Transitions & Energies

Nous pourrons bientôt récupérer de l’énergie solaire directement dans l’espace


Placer des panneaux photovoltaïques dans l’espace permettrait en théorie de produire des quantités considérables d’électricité 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il y a 100 fois plus d’énergie solaire disponible à partir de l’orbite géostationnaire que la demande mondiale d’énergie estimée pour l’humanité dn 2050. Il reste pour parvenir à en récupérer une partie et transférer ensuite cette énergie sur terre à surmonter un nombre considérable d’obstacles techniques comme économiques. Mais l’idée fait son chemin un peu partout dans le monde et des chercheurs américains, japonais, russes et chinois travaillent sur des projets de plus en plus ambitieux.

L’idée de l’énergie solaire basée dans l’espace (SBSP), qui consiste à utiliser des satellites pour collecter l’énergie du soleil et la « téléporter » vers des points de collecte sur Terre, existe depuis au moins la fin des années 1960. En dépit de son énorme potentiel, le concept n’a pas eu vraiment de succès en raison de son coût et des difficultés technologiques.

Certains de ces obstacles peuvent-ils être surmontés ? Si c’est le cas, le SBSP pourrait devenir un élément essentiel de la transition mondiale des combustibles fossiles vers l’énergie décarbonée.

Nous récoltons déjà l’énergie du soleil. Elle est collectée directement par ce que l’on appelle généralement l’énergie solaire. Celle-ci comprend différentes technologies telles que l’énergie photovoltaïque (PV) et l’énergie solaire thermique. L’énergie solaire est également recueillie de manière indirecte : l’énergie éolienne en est un exemple, car les brises sont générées par le réchauffement inégal de l’atmosphère par le soleil.

Mais ces formes de production d’énergie verte ont des limites. Elles occupent beaucoup d’espace sur terre et sont contraintes par la disponibilité de la lumière et du vent. Par exemple, les fermes solaires ne collectent pas d’énergie la nuit et en collectent moins en hiver et par temps nuageux.

Les systèmes photovoltaïques en orbite ne sont pas limités par l’arrivée de la nuit. Un satellite en orbite géostationnaire (GEO) – une orbite circulaire à environ 36.000 km au-dessus de la Terre – est exposé au soleil pendant plus de 99% du temps au cours d’une année entière. Il peut ainsi produire de l’énergie bas carbone 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

L’orbite géostationnaire est idéale lorsque l’énergie doit être envoyée du vaisseau spatial à un collecteur d’énergie ou à une station au sol, car les satellites y sont stationnaires par rapport à la Terre. On calcule qu’il y a 100 fois plus d’énergie solaire disponible à partir de l’orbite géostationnaire que la demande mondiale d’énergie estimée pour l’humanité d’ici 2050.

Le transfert de l’énergie collectée dans l’espace vers le sol nécessite une transmission d’énergie sans fil. L’utilisation des micro-ondes permet de minimiser les pertes d’énergie dans l’atmosphère, même en cas de ciel nuageux. Le faisceau de micro-ondes envoyé par le satellite sera focalisé vers la station terrestre, où des antennes convertiront les ondes électromagnétiques en électricité. La station terrestre devra avoir un diamètre de 5 km, voire plus aux latitudes élevées. Toutefois, cela reste inférieur aux surfaces de terre nécessaires pour produire la même quantité d’énergie à l’aide de l’énergie solaire ou éolienne.

Une grande évolution des concepts

De nombreux modèles ont été proposés depuis le premier concept de Peter Glaser en 1968.

Dessin représentant le concept de Peter Glaser pour convertir le rayonnement solaire en énergie électrique. Office américain des brevets

Dans le SBSP, l’énergie est convertie plusieurs fois (de la lumière à l’électricité, puis des micro-ondes à l’électricité), et une partie est perdue sous forme de chaleur. Pour injecter 2 gigawatts (GW) d’énergie dans le réseau, le satellite devra collecter environ 10 GW d’énergie.

Un concept récent appelé CASSIOPeiA consiste en deux réflecteurs orientables de 2 km de large. Ceux-ci reflètent la lumière du soleil dans un réseau de panneaux solaires. Ces émetteurs de puissance, d’un diamètre d’environ 1 700 mètres, peuvent être dirigés vers la station terrestre. On estime que le satellite pourrait avoir une masse de 2.000 tonnes.

Une autre architecture, SPS-ALPHA, diffère de CASSIOPeiA par le fait que le capteur solaire est une grande structure formée d’un très grand nombre de petits réflecteurs modulaires appelés héliostats, chacun pouvant être déplacé indépendamment. Ils sont produits en série pour réduire les coûts.

Impression artistique du concept SPS-ALPHA. NASA/John Mankins

En 2023, des scientifiques de Caltech ont lancé MAPLE, une expérience satellitaire à petite échelle qui a renvoyé une infime quantité d’énergie à Caltech. MAPLE a prouvé que la technologie pouvait être utilisée pour fournir de l’énergie à la Terre.

Un intérêt international grandissant

La SBSP pourrait jouer un rôle crucial dans la réalisation de l’objectif de zéro émission nette au Royaume-Uni d’ici à 2050, mais la stratégie actuelle du gouvernement ne l’inclut pas. Une étude indépendante montre que le SBSP pourrait produire jusqu’à 10 GW d’électricité d’ici à 2050, soit un quart de la demande actuelle du Royaume-Uni. La SBSP assure un approvisionnement énergétique sûr et stable.

Il créera également une industrie de plusieurs milliards de livres sterling et 143.000 emplois dans tout le pays. L’Agence spatiale européenne évalue actuellement la viabilité de la SBSP dans le cadre de son initiative SOLARIS. Cette initiative pourrait être suivie d’un plan de développement complet de la technologie d’ici à 2025.

D’autres pays ont récemment annoncé leur intention d’envoyer de l’énergie vers la Terre d’ici 2025, avant de passer à des systèmes plus importants au cours des deux prochaines décennies.

Un satellite massif

Si la technologie est prête, pourquoi le SBSP n’est-il pas utilisé? La principale limite est l’énorme masse qu’il faut lancer dans l’espace et son coût par kilogramme. Des entreprises telles que SpaceX et Blue Origin développent des véhicules de lancement lourds, en mettant l’accent sur la réutilisation des pièces de ces véhicules une fois qu’ils ont volé. Cela permet de réduire le coût de 90%.

Même en utilisant le véhicule Starship de SpaceX, qui peut lancer 150 tonnes de fret en orbite terrestre basse, le satellite SBSP nécessitera des centaines de lancements. Certains composants, tels que les longues fermes structurelles – des éléments structuraux conçus pour couvrir de longues distances – pourraient être imprimés en 3D dans l’espace.

Défis et risques

Une mission SBSP sera un défi, et les risques doivent encore être pleinement évalués. Si l’électricité produite est entièrement verte, il est difficile de prévoir l’impact de la pollution engendrée par les centaines de lancements de charges lourdes.

En outre, le contrôle d’une structure aussi importante dans l’espace nécessitera des quantités considérables de carburant, ce qui implique que les ingénieurs travaillent avec des produits chimiques parfois très toxiques. Les panneaux solaires photovoltaïques seront affectés par la dégradation, ce qui réduira leur efficacité de 1 à 10% par an. Cependant, l’entretien et le ravitaillement pourraient être utilisés pour prolonger la durée de vie du satellite presque indéfiniment.

Un faisceau de micro-ondes suffisamment puissant pour atteindre le sol pourrait également endommager tout ce qui se trouverait sur son chemin. Pour des raisons de sécurité, la densité de puissance du faisceau devra donc être limitée.

Le défi que représente la construction de plates-formes de ce type dans l’espace peut sembler insurmontable, mais l’énergie solaire dans l’espace est technologiquement réalisable. Pour être économiquement viable, elle nécessite une ingénierie à grande échelle, et donc un engagement à long terme et décisif de la part des gouvernements et des agences spatiales.

Avec tout cela en place, le SBSP pourrait apporter une contribution fondamentale à l’objectif « net zéro » d’ici 2050 grâce à une énergie durable et propre provenant de l’espace.

Matteo Ceriotti Senior Lecturer in Space Systems Engineering, University of Glasgow

Cet article est republié à partir de The Conversation Royaume-Uni sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation (en anglais).

La rédaction