Transitions & Energies
Solar_panels_on_a_roofwikimediacommons

Comment le photovoltaïque s’est crashé en France


Bulle spéculative, dumping chinois, érosion des subventions, culture du nucléaire… les embûches ont eu raison des ambitions françaises dans le photovoltaïque. La filière française reste innovante, mais très modeste.

 Coup de tonnerre dans le solaire français. En ce début décembre 2010, le gouvernement de François Fillon annonce une suspension des aides au photovoltaïque. Certes, seules sont gelées les subventions aux projets d’infrastructures de plus de 3 kilowatts ; les particuliers qui veulent s’équiper de panneaux pour capter l’énergie du soleil ne sont donc pas concernés. Seuls les projets d’envergure tombent sous le coup du moratoire.

Après le Grenelle de l’Environnement de septembre 2007 animé par Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’Écologie, l’impulsion donnée pour doper la production d’électricité d’origine photovoltaïque en France avait été forte. L’objectif était atteint au-delà des prévisions. Dès 2009 et en une seule année, la puissance installée triplait pour atteindre 190 MW (mégawatts). Encore modeste malgré tout, le parc allait encore quadrupler en 2010 grâce aux nouvelles capacités, et encore tripler en 2011 – grâce aux projets déjà engagés – pour atteindre 2 600 MW, selon les statistiques fournies par RTE. En deux ans, les capacités avaient plus que décuplé grâce au soutien massif des pouvoirs publics ! La France était partie pour devenir un pays leader du photovoltaïque et affichait de solides ambitions pour toute une filière industrielle. Mais le revirement de la fin 2010, en plein sommet de Cancun sur le réchauffement climatique, créait, dans l’univers du solaire, un véritable électrochoc.

RUÉE SPÉCULATIVE. Encore ne s’agissait-il que d’un gel de trois mois, le temps de mettre au point un nouveau système de subventions « à la fois soutenable et durable », indiquait Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie. Il fallait en l’occurrence répondre à l’opinion publique, car l’augmentation de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) sur les factures EDF commençait à irriter les consommateurs. En huit ans, elle avait plus que doublé. Or, c’est le produit de cette taxe qui, pour environ les deux tiers de l’enveloppe, permet à EDF de racheter l’électricité fournie par des énergies renouvelables à des tarifs très avantageux (à l’époque, cinq à six fois plus élevés que le prix de vente moyen du kWh!).

S’il n’est pas choquant que le consommateur contribue au financement de la transition énergétique, il n’a pas toutefois pour vocation à enrichir les spéculateurs qui veulent profiter de placements sans risque. D’autant que la bulle énergie qui se formait alors devenait trop grosse : la file d’attente des projets de raccordement au réseau représentait une puissance totale de près de 4000 MW alors que la croissance du photovoltaïque en France devait être réalisée à raison de 500MW par an.

De plus, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui succédait à Jean-Louis Borloo comme ministre de l’Écologie et du Développement durable, insistait sur les raisons d’un dysfonctionnement du système : il mettait à contribution le consommateur sans que la filière française du photovoltaïque en profite. Car, pour améliorer la rentabilité des opérations, les investisseurs privilégiaient les projets avec les panneaux solaires chinois, à plus bas coût mais moins respectueux de l’environnement. De sorte que huit panneaux sur dix étaient importés d’Asie, et que le consommateur français d’électricité subventionnait l’industrie chinoise… accusée par ailleurs de pratiquer un dumping sur les prix. Un comble ! Mais il est vrai que, avec des baisses de prix qui atteignirent 75 % en deux ans, les fabricants chinois menaient une guerre commerciale déloyale aux entreprises européennes, après que Pékin eut identifié le photovoltaïque comme un secteur stratégique d’exportation… Au point que les capacités de production chinoises dépassaient à elles-seules la demande mondiale !

LA FIN DU MIRAGE. Dans ce contexte, et dans l’impossibilité pour les PME françaises du secteur de s’aligner sur les prix chinois, les créations d’emplois qui devaient accompagner le développement de la filière n’étaient pas au rendez-vous. Les objectifs, ambitieux, qui portaient sur 15 000 nouveaux postes fin 2010 et 50 000 fin 2020, ne seraient jamais atteints. Le Premier ministre François Fillon réclamait alors une remise à plat du système. D’autres pays comme l’Allemagne et l’Espagne prirent les mêmes dispositions, et l’Europe entière décida en 2013 d’instaurer des taxes anti-dumping contre les importations chinoises. Ces barrières à l’importation furent maintenues jusqu’à fin 2018.

De toute façon, pour les financiers qui considéraient le photovoltaïque comme un nouvel eldorado offrant un retour sur investissement à deux chiffres sans le moindre risque, le signal lancé par le gouvernement était sans équivoque : le temps des grasses subventions provenant de l’obligation de rachat par EDF de l’électricité des fermes solaires était révolu. Ce moratoire allait-il mettre toute une filière industrielle sur le flanc ? Le manque de visibilité sur la politique des pouvoirs publics pouvait être fatal, sans parler de l’attitude d’EDF soupçonné par les industriels de réfréner les ardeurs de l’État pour que le développement des énergies renouvelables ne nuise pas à sa stratégie dans le nucléaire.

Aussi, dès l’annonce du gel des aides pour faire retomber l’emballement des demandes de subventions, les entreprises du secteur montaient au créneau, bien conscientes du danger. Les industriels et financiers dénonçaient, dans une lettre ouverte, des « coups de frein intempestifs » et « une instabilité chronique des dispositifs de soutien », et le Comité de liaison des énergies renouvelables alertait contre « le risque réel de tuer dans l’œuf une filière en plein développement et plus encore de mettre la France définitivement hors course ».

C’est, bien sûr, ce qu’il advint. Dès 2012, l’installation de capacités nouvelles chutait, et retombait en 2013 à son niveau de 2010. Le pic de 2011 resterait dorénavant inaccessible. Et les barrières européennes à l’importation de panneaux solaires chinois n’allaient pas suffire pour redresser l’industrie française du photovoltaïque dont les effectifs fondirent de 32 000 à 18 000 salariés entre 2010 et 2012.

UN RECUL PROGRESSIF ET RÉGULIER DES AIDES. Déjà, dès début 2010, le gouvernement avait décidé de réduire le prix de rachat par EDF de l’électricité produite par ces installations photovoltaïques : de 30 % en janvier, et encore de 12 % en septembre, pour les nouveaux contrats. Les particuliers furent relativement épargnés, mais pas les grosses centrales photovoltaïques dans la ligne de mire du gouvernement. L’érosion des tarifs de rachat s’est ensuite poursuivie. De 58 centimes d’euro par KW début 2011 pour des installations d’une puissance inférieure à 9 KWC (le kilowatt crête est l’unité de mesure utilisée pour évaluer la puissance atteinte par un panneau solaire lorsqu’il est exposé à un rayonnement solaire maximal), ce tarif est passé progressivement à 29 centimes à la fin 2013, et à 23 centimes en 2017. Puis, alors que les tarifs pour les puissances inférieures à 3 KW continuaient de baisser jusqu’à 18,5 centimes en 2019 (tarif quasiment inchangé début 2020), ceux pour les puissances jusqu’à 9 KWC passaient en dessous de 16 centimes l’an dernier. et sous les 11 centimes pour les puissances jusqu’à 100 KWC (tarifs valables pour une durée de vingt ans). Par ailleurs, la fin de la prime d’intégration au bâti, qui introduisait une distinction entre cette méthode d’installation des panneaux et l’autre méthode qui consiste à les fixer au-dessus d’un toit, n’existe plus depuis le 1er octobre 2018.

À l’inverse, pour favoriser l’autoconsommation de l’énergie produite, une prime à l’investissement concernant les panneaux photovoltaïques a été créée en mai 2017, versée sur cinq ans. Elle concerne les particuliers comme les entreprises, et n’empêche pas que le surplus d’électricité produite – et donc non consommée – soit racheté par EDF. Toutefois, compte tenu des durées d’amortissement de l’investissement à consentir sans une aide conséquente, l’autoconsommation a du mal à se développer malgré les efforts de l’État pour stimuler la demande.

2,6 MILLIARDS PAR AN POUR LE PHOTOVOLTAÏQUE. La baisse des tarifs de rachat de l’électricité d’origine photovoltaïque n’a pas empêché la CSPE (intégrée depuis 2016 à la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité) de continuer à progresser sur la facture des consommateurs. Entre 2002 et 2016, elle est passée de 3 à 22,5 euros le mégawatt heure, indique EDF. Le montant total de 1,66 milliard d’euros en 2009 par exemple, a depuis quintuplé. Pour 2020, avec un montant unitaire maintenu à 22,5 euros/MWh pour la cinquième année consécutive, le total devrait être légèrement supérieur à 7,9 milliards d’euros. Certes, l’intégralité de l’enveloppe ne va pas au photovoltaïque: sur les 5,16 milliards d’euros qui seront consacrés aux énergies renouvelables, le photovoltaïque devrait en consommer 2,6 milliards (contre 1,6 milliard pour l’éolien), en grande partie pour honorer les contrats de rachat d’électricité passés par EDF jusqu’en 2011, pendant la période « d’amorçage ». Des contrats sur vingt ans ! C’est seulement une fois écoulée la durée de ces contrats – soit autour de 2030 – que cette contribution au développement du photovoltaïque pourra être reconsidérée.

Ainsi, même si le consommateur ne constate aucune baisse sur sa facture, l’incitation au photovoltaïque a bien reculé. De sorte qu’en 2019, avec quelque 9.500 MW de puissance installée, la France en Europe arrive loin derrière l’Allemagne près de cinq fois plus équipée, et est distancée aussi bien par l’Italie, forte du double de capacités, que par la Grande Bretagne avec 40 % de plus, d’après le baromètre annuel Observ’Er des énergies renouvelables électriques. Quant au solaire en France, il n’assure encore que 1,9 % de la production nationale d’électricité, précise RTE dans son bilan électrique 2018 (2,2 % en 2019). Mais avec une production en hausse de 11 % en 2018 et une croissance de plus de 50 % des projets en développement en 2019, le Syndicat des énergies renouvelables veut croire, dans son Panorama au 31 décembre 2019, au retour d’une dynamique nouvelle.

C’est ainsi que, sur un plan industriel, après avoir raté le coche de l’éolien terrestre, la France a marqué le pas dans le photovoltaïque, comme dans l’éolien maritime où, là encore, elle caressa un temps l’espoir d’en devenir un leader mondial.

Gilles Bridier

La rédaction