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Si Tesla a lancé une guerre des prix, c’est que ses véhicules ne coûtent pas cher à fabriquer


Tesla qui éprouvait des difficultés à vendre ses stocks de véhicules a lancé au début de l’année une guerre des prix sur les voitures électriques en abaissant subitement ses tarifs un peu partout dans le monde. Le constructeur américain dirigé par Elon Musk le peut car il est celui qui dégageait le plus de marge (15.633 dollars) par véhicule commercialisé. Aucun de ses concurrents ne s’approche même de cette performance financière. C’est deux fois et demi la marge de Volkswagen, trois fois celle de Hyundai et BYD, près de quatre fois celle de Toyota et General Motors et cinq fois celle de Ford… Et ce changement de stratégie s’est traduit par un rebond spectaculaire du cours de Bourse de l’action Tesla.

Pionnier et précurseur des véhicules électriques à batteries de haut de gamme et de haute performance, Tesla s’est toujours défini comme une entreprise de technologie. Wall Street l’a d’ailleurs longtemps considéré et valorisé à l’égal presque des Apple, Alphabet, Meta… Mais ce n’est plus le cas depuis quelques mois. L’action Tesla a perdu l’an dernier pas moins de 65%. Elle avait même encore baissé au début de l’année avant de se reprendre de façon spectaculaire. Elle a ainsi regagné pas moins de 50% repassant au-dessus du seuil symbolique des 500 milliards de dollars de capitalisation, ce qui en fait vraiment l’un des titres les plus spéculatifs de Wall Street. Sa capitalisation boursière avait atteint l’an dernier jusqu’à 1.200 milliards de dollars…

L’explication est relativement simple. Tesla a changé de statut aux yeux des investisseurs. La société est aujourd’hui jugée comme un constructeur automobile à part entière et plus comme un groupe de haute technologie mené par le gourou Elon Musk. Tesla est confronté sur un marché mondial en mutation à une concurrence farouche, à des difficultés commerciales, des problèmes d’approvisionnement et des questions sur ses produits, leurs qualités et leurs prix. Un procès a même été intenté à la firme par des investisseurs qui reprochent à Elon Musk des informations mensongères. Il avait provoqué la stupeur le 7 août 2018 en affirmant via un tweet qu’il voulait retirer l’entreprise de la Bourse au prix de 420 dollars par action et assurait que le financement était «sécurisé». Ce qui n’était pas le cas…

Un tabou a été brisé

Par ailleurs, les véhicules Tesla bénéficiaient d’une étonnant aveuglement de la part de bon nombre d’acheteurs, qui donnaient parfois le sentiment d’appartenir à une secte, et tout autant des médias sur leurs problèmes de qualité de fabrication et de fiabilité n’en bénéficient plus. Le tabou a été brisé. Résultat, les ventes ont souffert au cours des derniers mois avant de rebondir…

Car Tesla a décidé, ce qui ne lui était jamais arrivé, une baisse spectaculaire partout dans le monde du tarif de ses véhicules allant jusqu’à 20%. La baisse des prix concerne aussi bien les États-Unis que l’Europe, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie où elle a d’ailleurs commencé. En France, le prix de la version d’entrée de gamme, le Model 3, a baissé de 9.500 euros et de 11.000 euros pour le SUV Model Y ce qui les rend tout deux éligibles au bonus écologique de 5.000 euros. Aux Etats-Unis, premier marché du constructeur, on a pu constater des baisses allant de 6 à 20% sur la Model 3 et la Model Y. Et ces nouveaux prix ne tiennent pas compte du crédit fédéral de 7.000 dollars accordé depuis le début du mois pour l’achat d’un grand nombre de véhicules électriques. En Allemagne, les prix des Model 3 et Model Y ont été abaissés jusqu’à près de 17% et sont passés juste au-dessus du seuil de 40.000 euros ce qui leur permet de bénéficier de la subvention publique maximum de 6.750 euros.

Un profit de 15.633 dollars par voiture vendue

Cette baisse spectaculaire est la première mesure importante prise par le groupe depuis que Tom Zhu, ancien patron de Tesla en Chine, a été promu pour prendre la supervision directe des usines d’assemblage du constructeur automobile aux Etats-Unis ainsi que la direction des opérations commerciales en Amérique du Nord et en Europe.

Mais si Tesla a lancé cette guerre commerciale, c’est qu’il le peut. Car ces véhicules lui coûtent moins cher à fabriquer que pour bon nombre de ses concurrents. Comme le montre une étude mise en avant par l’agence Reuters, Tesla qui a pendant longtemps été le constructeur automobile qui perdait le plus d’argent est aujourd’hui cela qui réalise le profit le plus important par véhicule commercialisé. Au troisième trimestre de l’année 2022, Tesla a ainsi dégagé en moyenne un bénéfice de 15.633 dollars par voiture vendue. Aucun de ses concurrents ne s’approche même de cette performance financière. C’est deux fois et demi la marge de Volkswagen, trois fois celle de Hyundai et BYD, près de quatre fois celle de Toyota et General Motors et cinq fois celle de Ford…

Tout aussi spectaculaire est la progression de la marge de Tesla. Elle est passée en moyenne de 11.442 dollars par véhicule vendu au quatrième trimestre de 2020 à donc 15.653 dollars au troisième trimestre de 2022 et une performance estimée au moins équivalente au dernier trimestre de 2022. Voilà pourquoi Tesla a affiché d’excellentes performances financières au quatrième trimestre de l’année 2022 avec un chiffre d’affaires de 24,32 milliards de dollars en augmentation de 37% par rapport à la même période de l’année précédente, supérieur aux 24,16 milliards de dollars prévus par les analystes. Le bénéfice s’est établi à 1,19 dollar par action, soit 3,7 milliards de dollars (3,4 milliards d’euros), dépassant également le consensus des analystes qui prévoyait un bénéfice par action de 1,13 dollar. Cela explique en partie le rebond des cours de l’action Tesla. Mais attention les performances financières vont se dégrader d’autant plus que la société a enregistré au dernier trimestre de l’année dernière une hausse de 64% de ses coûts d’exploitation, en glissement annuel, et une baisse trimestrielle de 49% de son flux de trésorerie disponible.

Quand à la stratégie de baisse des tarifs, si elle semble efficace, ce n’est rien de vraiment nouveau dans le monde de l’automobile. Henry Ford n’avait cessé au début du XXème siècle de baisser le prix de sa Ford T ce que lui permettait la fabrication à la chaîne dont il était le pionnier. Dans les années 1980 et 1990, les constructeurs japonais, notamment Toyota, ont affiché des tarifs que ne pouvaient pas suivre les constructeurs américains et européens avec une nouvelle organisation de la production dite «just in time» (juste à temps).

Une guerre des prix qui ne fait que commencer

La guerre des prix lancée par Tesla intervient dans un contexte particulier. Les problèmes de pénuries de semi-conducteurs, de chaînes d’approvisionnement et d’inflation des matières premières ont lourdement affecté l’industrie automobile. La réponse des constructeurs automobiles, y compris de Tesla, a consisté à augmenter leurs prix et à se concentrer sur les modèles les plus profitables. Ainsi, la baisse du volume des ventes s’est traduite en général et paradoxalement par une augmentation importante des profits. Une situation qui ne peut pas durer longtemps. Et Tesla, affecté par un véritable effondrement de ses cours de Bourse, des difficultés commerciales et des critiques de plus en plus acerbes contre Elon Musk, a décidé de renverser le marché.

Tesla le peut car le constructeur américain a des frais de structure inférieurs à ceux des constructeurs traditionnels, a une qualité de fabrication inférieure en général aux standards des véhicules de luxe et de haut de gamme de ses concurrents et a investi lourdement dans de nouvelles technologies de fabrication lui permettant d’abaisser ses coûts. Un exemple est l’utilisation de grandes pièces moulées pour produire de petites pièces métalliques. Le constructeur automobile a également pris la décision d’intégrer la fabrication des batteries. La société a aussi normalisé la conception de ses véhicules afin de réaliser d’importantes économies d’échelle. Sur le plan technique, les différents modèles de Tesla sont en réalité très similaires.

Et cette guerre des prix ne fait sans doute que commencer. Les constructeurs chinois qui évincent sur leur marché intérieur leurs concurrents étrangers ont bien l’intention de conquérir des parts de marché dans l’électrique aux Etats-Unis et surtout en Europe. Plusieurs signes ne trompent pas. Notamment le fait que pour la première fois l’an dernier l’automobile chinoise a exporté plus de voitures que l’industrie allemande. Les exportations chinoises ont bondi de 54% en 2022 à 3,11 millions de véhicules, selon l’Association chinoise des constructeurs automobiles. L’Allemagne a, elle, exporté 2,61 millions de voitures, en hausse de 10 % par rapport à 2021, selon l’Association allemande de l’industrie automobile. La Chine est en passe de rattraper le Japon, numéro un mondial des exportations automobiles avec 3,2 millions de véhicules lors des onze premiers mois de l’année 2022. Les constructeurs chinois sont d’autant plus incités à exporter leur production que le gouvernement de Beijing a annoncé la fin des subventions à la motorisation électrique sur son marché national.

La bataille commerciale s’annonce d’autant plus terrible que le passage à l’électrique a contraint les constructeurs à des investissements massifs en matière de technologie et de capacités et qu’ils ne pourront vraisemblablement pas tous survivre. Selon les prévisions du cabinet Warren Browne, d’ici 2026 la demande de véhicules électriques en Amérique du Nord devrait atteindre 2,8 millions. Et les capacités de production de voitures électriques des constructeurs nord-américains auront alors atteint 4,5 millions de véhicules…

La rédaction