Transitions & Energies
Affiche Film Soleil vert

Soleil vert, l’équation de l’énergie solaire


En 1973, le réalisateur Richard Fleischer décrivait dans son film Soleil vert un monde condamné par l’épuisement des ressources, ruiné par la surpopulation et la pollution. Ce brûlot apocalyptique, près d’un demi-siècle avant l’émergence des collapsologues, avait alors marqué les esprits.

Le soleil vert d’aujourd’hui offre une perspective autrement plus enthousiasmante, celle d’une source d’énergie renouvelable, inépuisable, modulable, simple, bon marché et peu polluante. Cela ne veut pas dire qu’avec le solaire tout est facile et qu’il n’y a pas de contraintes ni de sérieux obstacles technologiques comme économiques. Mais le solaire représente, sans le moindre doute, un élément essentiel et prometteur de la transition énergétique. À condition de le faire rapidement progresser sur le plan technique et d’en mesurer les limites.

PRODUCTION DE MASSE ET EFFONDREMENT DES PRIX. Le chemin parcouru au cours de la dernière décennie par l’énergie solaire est en tout cas impressionnant. En 2010, le marché mondial du solaire était très limité et dépendait avant tout de subventions massives en Allemagne, en Italie et en France. La capacité totale installée atteignait alors 40 gigawatts (GW). L’an dernier, selon l’Agence internationale de l’énergie, plus de 115 GW de capacités solaires nouvelles ont été installées dans le monde pour atteindre un total de près de 600 GW. Cela en fait l’énergie renouvelable qui se déploie le plus rapidement.

Pour le World Economic Forum, la croissance du solaire ne peut encore que s’accélérer : « Il se pourrait bien qu’en 2030, le solaire soit devenu la plus importante source d’énergie pour la production d’électricité dans une grande partie du monde. »

La principale raison de ce succès tient à la baisse continue du prix de l’énergie solaire, de plus de 80 % depuis 2010. Le prix du watt photovoltaïque, qui était de l’ordre de 2 dollars il y a dix ans, variait en 2018 entre 0,093 et 0,28 dollar suivant les technologies utilisées. La question du rendement, compris entre 15 et 18 %, est ainsi devenue secondaire. Peu importe l’efficacité du solaire photovoltaïque lorsque son coût devient aussi bas et les délais de retour sur investissement de plus en plus courts.

Et les prix des panneaux solaires pourraient encore baisser de 50 % au cours des dix prochaines années et être, dans le même temps, capables de générer 50 % de plus d’électricité à taille égale, notamment avec la technologie dite des cellules photovoltaïques en tandem. En outre, des améliorations en matière de production des panneaux devraient permettre de réduire la quantité de matières premières comme l’argent et le silicium qui entrent dans leur fabrication. D’autres innovations comme les panneaux bifaces, captant l’énergie solaire des deux côtés, devraient aussi s’imposer. Des progrès sont également annoncés dans l’intégration des panneaux solaires dans les bâtiments et dans leur connexion aux réseaux électriques. Le solaire devient ainsi imbattable en termes de prix, y compris par les énergies fossiles les plus accessibles comme le charbon.

Il a aussi le grand avantage d’être facile à installer, d’être modulable et de ne pas nécessiter des infrastructures et des installations importantes et coûteuses. Avec un investissement compris entre 6 000 et 30 000 euros, un particulier peut installer des panneaux sur le toit de sa maison. Le coût des parcs et des centrales solaires, allant de dizaines à des centaines de panneaux ou des miroirs pour concentrer le rayonnement et produire de la chaleur, va de quelques centaines de milliers à quelques centaines de millions d’euros.

La baisse spectaculaire des prix des panneaux, liée à leur fabrication de masse dans les usines chinoises, a rendu le solaire compétitif sans subventions. Ce qui longtemps n’a pas été le cas. Il y a une dizaine d’années, en France, des subventions massives et mal calibrées avaient alimenté la spéculation sans permettre la naissance d’une industrie nationale puissante. Et en dépit de ses subventions massives et de ses engagements pris par EDF à acheter cher le kilowatt électrique, qui représentaient 2,5 milliards d’euros l’an dernier, le solaire n’a assuré que 2,2 % de l’électricité produite en 2019.

FAIBLE INTENSITÉ, INTERMITTENCE ET STOCKAGE IMPOSSIBLE. Si l’avenir de l’énergie solaire est prometteur, il ne s’agit pas pour autant d’une solution miracle. Elle a de sérieux points faibles. Ils ont pour nom : intermittence, faibles rendements, difficultés économique comme technique du stockage de l’électricité, faible intensité de cette énergie qui nécessite d’occuper de grandes surfaces, contraintes liées au niveau d’ensoleillement, matières premières nécessaires à la fabrication des panneaux, difficultés de leur recyclage. On peut y ajouter la question de la grande dépendance aujourd’hui envers les usines chinoises qui ont un quasi-monopole sur la fabrication des panneaux photovoltaïques.

Au contraire des énergies fossiles et du nucléaire, il s’agit d’une énergie peu intensive. En clair, elle a besoin de grandes surfaces pour fournir un peu de puissance. Il faut ainsi un nombre considérable de surfaces pour fournir un peu de puissance. Il faut ainsi un nombre considérable d’installations et les relier au réseau pour que la production devienne significative. Cette question d’échelle fait que même avec des investissements massifs au cours des prochaines années, le solaire n’offrira pas avant des décennies une alternative aux centrales au charbon, au gaz et nucléaire. Cela signifie aussi que pour alimenter en énergie de grandes villes et des métropoles, il faut couvrir de panneaux d’importantes surfaces et acheminer l’électricité sur de longues distances.

Autre obstacle majeur, l’intermittence de la production et son côté aléatoire. Il n’est tout simplement pas possible de prévoir ce que le solaire va fournir comme puissance. Cela dépend notamment de l’ensoleillement et donc de la géographie.  Et la nuit, par définition, toutes les régions du monde sont égales et les panneaux ne fonctionnent plus. La seule solution consiste à stocker l’électricité solaire, mais les technologies permettant de le faire à grande échelle et à des coûts acceptables n’existent pas.

Les batteries lithium-ion ne peuvent que servir d’appoint ponctuel et ne sont pas à l’échelle des besoins de la production d’électricité de masse. Ainsi, par exemple, pour stocker deux journées de consommation d’électricité aux États-Unis, il faudrait mille années de production de la « gigafactory » de Tesla et Panasonic dans le Nevada. Cette usine géante, la plus grande au monde, a coûté 5 milliards de dollars et produit les batteries pour cette marque de voitures électrique.

La production d’hydrogène vert est une piste intéressante.  Mais la filière en est à ses balbutiements et se heurte à de nombreux obstacles, à commencer en France par l’État via un rapport du réseau électrique RTE qui ne veut pas en entendre parler avant 2050…

DÉPENDANCE CHINOISE. Il y aussi des problèmes techniques propres aux panneaux. Ainsi, paradoxalement, les très grandes chaleurs réduisent considérablement leurs performances. Un panneau photovoltaïque dont la température de surface dépasse 25 degrés perd 0,45 % de rendement par degré supplémentaire. Ainsi, lors du pic de consommation d’été, en pleine canicule, du 24 juillet 2019, le parc solaire français d’une puissance théorique maximale de 8 612 MWh n’a pu produire que 6 100 MWh.

La fabrication des panneaux a, par ailleurs, des conséquences sur l’environnement non négligeables, compte tenu de son utilisation intensive de matières premières et d’énergie pour faire fondre le verre et le silicium. Et c’est une énergie qui émet beaucoup de CO2 puisque la production vient avant tout de Chine et l’électricité de centrales à charbon. Cela se traduit par le fait qu’en terme d’émissions de CO2, le solaire est bien moins vertueux que l’éolien et le nucléaire. Le kWh photovoltaïque émet en moyenne 45 grammes de gaz à effet de serre contre 12 grammes pour le nucléaire et 11 grammes pour l’éolien. Et il faut y ajouter l’obsolescence assez rapide des panneaux – une vingtaine d’années – et leur perte progressive de rendement, sans parler de leur recyclage aujourd’hui problématique.

Il y a enfin un sérieux problème d’indépendance économique. La quasi-totalité des panneaux solaires sont fabriqués en Asie et plus particulièrement en Chine. Si le rayonnement solaire est local, il n’y a pas plus mondialisé que la fabrication des panneaux.

Pour autant, les promesses du solaire sont grandes. Par exemple, via des installations expérimentales comme des parcs solaires concentrant via des miroirs les rayonnements pour produire des chaleurs importantes pouvant être utilisées pour stocker l’énergie ou même pour des processus industriels.  L’hydrogène vert fabriqué par électrolyse avec de l’électricité solaire semble aussi très prometteur. Sans surprise, l’avenir du solaire passera obligatoirement par l’innovation.

Eric Leser

La rédaction