<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les véritables causes du cauchemar du chantier de l’EPR de Flamanville

15 décembre 2025

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Les véritables causes du cauchemar du chantier de l’EPR de Flamanville

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Pour la première fois depuis son raccordement au réseau électrique le 21 décembre 2024, le réacteur nucléaire EPR de dernière génération de Flamanville dans la Manche a atteint 100% de sa puissance dimanche 14 décembre. Cela ouvre la voie enfin à son exploitation. Mais cela ne retire rien au fait que la construction de l’EPR de Flamanville, le seul réacteur nucléaire de troisième génération sur le sol français, a été du début à la fin un cauchemar. Elle a été marquée par une succession ininterrompue de malfaçons, de retards, de surcoûts. Une étude très récente et très complète dite de retour d’expérience (REX) attribue la multiplication des coûts de construction par 7 et celle du temps de construction multiplié par 2,4 à l’organisation et la réglementation. « Flamanville 3 n'est pas un échec technique. C'est un échec organisationnel et réglementaire. L'EPR fonctionne (les EPR chinois le prouvent). Mais le système français de déploiement s'est grippé ».

Le réacteur nucléaire EPR de dernière génération de Flamanville dans la Manche a atteint pour la première fois 100% de sa puissance dimanche 14 décembre. « Le réacteur de Flamanville 3 a atteint 100% de puissance nucléaire à 11H37 et a produit 1.669 MW de puissance électrique brute », a indiqué EDF. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASNR) avait donné le 12 décembre son feu vert à EDF pour augmenter au-delà de 80% la puissance de l’EPR. La puissance électrique brute se distingue de la puissance nette, celle qui est injectée sur le réseau électrique, par l’autoconsommation du réacteur qui utilise une partie de l’électricité qu’il produit pour ses propres besoins.

L’EPR est le plus puissant réacteur du parc nucléaire français qui en comporte 57 en service. Premier réacteur nucléaire à démarrer depuis 25 ans en France, il a été raccordé au réseau électrique le 21 décembre 2024 avec 12 ans de retard par rapport à la date initialement prévue.Trois autres EPR fonctionnent aujourd’hui dans le monde, deux en Chine (Taishan 1 et 2) entrés en service en 2018 et 2019, et un en Finlande (Olkiluoto 3) entré en service en 2023. Taishan 2 est le réacteur de tous les records qui n’a cessé de battre le record mondial de production sur une année pour un réacteur nucléaire. Deux EPR sont également en construction à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre.

Si on peut se féliciter de voir enfin l’EPR de Flamanville fonctionner à plein régime, cela n’enlève rien au fait que la construction du seul réacteur nucléaire de troisième génération sur le sol français, a été une catastrophe industrielle. Une succession ininterrompue de malfaçons, de retards, de surcoûts. Jusqu’au dernier moment le fonctionnement du réacteur a rencontré de multiples problèmes techniques inattendus. Il y a encore un mois tout semblait enfin être sur de bons rails et l’EPR annonçait enfin avoir commencé des tests à 80% de sa puissance.

Mais un énième incident le 18 novembre avait déconnecté le réacteur du réseau électrique « à la suite du déclenchement automatique des protections de la turbine ». Une mesure de sécurité activée à la suite d’un jet de vapeur en salle des machines qui a contraint à ramener à 20% la puissance du réacteur. Une histoire sans fin… qui alimente en permanence les doutes sur la capacité de la filière nucléaire française et d’EDF a maîtrisé la construction programmée de six EPR2 dans les prochaines années. Après deux décennies d’abandon et même de sabotage politique, l’industrie nucléaire française n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été.

Retour d’expérience

Une étude très complète dite de retour d’expérience (REX) montre pourquoi le chantier de Flamanville est un échec. Elle attribue son coût multiplié par 7, passé de de 3,3 à 23,7 milliards d’euros aux conditions économiques de 2023 selon les chiffres de la Cour des comptes, son temps de construction multiplié par 2,4, de 7 à 17 ans, pour 94% à l’organisation et la réglementation. « Flamanville 3 n’est pas un échec technique. C’est un échec organisationnel et réglementaire. L’EPR fonctionne (les EPR chinois le prouvent). Mais le système français de déploiement s’est grippé ».

« L’EPR de Flamanville est devenu le symbole d’un système où la réglementation, les reprises de chantier et les délais d’instruction ont peu à peu étouffé la logique industrielle. Derrière les 12 ans de retard et les 19 milliards de coût final, on ne trouve pas seulement des erreurs de chantier, mais une inversion du rapport de force entre ingénieurs, autorités et cadres européens ».

L’étude met en avant les dérives suivantes :

-La sur-normation évolutive : Référentiel qui change pendant la construction
-Le décalage temporel : ASN (autorité de sûreté) et chantier désynchronisés
-La « supply chain » (chaîne d’approvisionnement) non qualifiée : fournisseurs internationaux non conformes
-La confusion sûreté/qualité : Tout devient un sujet réglementaire
-L’affaiblissement financier d’ EDF : ARENH a transféré 35 Mds€ vers les concurrents
-La perte de compétences : 18 ans sans construction = rupture générationnelle

Pour preuve, la France a construit 58 réacteurs nucléaires entre 1971 et 1999. Les réacteurs de première génération de 900 MW de puissance ont été livrés en moyenne en 6,7 ans, ceux de deuxième génération de 1.300 MW en 7,8 ans. « Le programme nucléaire français était une référence d’efficacité industrielle, coordonnant génie civil, chaudronnerie lourde, électromécanique et systèmes de contrôle-commande avec une précision horlogère », souligne le rapport.

Démantèlement voulu au sein de l’appareil d’Etat

Et « la dérive de Flamanville 3 révèle une inversion fondamentale du rapport entre ingénierie et réglementation. Dans le programme historique (1971-1999), l’ingénierie définissait les solutions techniques, et la réglementation les validait en continu. À Flamanville, la norme a systématiquement rattrapé et dépassé l’ingénierie, forçant des reprises coûteuses sur un ouvrage déjà construit ».

Ce qui est qualifié d’inversion technique n’est que la partie visible d’un phénomène plus profond : un démantèlement voulu du nucléaire français au sein de l’appareil d’Etat dénoncé publiquement par la  Commission d’enquête parlementaire de 2023 sur « La perte de souveraineté énergétique de la France ».

Cela a été marqué par de multiples mécanismes réglementaires et financiers européens, dont notamment l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) qui, selon le rapport, « a transféré 35 milliards d’euros du nucléaire français vers ses concurrents, finançant in fine les énergies renouvelables censées le remplacer ».

Et pour éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets, le rapport préconise pour le programme de fabrication de six EPR2, et peut être huit de plus, de « protéger la filière face aux contraintes européennes, de figer le référentiel avant construction, de renforcer les moyens de l’autorité de sûreté ASNR pour instruction rapide en amont, de séparer sûreté critique et qualité standard, de former massivement les équipes (5.000 personnes à recruter et former et de reconstruire la continuité des compétences ».

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