La relance de la filière nucléaire française, annoncée il y a trois ans et demi par Emanuel Macron après trois décennies d’abandon et même de sabotage, tarde à devenir réalité. Le mal français. Et pourtant le temps presse face à la concurrence chinoise et russe comme le montre un rapport que vient de publier l’IFRI (Institut français des relations internationales).
« Si 2025 verra la production nucléaire mondiale atteindre un record historique, cette dynamique est désormais portée par la Chine et la Russie, tandis que l’Europe et les États-Unis ont jusqu’à peu délaissé un secteur qu’ils avaient pourtant créé », écrit l’IFRI. « La France, acteur historique et industriel central, est confrontée au défi de reconstituer son écosystème industriel sur fond d’affaiblissement de ses capacités industrielles. Clarifier la chaîne de responsabilité entre État et industrie d’une part, entre acteurs industriels d’autre part, et stimuler la concurrence pour dynamiser le secteur reste un défi », souligne le rapport.
La Chine et Russie misent résolument sur le nucléaire depuis des années
Illustration, « en 2025, douze nouveaux réacteurs nucléaires seront mis en service dans le monde ». Soit deux en Russie et dix en Asie, « dont sept de fabrication russe ». Quant aux dix réacteurs de grande puissance actuellement en construction, sept sont chinois. « Pour l’instant, le nucléaire se concrétise en Chine et, à l’export, les Français et les Européens ont perdu la main… Si l’on veut rester dans la course, il faut agir maintenant ».
Contrairement à l’Europe et aux Etats-Unis, la Chine et la Russie ont misé résolument sur le nucléaire depuis de nombreuses années pour des motifs énergétiques, industriels et géopolitiques. La montée en puissance de la Chine est spectaculaire et illustre l’ambition de Pékin de dominer toutes les technologies et les industries de la transition énergétique ce que l’usine du monde fait déjà dans le solaire, les véhicules électriques, les batteries, les éoliennes, les minéraux stratégique…
La Chine deviendra le numéro un mondial du nucléaire civil
Avec plus de 55 GW de capacités de production électrique nucléaires installées au 1er janvier 2025, la Chine rattrape rapidement la France (63 GW) au deuxième rang mondial. Pékin a approuvé en août 2024 la construction de onze nouveaux réacteurs pour un coût de moins de 28 milliards d’euros. Chaque unité devant être construite en moins de cinquante-six mois.
La Chine vise 150 à 200 GW de capacités nucléaires installées d’ici à 2035 de quoi devenir le numéro un mondial du nucléaire civil largement devant les Etats-Unis (97 GW) et a même l’ambition démesurée de posséder un parc de 1.400 GW d’ici à 2100 avec notamment des réacteurs au thorium et des réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides, une technologie prometteuse que la France a longtemps dominé avec Phénix et SuperPhénix avant qu’elle soit sabotée par Lionel Jospin et Emmanuel Macron…
Pékin suit le schéma du « plan Messmer » de 1974
En fait, la Chine suit le schéma français, celui du « plan Messmer » de 1974 qui avait alors permis à la France de se doter en moins de 20 ans d’un parc de 58 réacteurs de dernière génération en en fabriquant en série quatre par ans. Ce que la Chine fait aujourd’hui en construisant ses réacteurs en 5 à 6 ans. Le meilleur exemple en est donné par les deux réacteurs EPR, de technologie française, construits à Taishan (à 120 kilomètres au sud-ouest de Hong Kong) et qui ont été de loin les premiers à entrer en service. Taishan 2 a été construit en cinq années de temps effectif. Il a fallu trois fois ce temps-là pour fabriquer l’EPR de Flamanville dans la Manche et celui d’Olkiluoto en Finlande.
La Russie n’est pas en reste mais avec une approche différente qui consiste à privilégier les exportations car ses propres besoins énergétiques sont largement satisfaits. Elle contrôle 70% du marché mondial des exportations de réacteurs, construisant actuellement une vingtaine d’unités à l’étranger, s’appuyant largement sur un modèle économique qui consiste à apporter à la fois la technologie et à financer l’essentiel des projets. Pour l’IFRI, ce modèle « clé en main » s’inscrit dans une logique industrielle mais aussi d’influence géopolitique. Elle s’appuie aussi sur le contrôle du cycle du combustible. Le géant russe Rosatom assure 46% des capacités mondiales d’enrichissement de l’uranium…
Enfin, il faut parler des ambitions et des succès de la Corée du Sud qui vient encore de rafler un marché à EDF en République Tchèque après avoir déjà battu l’offre française aux Emirats arabes unis.
L’Europe enlisée dans les querelles entre partisans et adversaires du nucléaire
La réaction occidentale se fait en ordre dispersée et avec des stratégies différentes. Aux Etats-Unis, le choix des administrations Biden et même Trump, exceptionnellement alignées, est celui des SMR, (petits réacteurs modulaires). Mais ils correspondent à des besoins spécifiques, notamment ceux de la technologie, et les premiers prototypes ne verront pas le jour avant plusieurs années. Pour le reste, les Etats-Unis s’appuient sur les centrales à gaz pour suivre la progression de la demande d’électricité du pays.
En face, l’Europe reste enlisée dans les querelles entre partisans et adversaires de cette source d’énergie décarbonée avec une Commission noyautée par les « anti… ». Quant à la France, elle mesure l’ampleur de l’affaiblissement de la filière et de ses capacités industrielles et financières. Et pourtant, la France a des atouts encore considérables à commencer par une maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur nucléaire, du cycle du combustible aux réacteurs de troisième génération, sans aucune dépendance vis-à-vis d’une autre puissance, notamment de la Chine. De toutes les énergies décarbonées, le nucléaire est ainsi la seule qui est en France et en Europe véritablement souveraine, souligne l’IFRI.
Le temps presse
Le rapport insiste sur la nécessité d’agir rapidement. Pour l’IFRI, d’ici à 2030, les positions mondiales seront quasiment figées. La Chine aura consolidé sa domination industrielle, la Russie ses parts de marché à l’export. Et les États-Unis disposent des moyens financiers et technologiques pour relancer leur machine nucléaire. L’Europe et la France risquent de « se contenter du rôle de spectateur », dans un secteur qu’elles, surtout la France, ont contribué à créer et ont dominé. Sinon, l’Europe et la France finiront par dépendre des autres puissances pour leurs besoins énergétiques futurs, y compris nucléaires. Une défaite industrielle et un véritable abandon de souveraineté.