Transitions & Energies
Embouteillage

Le télétravail peut réduire les embouteillages… mais en crée d’autres


L’exemple canadien montre que le télétravail a eu et a un impact non négligeable sur les mobilités urbaines. Il contribue ainsi à réduire la circulation automobile et donc les congestions à certaines heures et à certains endroits. Mais il ne s’agit pas d’une solution miracle. Notamment parce qu’il peut aussi créer de nouveaux embouteillages.

Le télétravail a le potentiel de réduire la congestion routière, mais d’autres facteurs, comme l’éloignement du lieu de résidence ou de nouveaux déplacements, peuvent aussi engendrer des bouchons de circulation. Des études canadiennes réalisées avant la pandémie de Covid-19 ont montré comment le télétravail pouvait contribuer à réduire la congestion automobile en diminuant le nombre de véhicules aux heures de pointe et en limitant les temps de déplacement associés. Par exemple, une étude de 2004 portant sur la ville de Waterloo montrait le potentiel du télétravail pour réduire la congestion sans affecter les activités générales des ménages.

Or les impacts potentiels du télétravail sur les déplacements et la congestion sont dans les faits difficiles à évaluer, car le télétravail peut induire certains effets pervers, notamment ceux associés à une localisation résidentielle plus éloignée du lieu de travail.

En tant que chercheurs en transport et développement durable, nous nous sommes intéressés aux impacts du télétravail en matière de déplacements. L’une de nos études récentes publiée au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), a montré que la probabilité de se déplacer durant les deux périodes de pointe était légèrement plus faible pour les télétravailleurs que pour les travailleurs s’étant rendus sur leur lieu de travail.

L’impact sur la réduction de la congestion est peu perceptible, car certains télétravailleurs ont réorganisé leurs activités, ce qui a généré d’autres déplacements en périodes de pointe. De plus, le télétravail était peu pratiqué avant la pandémie, ce qui a rendu d’autant plus difficile de voir sa contribution pour baisser la congestion.

Trois fois plus de télétravailleurs

Au Canada, la pandémie de Covid-19 a fait passer le pourcentage d’employés télétravailleurs de 13% en 2019 à 39,1% en mars 2020 selon Statistique Canada. Parallèlement à cette hausse, des baisses de la congestion automobile ont en été observées partout dans le monde selon TomTom, un système de navigation et un de planification d’itinéraire, qui accumule ces données pour les 600 millions d’automobilistes qui l’utilisent. Dans toutes les villes du Canada, une réduction importante des niveaux de congestion par rapport à la même période en 2019 a été enregistrée dès la première semaine de mars 2020 et s’est poursuivie toute l’année. Le creux a été atteint dans la seconde semaine d’avril.

Si le télétravail a le potentiel de réduire les déplacements motorisés et diminuer la congestion durant les périodes de pointe, juger du potentiel du télétravail sur les déplacements automobiles à partir de l’essor du télétravail durant la pandémie serait toutefois erroné.

Des changements de comportements

Au plus fort de la pandémie, les individus ont été moins enclins à se déplacer en transport en commun, car ils craignaient que la proximité avec les usagers augmente les risques de contagion. Ils évitaient ainsi les déplacements en transport en commun en favorisant par exemple des déplacements automobiles.

La chute des déplacements en transport en commun a été telle à Montréal que l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) s’attend à un retour graduel des utilisateurs s’étalant jusqu’à 2032. Ces prévisions placent l’ARTM dans une situation financière difficile et forcent des réductions de service et des augmentations de tarifs.

Outre l’évitement du transport en commun au profit de déplacements automobiles, toutes choses étant égales par ailleurs, les mesures prises au plus fort de la pandémie (confinement, couvre-feu, restrictions de déplacement) ont contribué à diminuer le nombre de véhicules sur les routes. Par contre, en vertu des théories sur le trafic induit, cette baisse de trafic a fort probablement incité certains individus à utiliser ou réutiliser les routes. Ceux qui n’utilisaient pas leur véhicule, mais plutôt le transport en commun, pour éviter le trafic en temps normal, peuvent s’être mis à réutiliser leur véhicule.

De plus, même si le télétravail sera sans doute plus fréquent dans le futur qu’avant la pandémie –une hausse de 55% selon une enquête de la Banque de développement du Canada (BDC)– tout porte à croire qu’il sera tout de même moins répandu qu’actuellement.

Le télétravail risque surtout d’être utilisé comme complément ponctuel au déplacement vers le lieu de travail et beaucoup moins comme un substitut complet. Selon Statistique Canada, 41% des travailleurs préféreraient travailler environ la moitié de leurs heures à la maison.

Certains préfèrent le retour au lieu de travail à temps plein, tandis que d’autres préfèrent rester à temps plein à la maison. Le partage du temps entre ces deux endroits est toutefois fort populaire.

Un horaire qui permettrait de partager son temps entre le lieu de travail et la maison est fort populaire parmi les travailleurs. Statistique Canada

 Les effets pervers du télétravail

On connaissait le potentiel du télétravail afin de diminuer la congestion routière avant la pandémie alors qu’il était peu pratiqué. Par contre, l’évaluation de son impact réel pour contribuer à réduire les déplacements automobiles ne devrait se faire qu’après la pandémie, alors que le télétravail sera beaucoup plus répandu qu’avant la pandémie. En effet, en temps de pandémie les comportements sont altérés par les craintes d’une potentielle contagion.

De surcroît, si le télétravail pouvait améliorer certains aspects associés au transport, il convient d’être vigilant relativement à trois effets potentiellement pervers.

D’abord, comme mentionné plus tôt, l’élimination du navettage domicile-travail améliorerait la fluidité de la circulation aux heures de pointe, ce qui pourrait entraîner une hausse des automobilistes qui évitaient de se déplacer durant ces périodes.

Ensuite, différents effets de substitution des déplacements de navettage par d’autres types de déplacements pourraient survenir. Les déplacements vers le lieu de travail «épargnés» du télétravailleur lui permettraient d’effectuer d’autres déplacements, faisant en sorte que le bilan final de ses déplacements pourrait être inférieur, égal ou supérieurà celui d’un travailleur ayant un lieu fixe de travail. Aussi, les déplacements «épargnés» du télétravailleur pourraient permettre à d’autres membres du ménage d’utiliser le véhicule.

Finalement, en réduisant ou en éliminant les déplacements liés au travail grâce au télétravail, les travailleurs pourraient être en mesure de vivre plus loin du lieu de travail et choisir leur localisation en fonction d’autres facteurs que la distance au lieu d’emploi, comme les préférences pour la nature, la qualité de vie ou une maison plus grande.

Vivre plus loin de son lieu de travail peut ainsi être un effet potentiel du télétravail (le terme «telesprawl» est utilisé pour parler de cet effet potentiel sur la localisation des travailleurs). Bien que de tels effets ont été observés, on ne connaît toutefois pas encore l’ampleur réelle du phénomène.

En somme, si le télétravail représente de prime abord un outil intéressant pour réduire les déplacements et la congestion, ses bénéfices potentiels pourraient rapidement s’évaporer à la suite des changements de comportements qu’il pourrait induire à moyen et long terme. Le nombre de télétravailleurs, l’ajustement des horaires de travail, les relocalisations de ménage et le retour au transport en commun détermineront l’ampleur d’une réduction éventuelle des déplacements et de la congestion.

Georges A. Tanguay Professeur au département d’études urbaines et touristiques, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Ugo Lachapelle Professeur au département d’études urbaines et touristiques, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation Canada sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation Canada.

La rédaction