L’État de droit est une notion à géométrie très variable. L’affaire des ralentisseurs illégaux en est une nouvelle illustration. Et c’est le Conseil d’État qui est pris en flagrant délit de mépris pour les citoyens automobilistes et conducteurs de deux roues de ce pays. Il a bien confirmé, ce que tout le monde sait, que plus de 400.000 ralentisseurs en France sont illégaux. Soit une écrasante majorité des 450.000 installés à peu près n’importe où par les municipalités pour montrer qu’elles se préoccupent de sécurité routière. Ainsi, la plupart des ralentisseurs sont dangereux, plus particulièrement pour les deux roues, à fortiori quand les conditions de circulation sont mauvaises (pluie, neige, verglas…). Plus de 400.000 ralentisseurs présents sur nos routes et nos rues ne sont tout simplement pas adaptés aux véhicules qui les franchissent. Pentes trop raides, marquages inexistants, hauteurs abusives, implantations trop près de virages ou de zones sans visibilité…
Le Conseil d’État en convient. Mais afin de protéger les finances des municipalités hors la loi, il a décidé également que la seule démarche judiciaire possible pour les usagers de la route est… de poursuivre la commune en cas de dégâts sur leurs véhicules. Le Conseil d’État sort de son rôle. Il ne fait plus du droit mais se préoccupe de la situation financière des municipalités. Car le coût de la destruction des ralentisseurs illégaux est estimé entre 5 et 7 milliards d’euros. Il viendrait s’ajouter aux 10 milliards environ déjà dépensés par les mêmes collectivités depuis 2012 pour leurs constructions illégales.
Jurisprudence loufoque
Pour rappel, les ralentisseurs ont pour vocation de réduire la vitesse des véhicules principalement dans des zones piétonnes ou à proximité d’endroits sensibles comme les écoles. D’autres aménagements permettent également de réduire cette vitesse qu’il s’agisse de rétrécir la chaussée, d’installer des chicanes ou des îlots centraux, des radars, des avertisseurs etc…
Dans les faits, la plupart des ralentisseurs ne respectent pas le décret de 1994 qui fixe les règles de leur installation. La réglementation sur les ralentisseurs trapézoïdaux (norme NF P 98-300) date très précisément du 27 mai 1994 (décret n° 94-447). Elle impose les principaux points suivants. Ils doivent être situés en zone 30 km/h, avoir un plateau compris entre 2,5 et 4 m, avec deux pentes de 1 à 1,4 m de long et ne pas dépasser 10 cm de haut. Ils ne doivent pas être implantés sur des axes empruntés régulièrement par des transports publics de personnes ni sur des axes où le trafic est supérieur à 3.000 véhicules par jour en moyenne.
Le Conseil d’Etat n’en est pas à un coup d’essai qui consiste à établir une jurisprudence loufoque considérant d’un côté que les dégâts causés par des ralentisseurs illégaux doivent être indemnisés, mais que les ralentisseurs en question ne sont pas suffisamment illégaux pour être détruits ou mis en conformité avec les normes établies par l’Etat. Comprenne qui pourra.
Excès de consommation et nuisance sonore
Ainsi, l’association Pour une mobilité sereine et durable (PUMSD) et la Fédération française des motards en colère ont poursuivi en 2020 le département du Var pour destruction ou mise en conformité des ralentisseurs. L’accusation portait notamment sur la forme trapézoïdale des ralentisseurs, le département s’appuyant sur des flous du décret pour maintenir ses ouvrages. Le tribunal administratif de Toulon, puis la Cour d’appel de Marseille, avaient donné raison sans surprise au département. Les associations ont saisi le Conseil d’État, qui a finalement cassé en 2023 toutes les décisions et a ordonné au département de verser 3.000 euros aux plaignants. Lesquels ont alors cherché à obtenir la validation de leur demande de destruction ou mise en conformité. Mais le Conseil d’État a cette fois rejeté en mars de cette année le pourvoi.
Pour finir, les ralentisseurs, dos d’ânes et autres coussins berlinois posent d’autres problèmes que leur non conformité. C’est ce que montrait il y a quelques années une étude menée par la Ligue de défense des conducteurs. Ils sont à l’origine d’un excès de consommation, et donc d’émissions de CO2 supplémentaires, et créent des nuisances notamment sonores. La décote d’une maison située le long d’une rue dotée d’un ralentisseur pourrait atteindre 25%…