Le mythe de la croissance verte

30 octobre 2019

Temps de lecture : 4 minutes
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Le mythe de la croissance verte

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Dans un article provocateur publié par le Financial Times, le chroniqueur Simon Kuper s’attaque au scénario idéal de la transition énergétique. Il met le doigt sur une contradiction selon lui insurmontable. L’illusion dans laquelle nous vivons que nous allons pouvoir à la fois changer radicalement de sources et de mode d’utilisation de l’énergie et continuer, […]

Dans un article provocateur publié par le Financial Times, le chroniqueur Simon Kuper s’attaque au scénario idéal de la transition énergétique. Il met le doigt sur une contradiction selon lui insurmontable. L’illusion dans laquelle nous vivons que nous allons pouvoir à la fois changer radicalement de sources et de mode d’utilisation de l’énergie et continuer, comme si de rien n’était, à bénéficier d’une croissance économique. Tout cela grâce à la fameuse croissance verte à laquelle Simon Kuper ne croit pas une seconde. Car si l’énergie coûte plus cher et est moins abondante, la croissance économique, étroitement corrélée jusqu’à aujourd’hui avec la consommation d’énergie, s’arrêtera. Et l’écrasante majorité des populations ne veut pas d’un tel scénario. Pour casser le lien quasi-mécanique entre croissance, énergie et carbone, il faudra du temps. Beaucoup de temps. Mais nous n’en avons pas.

«Voilà l’histoire sur le climat que nous les gens de gauche nous racontons à nous mêmes, écrit Simon Kuper. «Une fois que nous serons débarrassés des politiciens dinosaures comme Trump, nous nous attaquerons au lobby des carburants fossiles et des entreprises cupides et voterons un «green new deal» [une nouvelle relance économique verte]. Elle financera des industries propres en croissance rapide: solaire, éolien, véhicules électriques, vêtements durables. Cela sera gagnant-gagnant: nous allons verdir nos sociétés et continuer à consommer. Cette histoire est appelée la croissance verte», ajoute-t-il.

Le problème de taille affirme Simon Kuper, c’est qu’il s’agit d’une belle histoire mais que la croissance verte n’est pas prête de se matérialiser. Au moins pas pendant les prochaines décennies. «Notre génération va devoir choisir entre être vert ou avoir de la croissance. On ne peut pas avoir les deux en même temps».

La consommation, c’est de l’énergie

Son raisonnement est le suivant. Les émissions dans le monde de gaz à effet de serre continuent à augmenter et ont atteint un niveau record l’an dernier. La population mondiale continue elle aussi à augmenter. «Nous devons réduire les émissions tout en nourrissant et en fournissant de l’énergie à de plus en plus de personnes». Des populations qui en moyenne sont de plus en plus riches. Le revenu moyen par habitant augmente d’environ 2% par an. Et quand les gens ont plus de moyens, ils les convertissent en émissions de CO2. Jusqu’à aujourd’hui, la consommation c’est cela.

Pour parvenir à la croissance verte, il faut donc réussir à émettre beaucoup moins de carbone pour une même activité économique. La quantité de carbone nécessaire pour produire un dollar de Pib  baisse depuis plusieurs années d’environ 0,4% par an. Mais nous sommes très loin du compte pour remplir les engagements climatiques. L’intensité carbone de l’économie mondiale doit baisser au moins dix fois plus vite estime le Think tank Renewable Energy Policy Network for the 21st Century (REN21).

Les adeptes de la croissance verte ont pourtant des arguments à faire valoir. Ils soulignent, par exemple, que les énergies renouvelables, notamment le solaire et l’éolien, connaissent une croissance très rapide. Elles représentent aujourd’hui, y compris l’hydraulique et la biomasse, 10% de la consommation mondiale d’énergie selon REN21 et ce chiffre pourrait atteindre 30% en 2050. Mais cela sera toujours très insuffisant pour atteindre les objectifs climatiques. Selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), il faudrait au moins que la croissance des renouvelables soit deux fois plus rapide. Enfin, plus inquiétant encore, les investissements dans les renouvelables étaient, selon l’agence Bloomberg, à leur plus bas niveau depuis six ans au premier semestre de 2019.

Les défenseurs de la croissance verte peuvent aussi mettre en avant le fait que les économies européennes ont été capables au cours des dernières années de réduire leurs émissions et de continuer à croître. Mais dans les faits, c’est parce que les pays européens ont exporté leurs émissions. Les usines qui alimentent leur consommation ont été délocalisées en masse en Asie et notamment en Chine. De plus, les transports maritimes et aériens ne sont pas pris en compte dans les calculs des émissions nationales de gaz à effet de serre. Selon le Global Carbon Project, un réseau de scientifiques, en prenant en compte ces deux facteurs, les importations et les transports, les émissions europénnes sont plus élevées de 19% que les chiffres officiels.

Croissance, énergie et démocratie sont liées

La conclusion de Simon Kuper est qu’installer la croissance verte va prendre du temps. On ne remplaceras pas les infrastructures construites depuis des décennies en quelques années. «La plupart des avions et des porte-containeurs d’aujourd’hui seront encore en service en 2040… Toujours en 2040, la plupart des gens vivront dans les mêmes rues qu’aujourd’hui et conduiront toujours des voitures. Les voitures électriques ne vont pas nous sauver: les émissions sur toute leur durée de vie sont beaucoup trop élevées. Exploiter les mines de lithium, fabriquer les batteries des véhicules, les transporter et générer une bonne partie de l’électricité avec du charbon ou du gaz ne sont pas des activités propres…». Simon Kuper reconnait que l’utilisation de l’énergie devient plus efficace. Les avions, les voitures, les navires… ont réduit leur consommation. Mais cela ne fait pas reculer la demande planétaire d’énergie.

Simon Kuper est donc, en théorie, adepte de la décroissance, même s’il l’estime politiquement et socialement impossible. «Si la croissance verte n’existe pas, la seule façon d’empêcher une catastrophe climatique est la décroissance… maintenant, pas en 2050». Pour réduire brutalement et rapidement et à l’échelle de la planète les émissions de gaz à effet de serre, il faut une longue dépression économique avec toutes les conséquences catastrophiques sociales et politiques qu’elle pourrait engendrer. C’est pour cela qu’elle ne se produira pas…

Simon Kuper reconnait qu’il faudrait entrer «dans un autre monde» et que cela ne se fera pas. Car «la croissance économique, la démocratie et le CO2 ont toujours été entremêlés. La croissance et la démocratie existaient à peine avant que la révolution industrielle propulsée par la machine à vapeur et le charbon prenne son envol. La démocratie peut-elle survivre sans le carbone?  Nous ne le saurons pas. Aucun électorat ne votera pour détruire son propre mode de vie. Nous ne pouvons blâmer les politiciens ou les entreprises. C’est de nous dont il s’agit. Nous choisirons toujours la croissance au climat».

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