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Une nouvelle usine au Texas va produire du carburant de synthèse à 2 euros le litre


Les carburants synthétiques font l’objet à la fois d’un intérêt grandissant et de critiques nourries depuis que l’Allemagne a contraint les institutions européennes à accorder un sursis après 2035 aux véhicules neufs à moteur thermique s’ils les utilisent. Cela a provoqué une levée de boucliers des gouvernements, des organisations écologistes et de bon nombre de constructeurs automobile, qui ont fait de la fin des véhicules à moteur à combustion interne l’Alpha et l’Omega de leur politique de décarbonation des transports. Ils se rassurent en expliquant que les carburants de synthèses resteront coûteux, marginaux et difficiles à produire en quantité. Ils pourraient bien se tromper une fois encore… en négligeant un argument essentiel en termes d’empreinte carbone, de coût économique et d’acceptabilité sociale. Les carburants de synthèse peuvent permettent d’utiliser une partie des équipements (véhicules) et des infrastructures existants. Cela fait une énorme différence.

Les carburants synthétiques n’ont pas bonne presse. Depuis que l’Allemagne les a soudain sortis de son chapeau pour faire plier les institutions européennes et obtenir une prolongation de la durée de vie des véhicules à moteur thermique. Il sera en théorie encore possible d’en acheter des neufs après 2035 s’ils fonctionnent avec des carburants synthétiques décarbonées. Les gouvernements et les organisations écologistes, qui ont fait de la fin des véhicules à moteur à combustion interne l’Alpha et l’Omega de leur politique de décarbonation des transports et les constructeurs automobiles qui ont investi, contraints et forcés, des centaines de milliards d’euros et de dollars dans l’électrique à batteries, sont furieux.

Les politiques et les technocrates doivent définir les objectifs de décarbonation, surtout pas imposer les technologies

Ils se rassurent en expliquant que de toute façon les carburants de synthèses resteront coûteux, marginaux et difficiles à produire en quantité. Ils pourraient bien se tromper car ils négligent sciemment un argument majeur en termes d’empreinte carbone, de coût économique et d’acceptabilité sociale et politique. Les carburants de synthèse peuvent permettre d’utiliser une bonne partie des équipements (les véhicules) et des infrastructures existants de stockage, de transport et de distribution des carburants, ce qui fait une différence considérable.

Il deviendrait ainsi possible de continuer à utiliser une partie du milliard et demi de véhicules à moteur thermique en circulation dans le monde aujourd’hui et les infrastructures de transport et distribution des carburants fossiles. Cela démontrerait une fois encore que les politiques et les technocrates ne doivent surtout pas dicter les technologies à utiliser. Ils doivent fixer des objectifs de décarbonation et laisser industriels et consommateurs trouver le chemin. Sinon cela mène en général à la catastrophe…

Issu d’hydrogène vert bas carbone et de CO2 capturé dans l’atmosphère

Première question, qu’est-ce qu’un carburant de synthèse ? C’est un carburant né de l’assemblage de molécules qui composent un hydrocarbure mais produites à partir de sources neutres en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Nous en utilisons d’ores et déjà quotidiennement puisque ceux issus de la biomasse sont ajoutés presque systématiquement aux carburants vendus à la pompe. Et ils sont même largement majoritaire pour ce qui est du fameux Superéthanol-E85. Il a vu sa consommation s’envoler l’an dernier. Les ventes de ce carburant fabriqué avec un mélange d’alcool d’origine agricole et d’essence ont ainsi augmenté de 83% en 2022 avec 854 millions de litres écoulés. En raison évidemment d’un faible niveau de taxe, en moyenne de l’ordre de 11,83 centimes par litre contre 68,29 centimes pour le SP95. Au point que ses prix, tout en restant compétitifs, se sont envolés faute notamment de quantités. Elles sont d’ailleurs limitées.

Mais les carburants synthétiques dont il est question à terme sont d’une autre nature. Ils sont issus de deux matières premières l’hydrogène bas carbone (vert fabriqué avec de l’électricité bas carbone ou bleu fabriqué avec du gaz mais avec capture et stockage du CO2) et du CO2 récupéré non pas dans l’industrie, mais dans l’atmosphère. Cela permet de synthétiser du méthanol qui peut ensuite être transformé avec différents additifs en équivalent de carburants pétroliers (essence, fioul, kérosène…) totalement décarbonés puisque l’hydrogène utilisé l’est et le CO2 est retiré de l’atmosphère avant d’y retourner.

HIF Global se développe au Chili, au Texas, en Australie et au Japon

Voilà pour la théorie, dans la pratique le procédé industriel permettant de fabriquer les carburants synthétiques n’est pas une nouveauté…  Il s’inspire de la technique Fischer-Topsch de liquéfaction du charbon utilisée par l’Allemagne à la fin de la Seconde guerre mondiale pour produire, faute de pétrole, des carburants liquides. Une technologie qui a été ensuite améliorée par l’Afrique du Sud de l’apartheid, qui était sous embargo pétrolier, et qui a été relancée il y a quelques années à une petite échelle par la Chine pour des raisons de sécurité stratégique.

L’équation du coût de ses carburants est assez simple, elle est avant tout liée à celui de l’électricité bas carbone (70% du coût de fabrication par des électrolyseurs de l’hydrogène) et de la capture du CO2 dans l’atmosphère dont les coûts aujourd’hui restent prohibitifs à 300 euros la tonne. Mais les progrès sont rapides, même si les perspectives de production massive ne sont pas pour demain, mais assez sérieuse à un horizon 2035. Les électrolyseurs à haute température devraient permettre d’obtenir des rendements bien supérieurs aux équipements actuels et la capture du CO2 dans l’atmosphère est une technologie encore balbutiante. « À long terme, des coûts de production inférieurs à 1 euro par litre d’e-fuel pourront probablement être atteints», estime même dans une note récente l’Institut de recherche sur le climat de Potsdam en Allemagne. «Les coûts sont aujourd’hui élevés, car il n’existe pas de filière industrielle. Mais l’énergie éolienne valait cher il y a dix ans et, aujourd’hui, elle est compétitive. Il faut développer la filière pour que les prix s’assagissent», souligne Florence Delprat-Jannaud de l’Ifpen interrogée par Le Point.

Et en dépit des critiques et des doutes, les expérimentations industrielles vont se multiplier et l’intérêt de groupes automobiles, chimiques, pétroliers et d’investisseurs pour les carburants de synthèse est grandissant.

Les carburants de synthèse selon Porsche.

Ainsi, après avoir lancé une usine-pilote au Chili en partenariat avec Porsche, Siemens et Exxon (voir la photographie ci-dessus) qui a commencé à produire en décembre 2022, l’entreprise HIF Global (pour Highly Innovative Fuels Global), qui est basée à Houston au Texas, veut faire passer la production de carburants de synthèse à une autre échelle. Elle va construire une usine en Australie (en Tasmanie), qui sera opérationnelle en 2026, et une autre au Texas dans le Comté de Matagorda avec pour objectif d’obtenir un litre de carburant à deux euros. L’investissement au Texas représentera 6 milliards de dollars et permettra de fabriquer 750 millions de litre d’e-fuel par an à l’horizon 2027 à la suite des 550 millions de litres au Chili annoncés dès 2026. L’usine texane utilisera par an deux millions de tonnes de CO2 recyclé et 300.000 tonnes d’hydrogène vert. D’après HIF Global, les 750 millions de litres produits permettront de décarboner 400.000 véhicules.

«La production de carburant de synthèse va nous coûter environ le double de ceux provenant du pétrole», explique Meg Gentle, directrice Générale de HIF Global. Mais elle ajoute que la combinaison des aides provenant de l’Etat du Texas et de l’Etat fédéral américain notamment via la fameuse loi IRA (Inflation Reduction Act) doit permettre d’approcher pour le consommateur les prix des carburants de synthèse de ceux des carburants fossiles. HIF Global a réussi à convaincre plusieurs partenaires dans le monde que cela était possible.

Des tests avancés chez Stellantis

HIF Global a aussi annoncé, toujours en avril, un accord de partenariat avec le groupe japonais Idemitsu pour produire ensemble des carburants de synthèse décarbonés au Japon et également approvisionner le marché japonais avec des carburants synthétiques produits notamment en Amérique du sud.

En France, Carlos Tavares, le patron de Stellantis, a reconnu que le groupe automobile teste les carburants de synthèse sur 28 familles de moteurs essence et diesel fabriqués depuis 2014. Pas moins de 28 millions de véhicules actuellement sur les routes utilisent ses motorisations. «En nous assurant de la compatibilité des moteurs Stellantis avec les carburants eFuels, nous proposons à nos clients un nouvel outil de lutte contre le réchauffement climatique, avec un impact potentiel à très court terme. Cette action s’inscrit dans la continuité de notre engagement d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2038», a déclaré Carlos Tavares.

La rédaction