues. Les installations logistiques sont plus loin du cœur de ville et il faut réaliser une plus grande distance pour effectuer les opérations (livraisons et expéditions). Avec pour conséquence une hausse des émissions causées par le transport de marchandises.

Suivant cette logique, il serait intéressant d’encourager le retour des installations logistiques au cœur des villes afin de limiter les externalités négatives engendrées (pollution, congestion, etc.). Le raisonnement ne s’applique toutefois que lorsque le centre-ville réunit la grande majorité de la demande.

Si l’on considère ce dernier et la région qui l’entoure, les rapports de force changent. Dans le cas de l’Île-de-France, si la ville de Paris a une densité de population (20 544,8 habitants par km2) bien plus élevée que le reste de la région (1 010,9 habitants par km2), la population parisienne ne représente que 18 % de la population totale de l’Île-de-France.

Si les habitants sont un indicateur sur la quantité de flux, n’omettons par ailleurs pas les entreprises, et en particulier les industriels qui sont d’importants émetteurs de marchandises. Ce tissu industriel est principalement localisé en périphérie des villes comme l’illustre une étude sur un transporteur.

Une logistique « polycentrique »

Un autre élément à prendre en compte est que les transporteurs n’opèrent pas dans les grandes régions (comme l’Île-de-France) à partir d’un seul point mais possèdent plusieurs plates-formes, chacune gérant un territoire propre.

En adoptant une approche polycentrique, le territoire se retrouve ainsi divisé en sous-territoires suivant des logiques d’optimisation du transport (c’est-à-dire de minimisation de la distance parcourue par les camions). En additionnant, une demande distribuée sur l’ensemble du territoire et non pas concentrée en son centre ainsi que le choix d’une organisation polycentrique, la décision de positionner les plates-formes en périphérie semble évidente.

Au premier abord, il est vrai que ce choix peut ne pas être la situation optimale pour opérer les centres-villes. Il est cependant nécessaire d’évaluer l’impact vis-à-vis de l’ensemble du territoire (ici l’Île-de-France) et pas seulement le sous-territoire qu’est le centre urbain (ici Paris) afin de ne pas améliorer la situation localement au détriment de la situation globale.

Accès au foncier et minimisation des coûts

L’approche polycentrique possède d’autres avantages. Avec une accession au foncier de plus en plus compliquée (notamment pour de grandes parcelles dans les zones denses), cette organisation permet d’avoir recours à plusieurs plates-formes de tailles moins importantes que si l’opérateur ne travaillait qu’à partir d’une seule plate-forme (les flux sont dispatchés entre les différents centres). De plus, s’éloigner des centres urbains permet l’accès à des parcelles moins chères.

Jusque-là, seule la logistique urbaine avait été prise en compte sans considérer la périphérie de la ville ni des parcours interurbains. Or, les plates-formes sont le lien entre la longue distance et premier ou dernier kilomètres.

Déplacer une plate-forme au cœur d’un centre urbain signifie également déplacer ces flux de longue distance qui s’arrêtent actuellement en périphérie des villes. De ce fait, la localisation et le nombre de plates-formes répondent à une optimisation à la fois du premier et dernier kilomètre ainsi que de la longue distance dans un objectif de minimisation globale des coûts.

La fin des installations logistiques en ville?

La stratégie d’implantation polycentrique en périphérie n’est pas incompatible avec l’installation de micro-plateformes (ou micro hubs) au cœur des villes. Ces dernières opèrent alors telles des satellites des plates-formes de la périphérie afin de mettre en place des livraisons à l’échelle locale.

Elles sont d’ailleurs nécessaires pour les livraisons par vélos cargo, véhicules avec une portée beaucoup moins importante que les camions. Ainsi, elles sont reliées seulement aux plates-formes de périphérie et pas directement à l’ensemble des plates-formes du réseau (à l’échelle nationale ou internationale).

Finalement, il est compliqué d’apporter une réponse unique à la question des conséquences du desserrement logistique en matière de pollution ou d’efficacité. D’un côté, il y a une demande en périphérie importante en stock mais moins dense (industries et une partie des particuliers) et de l’autre une demande moins forte en stock mais beaucoup plus dense (centres urbains). Pour cela, les opérateurs de transport ont mis en place des stratégies telles que le polycentrisme afin d’être en mesure de traiter cette variété de demande.

Il est par ailleurs essentiel de conserver des espaces logistiques au cœur des villes, notamment pour mettre en place de la cyclologistique. Ce dernier mode représente d’ailleurs une solution durable pour la décarbonation du transport de marchandises, qui constitue un enjeu primordial des prochaines décennies.

Antoine Robichet Doctorant en transport de marchandises, Université Gustave Eiffel

Patrick Nierat Chercheur, Université Gustave Eiffel

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.

La rédaction